Présenté au Festival de Cannes dans la Sélection Un Certain Regard, Le Temps d’Aimer est le nouveau film de Katell Quillévéré (Suzanne, Réparer les vivants), porté par Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste. Prenant pour point de départ la tonte d’une femme pour avoir eu une relation avec un soldat allemand juste avant la libération française, le film entend emmener le spectateur dans une grande épopée romanesque sur plus de 2 décennies. Le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur !
Le Temps d’Aimer était un film plutôt attendu, notamment car Katell Quillévéré n’a cessé de progresser en tant que réalisatrice, elle qui a d’ailleurs débuté au festival de Cannes via son court-métrage À bras le corps en 2005. Et après le sympathique Suzanne en 2013, c’est bien le succès de Réparer les vivants en 2016 qui a mis un léger coup de boost à la sa carrière.
Avant Le Temps d’Aimer, nous avions d’ailleurs pu voir Katell Quillévré s’atteler un biopic réussi du groupe NTM en mini-série Arte (Le Monde de demain), parvenant à capter toute la naissance d’une nouvelle génération, influencée par le rap et le graffiti. S’atteler à un projet de plus ample envergure était donc une suite logique avec Le Temps d’Aimer.
Car oui, le film part d’un postulat tout à fait excitant, en s’ouvrant sur des images d’archives de femmes tondues dans divers villages de France à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que nous découvrons Madeleine (Anaïs Demoustier) en 1947, mère célibataire du petit Daniel, fruit d’une liaison de 2 semaines avec un officier allemand qu’elle n’a jamais revu.
Serveuse dans un hôtel-restaurant à Dinard, elle y fera la rencontre de François (Vincent Lacoste), un étudiant en archéologie issu d’un milieu aisé. Attirés l’un envers l’autre, ces deux âmes solitaires vont ainsi se marier, malgré que chacun renferme un secret. Le début d’une histoire qui va se dérouler sur deux générations, et questionner la robustesse de cette famille recomposée.
Le Temps d’aimer, et d’échouer
Des velléités romanesques et intimistes tout à fait louables donc, malheureusement Le Temps d’Aimer manque de manière flagrante d’une écriture solide et d’une charpente émotionnelle digne de ce nom. Pourtant, la réalisatrice place son histoire dans un contexte d’après guerre chargé en non-dits (elle citera d’ailleurs sa grand-mère, source d’inspiration première pour le personnage de Madeline), propice pour proposer un bagage de blessures secrètes à ses protagonistes.
Mais rapidement, la mayonnaise ne prend pas, se muant en mélodrame empli de digressions, via une romance tout à fait dénuée de passion. Un manque d’alchimie est également à noter, sans doute la faute à un Vincent Lacoste trop engoncé dans son rôle d’homosexuel refoulé transformé en caricature de nanti monocorde.
Il faudra en effet attendre un arc narratif impliquant un GI américain pour commencer à toucher du doigt le projet de Katell Quillévéré, alors que la réalisatrice cristallise la problématique de Madeleine et François dans une séquence érotique de plan à trois, filmé avec pudeur et chaleur. Soit le mariage de deux rebuts de la société (une femme privée de sa propre féminité, et un homme privé de sa propre sexualité) s’aventurant sur un terrain d’intimité charnelle complice.
Sujet pertinent empli de digressions
Et même si ce segment semble amener Le Temps d’Aimer vers des pistes dramaturgiques incarnées, le tout se révèle finalement comme une parenthèse dans l’histoire des protagonistes, avant que le spectateur ne soit rattrapé par le final du métrage. Un dernier axe tout à fait pertinent, souhaitant amener une charge émotionnelle que le reste du film ne peut tout simplement introduire au préalable.
Dans ce manque de rigueur dramaturgique, il faudra se contenter d’une mise en scène carrée et plutôt soignée, mettant en avant le passage du temps et la variété de costumes présents (on reste dans du petit budget ceci dit). Katell Quillévéré évite l’imagerie d’Épinal et la napthaline, en faisant un film d’époque tourné en caméra à l’épaule,sans jamais créer de distance pour autant. Une petite réussite à ce niveau, même si on a parfois l’impression de s’immiscer dans cette France des années 50-60 par la petite porte sans vision ample.
Et si le traumatisme de la tonte, la notion de parentalité contrariée, de désir caché et de quête identitaire semblent finalement plus effleurées que profondément traitées (en particulier ce qui concerne la recherche de figure paternelle pour Daniel), elles ont le mérite d’infuser Le Temps d’Aimer, dont on louera avant tout le talent d’interprétation d’Anaïs Demoustier. Un rôle complexe,qui à défaut d’être brillamment écrit, est porté par une comédienne n’ayant pas fini de montrer de quoi elle est capable.
Le Temps d’Aimer est sorti au cinéma le 29 novembre 2023
avis
Avec Le Temps d'Aimer, Katell Quillévéré tente de créer un récit romanesque malheureusement gâché par une manque de dramaturgie et de chair. Les sujets de la parentalité et du refoulement de nos propres désirs ont beau être pertinents, ils demeurent néanmoins des ingrédients d'une recette ne fonctionnant que trop rarement, malgré une mise en scène carrée, une reconstitution solide et un casting impliqué. Dommage !