D’abord sorti en 2014 en accès anticipé, puis arrivé en version 1.0 en 2017 et encore en attente de conclusion pour sa campagne scénarisée, The Long Dark est un jeu qui prend son temps. Édité et développé par Hinterland Studio, The Long Dark est un jeu de survie dont le postulat a tout de charmant : vous contre la désolation glaciaire et son froid mordant. C’est le programme du jour, nous contre les intarissables aventures du jeu indépendant.
Quelques screenshots à peine devraient suffire à faire entendre de quoi il en retourne dans ce titre aux allures singulières. Si The Long Dark est un jeu de survie, parfois même un jeu narratif, c’est aussi et surtout, un jeu d’atmosphère. Une sorte de Walking Simulator immersif avec des vrais bouts de jeu vidéo à l’intérieur.
Avant d’aborder distinctement ces deux pans, sa campagne scénarisée épisodique d’un côté et son mode bac à sable de l’autre, nous allons nous concentrer sur ses fondamentaux et parties transverses. Donc avant toute chose, abordons sa partie survie.
Ton univers impitoyable
The Long Dark, à l’inverse de jeux comme Rust ou encore ARK, se concentre sur une survie plus immédiate et tangible. L’idée n’est pas de se projeter dans l’avenir, d’imaginer sa base, de trouver des montures, d’obtenir les meilleurs items par le farm et le craft… non, ici il s’agit de survivre dans la plus pure idée du concept. L’hostilité de l’environnement ne s’efface pas après quelques heures de jeu, le danger ne vient pas des autres joueurs. Votre combat est contre la faim, la soif, le froid, la météo, la topographie et parfois la faune hostile.
Dans The Long Dark les besoins primaires sont la clé de votre survie et le restent longtemps. C’est certainement là un des points les plus réussis du jeu d’Hinterland. Survivre est un défi constant. Une expérience grisante, ardue, que le jeu a à cœur de rendre a minima riche et complexe. Que cela soit dans son système de gestion de la température, des blessures et des maladies, de sa faim et de sa soif, avec des aliments qui déshydratent, perdent de leurs valeurs nutritives, nous donnent des bonus si réchauffés, nous font encourir des troubles de l’estomac quand on en abuse (ne mangez donc pas exclusivement du gibier)… Il y a là-dedans une couche de complexité délectable sur des aspects parfois/souvent mis de côté dans ce genre de jeu, au profit de système craft et consorts.
Là où beaucoup de jeux de survie ne tiennent finalement le joueur en haleine qu’avec des systèmes de progression au long court, qui le déconnectent peu à peu de leur dimension survival, The Long Dark fait lui le choix de se concentrer sur cet aspect en le fouillant et le densifiant. En résultent des sensations assez uniques dans un genre qui a pourtant connu il y a quelques années sa saturation. Le principe de ces jeux est généralement de sortir de la survie, alors que dans The Long Dark, on s’y enfonce.
Se chauffer avec du Musso
Si The Long Dark embarque logiquement tout un tas de choses assez attendues pour ce style de jeu, c’est surtout son emphase sur la gestion du froid qui canalise l’expérience en venant encore la teindre d’unicité. Chaque vêtement a différentes statistiques : coupe vent, hausse de la température corporelle, résistance à l’humidité, réduction du temps de sprint et résistance aux dégâts physiques; en plus de pouvoir être équipé sur l’une des deux couches que peut porter votre personnage. Et oui, il est possible de mettre “double chaussettes”. Ajoutez à cela, une gestion de leur état influençant beaucoup sur leur efficacité et vous obtenez de quoi longuement préoccuper le joueur.
Comptez aussi sur la météo pour venir vous mettre des bâtons dans les roues. Le cycle jour/nuit, les tempêtes, la direction du vent… Autant d’aspects qui s’auto-alimentent pour constamment obliger le joueur à varier son approche, à se plier aux aléas et à improviser. Se retrouver pris dans une tempête et aller se réfugier dans une grotte a quelque chose d’assez fantastique. Et si en plus votre feu refuse de s’allumer, l’expérience n’en est que plus cruelle, plus intense. Le jeu a la bonne idée de nous laisser souffrir longtemps, permettant ce jeu de yoyo entre espoir et désespoir qui rend chaque petit pas gratifiant, chaque bonne décision prise dûment récompensée.
In the Moodtain
Fouiller une cave à la lumière d’une allumette pour y trouver de quoi allumer un feu est un moment de jeu vidéo mémorable. Braver cette nature qui vous veut du mal est une expérience de tous les instants, au rythme certes posé, mais certainement pas suspendu pour autant.
