Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu questionne avec beaucoup de poésie, de beauté et d’émotion notre perception du monde.
Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu nous offre un moment de théâtre fort. Claire a 22 ans. Elle est une jeune femme autiste qui ne rêve qu’à une chose : devenir chanteuse et participer à l’émission télé To be a star. Un jour, elle va commettre l’irréparable. Alors internée en hôpital psychiatrique dans l’attente de son procès, elle continue pourtant à croire de toutes ses forces en son rêve…
Il n’est pas rare que nous prenions quelques claques en allant faire un tour du côté du 11.Avignon. On le sait alors on s’y prépare toujours un peu. On se souvient notamment, l’année dernière, de Téléphone-moi et de son incroyable scénographie. Ou du thriller Mon visage d’insomnie, merveille parmi les merveilles. On se souviendra désormais aussi de Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu. Car ce que nous avons compris, nous, ce jour-là, c’est que nous tenions l’un de nos plus gros coups de cœur de ce Festival.
Une rencontre hors du commun
Parfois, quand on nous dit : « il faut absolument que tu ailles voir ce spectacle », nous y allons sans nous poser de question. Enfin, ça dépend du « on », bien sûr. En tout cas, là, nous avons obtempéré sans hésiter ! Et alors… Alors nous avons fait une rencontre des plus bouleversantes. Celle de Claire, 22 ans, autiste, rêveuse, passionnée par le chant. Enfermée dans un hôpital aussi…
D’un côté de la scène découpée en deux espaces distincts, à jardin, la chambre d’hôpital où Claire passe son temps à visionner en boucle les vidéos de l’émission de télé qui l’obsède. De l’autre, à cour, un interrogatoire de police nous permet de comprendre la situation. Un voisin a été retrouvé entre la vie et la mort dans la maison de Claire alors qu’elle y était seule. Soutenue par son frère, qui s’occupe d’elle, la jeune femme va devoir préparer au mieux son procès. Mais tout ce qu’elle veut, elle, c’est participer à To be a star. D’ailleurs, elle va gagner, elle en est sûre…
Éblouissante Pauline Cassan
Par quoi commencer… Par Pauline Cassan, bien sûr, si merveilleuse, si bouleversante, si juste dans son interprétation de Claire que nous ne parvenons plus à la quitter du regard. Bien que le jeu soit très différent, difficile de ne pas penser à Morgan L’Hostis, qui interprète également brillamment le rôle d’une jeune fille autiste dans un autre de nos coups de cœur du OFF, Zourou, au-delà des mots. Et on se sent vraiment chanceux lorsqu’on assiste à ce genre de performances, rares, qui nous font approcher de si près l’intériorité de personnages tellement riches et complexes.
La comédienne aborde ce rôle avec toute la sensibilité, la douceur, la fragilité qu’il mérite. Par la manière dont elle incarne ce personnage ainsi que le choix de juxtaposer les perceptions de deux instances ayant chacune leur propre grille de lecture, à savoir celle de la justice à travers la préparation du procès, et celle de la société à travers le concours de chant, cette pièce questionne intelligemment le concept de normalité.
Une scénographie brillamment pensée
D’un point de vue scénographique, nous sommes également conquis. Alissa Maestracci a élaboré plusieurs espaces distincts, alternativement habillés par les très belles lumières de Romain Antoine et la création sonore de Romain Mariani, qui nous permettent de nous immerger dans toutes les facettes de l’histoire. Ainsi, la pièce donne à voir les différentes perceptions possibles de la réalité sans que l’une nous apparaisse plus ou moins normale que l’autre. C’est très fort.
Ainsi, nous nous trouvons parfois dans l’intimité de la chambre d’hôpital de Claire où s’exprime sa passion pour le chant et où se tisse aussi un très joli lien de complicité avec l’infirmier qui la prend sous son aile. Puis nous nous retrouvons dans le bureau où une inspectrice de police, un avocat et une psychiatre se succèdent pour interroger la jeune femme. Sa mère lui disait toujours de se faire toute petite pour ne déranger personne, alors elle a un peu de mal à comprendre ce que tous ces gens attendent d’elle…
À certains moments, de l’autre côté des stores qui encadrent la scène, nous observons par transparence des échanges, des questionnements, des temps d’errance. Spectateurs omniscients, nous nous attachons inévitablement aux trois personnages si profondément humains que sont Claire, son frère, interprété avec de jolies nuances par Anthony Binet, et Antoine, l’infirmier, auquel Sylvain Porcher prête une douceur et une générosité qui nous touchent beaucoup.
Un gros coup de cœur
Et puisque nous citons cette formidable distribution, saluons aussi l’excellente Odile Lavie, une inspectrice de police plus vraie que nature, ainsi que Vincent Remoissenet et Alice Suquet, tous deux très convaincants dans leurs rôles respectifs d’avocat et de psy. Chacun d’eux participent avec talent à cette habile chorégraphie qu’est la mise en scène Laura Mariani.
Vous l’aurez compris, Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu nous a captivés d’un bout à l’autre. Et quelques moments particulièrement touchants et esthétiques nous ont fait chavirer. À commencer par la sublime scène finale, bien évidemment, qui marquera notre mémoire de son empreinte ; également cet interrogatoire trop insistant, trop brusque, qui rompt le contact avec Claire et pousse celle-ci à trouver refuge dans son imagination où il nous est donné de nous frayer un chemin ; ou ce moment silencieux et hypnotique, en plein interrogatoire filmé, où la caméra se ressert longuement sur le regard terriblement expressif de la jeune femme, qui nous est projeté.
» – Depuis quand tu prends les gens dans les bras, toi ?
– Depuis que t’es triste. »
Et puis, il y a aussi ces messages que Claire laisse sur le répondeur de sa mère décédée, comme on se confierait à un journal intime, et dans lesquels la beauté et la poésie du texte de Laura Mariani trouvent leur quintessence. Ce texte, vraiment… Quel bijou ! Cette pièce toute entière quel bijou ! Et dire que nous l’avions manquée à Paris… Nous ne vous dirons pas si Claire va finalement devenir une star ou non. Qui sait… Mais pour Pauline Cassan en tout cas, la direction semble être celle-là…
Le jour où j’ai compris que le ciel était bleu, écrit et mis en scène par Laura Mariani, avec Pauline Cassan, Anthony Binet, Sylvain Porcher, Odile Lavie, Vincent Remoissenet & Alice Suquet se joue au 11.Avignon, du 7 au 26 juillet, à 16h40 (relâche les jeudis).
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Avis
Très habilement construite et parfaitement rythmée, cette pièce à la fois grave et poétique nous charme dans toutes ses dimensions. Tout y est, tout fonctionne, tout est juste et beau à regarder. Et on en ressort un peu secoués d'être parti aussi loin.