Youssef Salem a du succès offre à Ramzy Bedia l’un de ses meilleurs rôles, en plus de signer une nouvelle réussite pour le duo Baya Kasmi & Michel Leclerc.
Youssef Salem a du succès suit de très près Les Goûts et les couleurs, précédente collaboration entre Baya Kasmi et Michel Leclerc, qui explorait déjà les fractures sociétales et les préjugés, cette fois autour de l’univers de la chanson. On doit ainsi au duo de belles réussites, de l’incontournable Le Nom des Gens au plus récent La Lutte des Classes, en passant par l’injustement stoppée Le Grand Bazar, en format sériel à la télévision. Il résulte de leur cinéma un goût politique centré sur l’humain, interrogeant sans cesses les clichés inhérents à la religion, sans tabou et avec une grande humanité. Youssef Salem a du succès n’échappant ainsi pas à la règle. Parce que la septième collaboration du duo, meilleure réalisation de Baya Kasmi, se fait un compilation généreuse de tout leur cinéma.
Défaite de famille
Youssef Salem est un écrivain raté. Lorsqu’il rencontre enfin le succès à 45 ans avec Le Choc Toxique, basé en grande partie sur sa propre famille, les ennuis vont s’accumuler. Parce que Youssef est issu d’une famille musulmane dans laquelle règne les tabous, et surtout le mensonge : on tait ainsi l’homosexualité d’une sœur, dont la compagne et la fille sont transfigurés en colocataire, la dépression d’une sœur, musulmane pratiquante, et l’alcoolisme, en plus de la carrière ratée d’écrivain d’un fils, à qui le succès échappe complètement. Et si Ramzy Bedia trouve ici l’un de ses meilleurs rôles, le long-métrage de Baya Kasmi creuse de plus avec beaucoup de générosité tous les sujets chers à son cinéma, avec un talent sans cesse renouvelé.
Parce que si son premier long-métrage, Je suis à vous tout de suite, traitant de la prostitution et de la religion s’égarait avec nombre de ses immenses sujets, la cinéaste semble ici avoir trouvé le bon tempo. Youssef Salem a du succès s’avère être, en plus d’une comédie réussie, une synthèse parfaite de tous les thèmes du duo, traitant ici sans aucune lourdeur de la religion, du portrait d’une famille banlieusarde, de la célébrité, et de la place d’imposteur que doit affronter un musulman qui rencontre le succès. Parce que Youssef Salem a du succès n’est pas tant un film sur le succès qu »un portrait beaucoup plus profond sur la famille et les non-dits qui empoisonnent la vie, d’une population laissée de côté ayant voulu faire sa place en toute discrétion.
Ni dieu, ni lettres
Le scénario de Baya Kasmi et Michel Leclerc explore ainsi avec beaucoup de talent ce perpétuel complexe de l’imposteur subi par nombre de musulmans, étouffés entre traditions, religion et le fameux roman national, dans lesquels il est compliqué d’être soi-même. La gloire n’est ainsi pas la même pour tout le monde, et les préjugés règnent toujours en maître lorsque l’on tente de s’approprier l’histoire de famille d’un auteur qui rêvait juste d’une simple déclaration d’amour familiale, transfigurée en succès forcément polémique, reprise et interprétée par des inconnus trahissant ses mots pour en délivrer le message qui les arrange. Tout sonne ainsi juste, même lorsque le duo s’amuse à parodier des émissions littéraires, jusqu’à Koh-Lanta, où l’acuité du duo sonne toujours juste, ne s’égarant jamais ainsi dans un élan toujours généreux.
Youssef Salem a du succès s’avère ainsi croquer les petites histoires dans la grande, celles d’individus rejetés du tableau national en ayant pourtant donné leur vie pour y contribuer. Avec l’ombre terrifiante de Jean-Marie Le Pen en antagoniste kidnappant et tuant les enfants musulmans voleurs, et celle rassurante de la dictée de Bernard Pivot, le long-métrage de Baya Kasmi redonne ainsi la lumière à une famille finalement bien commune, où derrière les mensonges se cache un amour débordant. Derrière les non-dits, se cache la fierté, et derrière le succès celle l’âme d’un grand enfant, qui rêve juste d’écrire en éparpillant volontairement quelques fautes d’orthographe pour que son père vienne les corriger.
Youssef Salem a du succès est actuellement au cinéma.
Avis
Youssef Salem a du succès s'avère être une nouvelle réussite pour le duo Baya Kasmi & Michel Leclerc, s'affirmant assez évidemment comme deux de nos meilleures scénaristes hexagonaux. En plus d'offrir l'un de ses meilleurs rôles à Ramzy Bedia, le long-métrage s'apprécie comme une synthèse, toujours aussi généreuse et inspirée de leur cinéma, abordant sans lourdeur religion, préjugés et surtout un portrait de famille débordant d'amour.