Une des grandes forces du jeu pensé par Raphael van Lierop et Alan Lawrance est la cohérence mécanique de pair avec son contexte. On arrache les rideaux pour récupérer du tissu, on casse à la hache les meubles d’une maison pour récupérer du bois, on jette des livres dans le fourneau pour gagner quelques précieuses minutes de lumière et de chaleur dans cette nuit pesante et baignée de noirceur.
Le choix de ce désert gelé est brillant ; propice à tout un imaginaire ainsi qu’à un assortiment mécanique cohérent et efficace. Et dire que l’on ne vous a même pas encore parlé de la gestion de l’éclairage… The Long Dark se construit sur de très bonnes idées et les exploite généralement avec beaucoup d’intelligence, et rien que pour cela on serait tenté de vous le recommander…
Aux menus reproches – pseudo réalisme
Cela dit, et avant d’amorcer le virage sur le trou béant qui perce cette majestueuse carlingue, quelques reproches restent malgré tout à formuler. Déjà, si nous nous gargarisions plus tôt d’une certaine profondeur de jeu, The Long Dark a tout de même du mal à canaliser tout cela.
Pour vous donner un exemple, dans le mode bac à sable – sur lequel nous reviendrons -, il est nécessaire de soi-même dessiner sa carte. Si l’idée est bonne, l’exécution, elle, est assez laborieuse. En fait, pour dessiner une carte, il faut du charbon, il faut croire que les crayons ont été gelés. Ensuite, lorsque l’on est en extérieur, on peut demander à notre personnage de dessiner une carte. Attention cependant, cela ne révèlera les lieux qu’en fonction de votre visibilité – de nuit, impossible de faire quoi que ce soit -, en plus de prendre un certain temps. Notre question est donc, pourquoi ne puis-je pas explorer un endroit – de jour, avec une bonne visibilité – pour ensuite en dessiner la carte en intérieur, au chaud, a posteriori ? Parce que dans un jeu où le froid est votre pire ennemi, devoir attendre de longues minutes avec une prise au vent souvent maximum pour dessiner la carte des lieux, c’est un tantinet mal pensé, peut-être “trop” pensé justement.
Pareillement, la façon d’effectuer des marquages sur votre carte est inutilement complexe. Il faut avoir une bombe de peinture, uniquement utilisable en extérieur, qui en plus à une quantité de peinture limitée; tout ça alors même que le marquage est avant tout destiné à la carte… dessinée au fusain, on le rappelle. Pourquoi ne pouvons-nous pas placer un marqueur sur la carte avec du charbon de façon différenciée du marquage permis par les bombes de peinture ? Ce genre de complexification malvenue, additionnée à une ergonomie qui a parfois du mal à suivre, dessert parfois ce walk trip survivaliste. Surtout que l’on voit bien que cette complexité de la cartographie ne vient pas servir le réalisme ou la vraisemblance de l’expérience, au contraire.
Aux menus reproches – manipulations douloureuses
Ajoutons encore quelques mots au sujet de l’ergonomie – parce que j’adore ça – et explicitons de nouveau nos dires avec un nouvel exemple. Lorsque notre personnage est blessé, on peut consulter son état dans un onglet et consulter plus précisément ses maux. Pour guérir les blessures cependant, il faut utiliser des objets de soin qui eux sont dans l’onglet inventaire – ou le menu radial mais cela ne change pas le problème. On ne peut pas voir une blessure, cliquer dessus, et la soigner avec l’objet approprié. Il faut voir l’état, passer sa souris sur la blessure qui nous indique l’objet nécessaire à son soin et ensuite aller utiliser l’objet ailleurs, autre part dans l’interface.
Imaginez, en plus de tout cela, que le jeu n’est pas mis en pause pendant vos manipulations, et vous vous rendrez aisément compte du souci. Pareillement, le jeu manque parfois d’icônes ou de couleurs pour graphiquement venir préciser une information. Parfois ce genre de choses accélérerait la prise de décision, plutôt que quatre options textuelles aux allures identiques à la suite. J’aurais de toute façon tendance à penser qu’il vaut généralement mieux ranger les informations à la verticale plutôt qu’à horizontale.
À d’autres endroits, ce sont les contrôles qui viennent poser problème. Comme lorsque la touche pour tirer est la même que celle pour interagir. C’est donc le contexte qui vient préciser ce que le bouton fait… ce qui peut être embêtant, puisqu’à chaque instant on risque de tirer si l’on tente de cibler un petit objet. En fait, c’est assez simple : quand vous fouillez un endroit, faites-le les mains vides. Même si cela vous oblige à régulièrement passer par le menu radial, il vaut mieux.
