On a l’habitude de voir débarquer sur la croisette le cinéaste japonais Hirokazu Kode-eda : prix du jury en 2013 pour Tel père, tel fils, Palme d’or en 2018 pour Une Affaire de famille et ce sans compter les nombreuses sélections en compétition (Après la tempête, Les Bonnes Étoiles). Bref, l’incarnation à l’étranger du cinéma d’auteur japonais a probablement un appartement de fonction à Cannes. Mais a-t-il toujours autant sa baguette magique pour créer des œuvres émouvantes et admirables ? La réponse est simple : L’Innocence !
Kore-eda est un cinéaste porté sur la famille à la manière de Yasujirō Ozu. Longtemps après les derniers films du maître japonais, il incarne son successeur. Néanmoins, Kore-eda n’est pas qu’une simple copie de la légende et il a su développer sa propre personnalité. Il le montre encore une fois avec L’Innocence, un récit dont on ne veut pas trop dévoiler le cheminement, car cela risque de gâcher une partie du plaisir. La vie n’est pas un long fleuve tranquille dans ce long-métrage et après avoir décortiqué les liens familiaux entre les êtres (Une affaire de famille, Tel père, tel fils), il scrute chirurgicalement la difficulté pour les uns et les autres de se comprendre, ainsi que l’incompréhension du monde de l’enfance par les adultes.
Pour aborder ces thématiques et en compagnie d’un scénariste avec lequel il n’avait jamais travaillé auparavant, Yuji Sakamoto, il développe une histoire tout en finesse où un jeune garçon, quelque peu effacé et qui ne souhaite pas être mal perçu par ses camarades, se met à se comporter de manière étrange et violente au plus grand désespoir de sa mère.
Rashōmon es-tu là ?
Fait intéressant avec L’Innocence, Kore-eda révolutionne son style de récit en empruntant des codes d’un système narratif qui a tout simplement été un séisme en 1950 et qui a permis au cinéma japonais d’être véritablement considéré à l’étranger. Ce système consiste à déconstruire la même histoire en plusieurs points de vue. Chaque partie du film apportant ses clefs de compréhension au récit jusqu’à un dernier segment de toute beauté qu’on se gardera bien de dévoiler. Ce concept a été utilisé dans Rashōmon d’Akira Kurosawa avec le récit d’un meurtre à travers le point de vue des différents protagonistes. Plus récemment, c’est Ridley Scott avec le Dernier duel qui en a fait le cœur de sa dramaturgie.
Néanmoins, là où Rashōmon propose différents points de vue, purement subjectifs, pour la même histoire – l’authenticité de ce que l’on voit est toujours remis en question – L’Innocence adopte de son côté une vision objective où chaque point de vue est comme une pièce d’un complexe puzzle. Petit à petit, Kore-eda distille les informations en prenant la perspective des personnages principaux adultes avant de basculer pleinement dans le point de vue des enfants.
Drame émouvant
Le récit manie avec brio les nuances de la psychologie des personnages tout en utilisant le drame avec justesse. Ce dernier est toujours équilibré par des instants drôles ou poétiques. De plus, comme d’habitude dans un film de Kore-eda, l’empathie suscitée par les personnages entraine le spectateur dans ce tourbillon d’émotions. Personne n’est foncièrement mauvais, tout le monde agit pour une raison. Les qualités d’écriture sont sublimées par une mise en scène impeccable, dotée d’une belle photographie ainsi que d’une bande-son minimaliste du regretté Ryūichi Sakamoto, décédé quelques semaines avant la projection du film à Cannes.
Une fois toutes les pièces du puzzle assemblées, il est difficile de ne pas être submergé par la vague émotionnelle qui déferle sur le spectateur. Le générique blanc sur noir débute tandis que les larmes coulent d’autant plus à flots. L’Innocence touche droit au cœur et laisse un souvenir vivace après la projection.
L’Innocence n’est donc pas qu’un nouveau très beau film de Kore-eda, c’est probablement l’un de ses meilleurs, si ce n’est son meilleur en terme de puissance émotionnelle. Tous les ingrédients qui font de son cinéma du grand cinéma (les qualité d’écriture, l’empathie pour les personnages, les thématiques ou encore la qualité du casting) se retrouvent dans le film, mais avec une pointe de nouveauté bienvenue. À ne pas manquer, mais surtout n’oubliez pas le paquet de mouchoirs !
L’Innocence sortira au cinéma le 27 décembre 2023. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes 2023 ici.
Avis
Tous les ingrédients qui font du cinéma de Kore-Eda du grand cinéma (les qualité d'écriture, l'empathie pour les personnages, les thématiques ou encore la qualité du casting) se retrouvent dans Monster, mais avec une pointe de nouveauté bienvenue. À ne pas manquer donc, mais surtout n'oubliez pas le paquet de mouchoirs !