Que dire sur le Napoléon vu par Abel Gance, si ce n’est que c’est le film de tous les superlatifs ? Exubérant, viscéral, excentrique, épique, sensationnel… Cette fresque virtuose de 1927, qui fait passer le Napoléon de Ridley Scott pour un sitcom sur M6, dure près de 7h dans sa « Grande Version ». Longtemps quasi-disparue dans sa forme originale, elle fait son retour au cinéma dans toute sa splendeur.
En ouverture du Festival de Cannes 2024, Thierry Frémaux (directeur de la programmation) et l’équipe de la Cinémathèque française (Costa Gavras, Frédéric Bonnaud), ont présenté en quelques mots cette œuvre titanesque. Ils l’ont introduite comme un « poème épique », loin, très loin du récit biographique authentique. Par souci probablement de calendrier, on a découvert seulement la première partie du film – c’est-à-dire tout de même 3h40 de récit. C’est déjà plus qu’un avant-goût de l’immensité cinématographique de ce Napoléon. D’ailleurs Costa-Gavras s’est permis d’annoncer la couleur : selon lui, c’est peut-être le plus grand film français de tous les temps. Rien que cela !
Le film – en incluant les deux parties – conte l’histoire de Napoléon Bonaparte depuis ses premières armes à l’école de Brienne en 1781 jusqu’à la campagne d’Italie en 1796. Mais plus qu’un récit qui suit strictement l’Histoire de manière plus ou moins objective, Abel Gance choisit de transformer Napoléon en une figure mythologique. Tel Achille dans l’Iliade, Napoléon Bonaparte est un homme valeureux, sans reproche, génie de tous les instants qui fait pâlir la vermine opportuniste autour de lui. D’un seul regard, il peut tétaniser une foule venue pour le lyncher. D’un coup d’œil, il peut concevoir un plan militaire hautement sophistiqué qui sidère ceux qui le côtoient. Bref, Napoléon n’est pas un homme, c’est un semi-dieu digne d’un mythe.
Allons, enfants de la Patrie, Napoléon est arrivé
L’historien en chacun de nous abandonne donc très vite la recherche de la vérité historique – même si le film est rempli de répliques et d’écrits véridiques – pour se laisser bercer par une aventure hors norme qui a pour seul but de déifier son protagoniste. Étant donné la durée quelque peu conséquente de l’œuvre, celle-ci est structurée à travers des courts-métrages dans le long-métrage. Chaque segment possède son antagoniste – généralement un homme aigri de la montée en puissance de Napoléon – ainsi qu’un ou de multiples actes de bravoure du petit caporal.
On pourrait revenir sur de nombreuses séquences marquantes du récit, mais étonnement, celle qui reste la plus vivace en fin de projection est la toute première : la plus grande bataille de boules de neige de l’histoire du cinéma. En une séquence, Abel Gance encapsule tout ce qu’il a envie de montrer avec son Napoléon et la séquence est un testament à son talent fou de cinéaste. Le génie déployé par le jeune Napoléon pour gagner la bataille face à ses camarades est le parfait vecteur pour montrer l’étendue de son intelligence.
Une réalisation digne d’un Empire
Avant tout, Napoléon est donc le pur produit d’un imaginaire cinématographique, exprimé à travers la langue spécifique au cinéma : l’image en mouvement. En 1927, on s’approche de la fin du cinéma muet et l’avènement du parlant. Ce dernier causera la disparition totale du premier en quelques années seulement (et le film Napoléon va en faire les frais), pourtant le muet était à son pic stylistique. À côté, les films parlants étaient plats, statiques et ennuyeux. La virtuosité de la mise en scène du muet n’avait rien de comparable et le Napoléon d’Abel Gance en est le plus digne représentant.
Il ose tout. Que ce soit par un montage frénétique qui joue sur les superpositions, la caméra à l’épaule (du jamais vu) et les coupes sèches, ou encore par son habilité à composer ses plans tels des tableaux de maître. Chaque séquence est un monument de cinéma, chaque instant représente une idée unique de mise en scène. Pour autant, cette virtuosité n’est jamais gratuite. Abel Gance cherche à faire ressentir au spectateur tout l’émerveillement que lui-même ressent pour le plus célèbre des français. C’est une lettre d’amour qui peut paraître un peu désuète avec notre regard contemporain sur le personnage, néanmoins elle se révèle si sincère que cela lui procure un charme irrésistible.
Enfin, la nouvelle restauration effectuée par la Cinémathèque française est une merveille de tous les instants. Qui plus est, elle inclut une nouvelle partition avec de grands classiques qui rendent d’autant plus épique le récit. Seul bémol : un mélange assez disparate d’univers musicaux qui parfois peuvent paraitre déplacés par rapport à l’action. On a aussi bien du Tchaïkovski que du Wagner en passant par du Mozart… Ce qui montre à quel point on peut changer totalement le sens d’une musique à travers des images.
Vous l’aurez compris, Napoléon vu par Abel Gance est une œuvre majeure du cinéma. Malgré une vision complètement fantasmée et baroque jusqu’à l’absurde de son personnage principal, le réalisateur dynamite tout sur son passage à travers une mise en scène sidérante et d’une inventivité qui n’a pas de semblable. De plus, cette fresque retrouve enfin sa forme originale, sublimée par une restauration remarquable par la Cinémathèque française. Il n’y a donc jamais eu de meilleur moment en 100 ans que maintenant pour découvrir ce chef-d’œuvre parmi les chefs-d’œuvre. Bref, vivement la seconde partie pour enfin savoir si oui ou non, Napoléon, vu par Abel Gance, est le plus grand film français de tous les temps.
Le film Napoléon sortira ultérieurement dans les salles obscures et sur Netflix. Retrouvez toutes nos critiques du Festival de Cannes 2024 ici.
Avis
Le cinéaste Costa Gavras l'avait annoncé en présentant Napoléon vu par Abel Gance comme peut-être le plus grand film français de tous les temps. Cette œuvre virtuose à la démesure inégalée est un morceau de cinéma comme on en voit peu. Loin de la biographie fidèle, c'est un poème épique qui sidère à chaque instant. Bref, du très grand cinéma !