Dernière complainte, les actions pour fouiller les conteneurs ont une sorte de léger cooldown, ce qui fait que lorsque vous passez un peu vite d’une fouille à une autre, vous ne pouvez pas interagir immédiatement. Le meilleur moyen pour “reseter” est alors de sortir de la zone d’interaction avec curseur et d’y revenir. Pas un problème gravissime, mais clairement pas le genre de choses que l’on s’attendrait à trouver dans un jeu en place depuis 2014.
The Long Dark Story – Prisoner’s tales
La campagne de The Long Dark est épisodique, et pour l’heure constituée des trois cinquièmes de son contenu final, puisqu’en effet nous sommes toujours en attente des deux épisodes conclusifs, dont le prochain est pour l’instant programmé pour 2021. Nous serions bien tentés de nous plaindre du modèle épisodique, surtout quand il peut s’écouler deux ans entre deux épisodes, mais il faut admettre que cela permet aussi de largement échelonner le développement pour le studio, et de pourquoi pas, proposer une montée en gamme en termes de conception avec la prise d’expérience de l’équipe. Donc, notre souci – puisque l’on en a un – avec la campagne n’est pas tant sur le format que sur sa réalisation.
En prenant un pari narratif, The Long Dark Wintermute – c’est le nom de sa partie scénarisée – perd déjà beaucoup. Aussi bien écrit – parfois – et aussi bien doublé qu’il puisse être, la narration vient baliser une expérience dont le moteur était précédemment le joueur.
Son “narrative design” est archaïque et n’anticipe pas sur le joueur. Tous les poncifs de la narration mal exécutée en monde ouvert y sont : interactions conditionnées par l’état d’avancement des quêtes, maisons bouclées par on ne sait quelle clé magique, évènements qui se montent dans le mauvais ordre, ouverture spatiale en contradiction avec la linéarité qu’impose le déroulé narratif, tunnels de dialogues, interruptions malvenues du jeu… La liste est longue. Tout ça rentre violemment en collision avec le gameplay, pour ne laisser que les miettes d’un plaisir gâté.
The Long Dark Story – Plot Gates
Certains moments semblent ubuesques, improbables. Même l’épisode le plus récent, le troisième, sorti en 2019, se retrouve avec les mêmes défauts que les deux premiers. Il y a par exemple ce moment grandiose où pour interagir avec une survivante blessée, le jeu nous OBLIGE à avoir au préalable rempli un objectif n’ayant aucune corrélation (sachez qu’elle n’est pas diabétique). Le pire, c’est que ce genre de bêtises, quand on vient à corser la difficulté, peuvent vraiment vous mettre dans la mouise. Or, être mis en déroute par des imbrications narratives douteuses est déjà un gros souci, mais l’être dans un jeu de survie où chaque aller-retour se fait au péril de votre vie l’est encore plus.
Tant qu’à parler des arcs narratifs, autant aborder la façon qu’a le jeu de constamment dévier de route. Alors que le postulat de départ devait proposer des enjeux motivants et limpides, The Long Dark trouve toujours moyen de rallonger la sauce de péripéties qui disloquent sans cesse les enjeux.
Le point culminant de ses problèmes reste sans aucun doute l’épisode 2 dont toute la dynamique est bâtie sur la mise à l’écart du joueur et de ses actions. Le jeu fait un distinguo très clair entre ce qui est du “jeu” et ce qui est du “scénario”. Alors, quand il faut soigner ce brave homme blessé par un ours, il ne suffit pas d’avoir des fournitures médicales, non non, il faut aller chercher celles qu’indique votre marqueur de quête à l’autre bout de la planète. Il lui faut ce « plot syringe » pour se rétablir et rien d’autre, “plot syringe” évidemment trouvable que dans cette boite bien précise, dans ce bâtiment bien précis et à cet étage bien précis lui aussi. Tout est rudement rigide à ce point.
Toujours dans le même chapitre 2, on nous fait miroiter un méchant ours, une horrible bestiole qu’il est d’ailleurs hors de question de ne pas craindre… alors qu’elle est absente des phases de jeu. Elle ne nous attaque et n’existe que dans les cinématiques, on peut très bien se balader sans jamais tomber dessus, sauf que le jeu n’a que faire de ce que le joueur perçoit et vit de son côté. Il ne lui donne pas voix au chapitre et lui annonce qu’il va maintenant devoir tuer ce méchant ours qui l’empêche de se balader dans la zone, alors même que durant la dernière heure, on se pavanait tranquillement sans que rien ne bronche ou ne pipe.
Wintermute va même aller jusqu’à modifier nos stats de froid en sortie de cinématique. Tout va bien, votre barre est remplie au ¾, et bim ! Vous vous retrouvez à mourir de froid, alors que ladite cinématique a duré 2 minutes tout au plus, et qu’elle ne présentait rien qui expliquerait une chute drastique de votre température corporelle. On se sent trompé, bringuebalé au bon vouloir d’un jeu qui passe son temps à nous couper l’herbe sous le pied. Une sensation vite agaçante. La clôture de ce segment est encore plus ridicule, partant en voyage pour chercher la lance magique d’une vieille légende qui serait la seule capable d’abattre ce fameux ours, pardon ce “plot bear”.
Qu’est-ce que j’étais venu faire ici moi déjà ? Il y a un gouffre entre ce que le joueur vit et ce que le jeu lui impose de vivre, de ressentir. Pour un titre dont les lettres de noblesse lui étaient venues de la richesse de son sandbox survival, c’est un sérieux souci. Le joueur est l’obligé de quêtes qui se dispersent et se perdent. Il aurait mieux valu qu’elles se fassent plus discrètes ou au moins plus souples quant à leur résolution. The Long Dark Wintermute est une expérience à deux vitesses, qui peine à convaincre pour l’instant. Et nous émettons de gros doutes quant à voir les accrocs réglés dans les prochains épisodes, tant le troisième semble déjà faire fi des soucis des deux premiers, pourtant parus deux ans avant.
My Long Dark Story
The Long Dark ne trouve malheureusement pas sa complète rédemption dans son mode bac à sable. La raison est unique : l’architecture globale de son monde. The Long Dark est en fait divisé en secteurs comme illustré ci-dessous. D’ailleurs, si vous avez une idée de ce que signifie le code couleur, on est preneur, puisqu’il ne semble pas indexé sur la difficulté des zones. Bref, le souci avec cette carte, c’est qu’elle est en fait composée de mini zones ouvertes organisées en branche autour d’un noyau.
Vous pouvez passer une bonne heure à chercher une sortie simplement parce qu’il n’en existe qu’une – ou deux à tout péter. Seul le noyau central (Mystery Lake, à la limite Forlorn Musked) dispose de 3 entrées-sorties. Combinez à ça, un jeu en mode bac à sable, qui comme dit plus haut, vous cache la carte et qui en plus a parfois la bonne idée de vous faire commencer votre partie juste devant la sortie. Sauf que l’on ne sait pas forcément qu’il s’agit de la sortie. Si je me décide à commencer à l’extrémité d’une branche, pourquoi alors le spawn n’est-il pas logiquement situé à l’extrémité opposée de la carte, le plus à l’extérieur ? Pourquoi le jeu peut-il me faire atterrir à la jonction avec la carte suivante ? Si je veux jouer sur la carte suivante, je peux directement y faire commencer ma partie, ce sera plus simple…
The Long Dark est pénible à explorer, rempli de tout petits goulots d’étranglement. En fait, la construction du monde donne plus l’impression d’aborder linéairement des cartes ouvertes plutôt que de véritablement évoluer dans un monde ouvert. C’est dommage puisque c’est précisément sur les cartes les plus ouvertes que le jeu est le plus à l’aise et le plus plaisant à jouer. Si cette construction est certainement induite par des questions techniques – c’est compliqué de faire un monde ouvert -, une solution pourrait être d’au moins proposer un maillage de zones ouvertes plus dense et interconnecté. Quitte à avoir des temps de chargement au milieu de rien, franchement, on s’en fout. Et si le problème se lisse effectivement au fur et à mesure des tentatives, c’est aussi au fur et à mesure de ces mêmes tentatives que s’érode l’intérêt d’une carte. Sa connaissance nous déconnecte peu à peu d’une grande partie du plaisir que peut procurer The Long Dark.
Prendre le temps
Là où un certain Subnautica avait su unifier ses expériences narratives et bac à sable en une seule entité; tirant parti de l’unification des briques permise par le narratif, tout en gardant intacte la liberté offerte par une expérience bac à sable, le jeu de Unknown Worlds Entertainment avait su faire front d’un bloc. En comparaison, The Long Dark paraît disloqué.
Le jeu de Hinterland Studio souffle le chaud et le froid. Parfois brûlant, on en tombe éperdument amoureux, parfois froid à vous casser les os, on le maudit de tout notre être. Si on lui en veut autant, c’est aussi parce qu’il nous arrive parfois de beaucoup l’aimer. Malheureusement, il serait étonnant que le jeu se relève de ses défauts, pas maintenant, pas aussi tard, pas dans les termes technologiques qui sont les siens. Cela dit, même sans espoir, difficile de l’imaginer perdre tout ce qui est déjà excellent dans cette épopée glaciaire. On en retiendra le meilleur, tentant d’oublier le pire…