Plus de 3 ans après l’excellent Baby Driver, Edgar Wright revient avec son nouveau : Last Night in Soho. Habitué des comédies mariant les genres (la Trilogie Cornetto), le voilà pour la première fois à réaliser un thriller psychologique emprunt d’horreur et d’une touche de fantastique. Un départ qui cependant transpire l’identité de son auteur, pour un résultat des plus réjouissants.
Depuis presque 20 ans, Edgar Wright aura su imposer une filmographie lorgnant vers le sans-faute. De Shaun of the Dead à Baby Driver, en passant par Scott Pilgrim ou Hot Fuzz, le réalisateur aura livré des objets filmiques pop, subversifs, inventifs et même carrément jouissifs. En jouant avec les codes du film de zombie, de l’actioner policier, de l’invasion par des body snatchers ou bien du jeu vidéo, c’était une évidence de le voir en 2017 embrasser le drama et l’action de manière plus sérieuse.
Si le registre de l’horreur et du thriller était tout à fait inédit pour Wright avant Last Night in Soho, il s’agit là encore d’une démarche logique, étant donné que son premier long-métrage jouait allègrement avec une grammaire du cinoche horrifique des 60’s-70’s. Mais ici point de zombie ou de menace extra-terrestre, le réalisateur va directement piocher dans le giallo, tout en apportant sa propre sensibilité !
Last Night in Soho démarre de nos jours, en Cornouailles rurale. Le spectateur est introduit auprès d’Eloise Turner, passionnée de mode et de culture vintage, et qui s’apprête à débarquer à Londres pour poursuivre sa carrière de styliste. Le dépaysement est total, aussi fascinant que rude. Rapidement, elle sera contrainte d’habiter seule dans une ancienne chambre d’hôte du quartier de Soho. Dès lors, un mystérieux phénomène se produira chaque soir : peu après avoir rejoint son lit, Eloise se verra transportée quotidiennement dans les années 60 ! Un bond de cinquante ans dans le passé, où elle suivra une énigmatique jeune femme du nom de Sandy.
De fil en aiguille, Eloise deviendra un peu plus obsédée par cette blonde pleine de charme, de talent et d’assurance. Cependant, le passé va peu à peu s’immiscer dans le présent, et ainsi nous plonger dans une véritable spirale infernale : le doux fantasme va ainsi se transformer peu à peu en cauchemar éveillé ! De l’horreur (un peu), du fantastique (pas mal) et surtout du suspense (beaucoup) vont tenir en haleine le spectateur, tout au long de 2h de grande maestria visuelle et de vraies trouvailles auditives.
Dangereux Baisers de Soho
Dire que le projet était attendu est un doux euphémisme, tant l’idée de voir Wright jongler entre le fantastique et l’épouvante s’avérait une promesse excitante. D’entrée de jeu, le récit démarre comme un conte de fée, jusqu’au moment où la dure réalité rattrape Eloise. Désillusion prépondérante, alors qu’elle se heurte à un environnement sexiste et emplit de faux-semblants. En prenant Soho comme lieu principal du métrage, Wright arrive à retranscrire la dualité entre l’aspect sexy et sulfureux du West End londonien, ainsi que son caractère malfamé et dangereux. Fasciné par ce quartier depuis toujours, le réalisateur affirme que sa relation amour-haine avec la capitale aura drivé tout le processus créatif.
En résulte un environnement diablement immersif, éclairé avec maestria dans les grandes influences du giallo italien (Suspiria de Dario Argento en est évidemment une source principale rien qu’avec son héroïne, ou encore Inferno du même auteur et Répulsion de Polanski). Des rues sombres et moites où se réfléchissent les néons et autres enseignes de bars qui donnent au film une réelle aura éthérée à la frontière du rêve éveillé.. Un superbe travail que l’on doit à l’illustre chef opérateur Chung-hoon Chung, déjà responsable de la photographie d’Old Boy ou Mademoiselle. Un visuel adéquat pour mettre en lumière la part d’ombre des 60’s, et ainsi en faire ressortir sa part de danger.
De la belle ouvrage donc, au montage encore une fois précis, toujours agrémenté d’une playlist diablement bien utilisée (« Downtown » de Petula Clark, « Got My Mind Set on You » de James Ray ou encore « A World Without Love » de Peter & Gordon sont les meilleures trouvailles de la bande-son 60’s). La musique de Steven Price (Gravity, Fury) amène de surcroît une petite Carpenter-touch avec son utilisation sinistre du synthétiseur. Tout ceci concourt à immerger le spectateur et Eloise dans un passé proche de l’onirisme, avant de nous tenir en haleine par son intrigue. Une histoire prenante, qui lorgne même vers le murder mystery et le thriller fantomatique.
Une des forces de Last Night in Soho est précisément son postulat, permettant de mettre en garde contre l’aspect nostalgique. D’abord vision enchantée et idéalisée, l’escapade d’Eloise (mais également celle de Sandy) se mue en prison patriarcale et pleine de noirceur. En s’aidant de la scénariste Kristy Wilson-Cairns (1917), Wright livre un plaidoyer féministe assumé, mais surtout terriblement efficace et pertinent dans sa manière d’aborder les fantômes du passé. Sans trop en dévoiler, l’exploitation des femmes est au centre de l’intrigue, et propose quelques visuels particulièrement glaçants. L’occasion de dire qu’Edgar Wright renouvelle encore une démonstration de tout son talent de metteur en scène : la réalisation globale embrasse l’excellence (et dépasse même ses précédents travaux), jouant admirablement avec les reflets, les regards ou la gestion de l’espace. Une des scènes les plus impressionnantes (et pourtant d’une fluidité et d’une aisance dingue) est par ailleurs une séquence de danse entre 2 personnages, mais à 3 visages (un tour de force hors du commun).
Showgirl in Soho
Une virtuosité globale, jusque dans la direction d’acteurs. On ne présente plus Anya Taylor-Joy (Furiosa, Split, Le Jeu de la Dame) qui depuis The Witch impressionne à chaque fois. C’est bien simple, elle hypnotise et intrigue à chacune de ses apparitions en Sandy. Pourtant on la retrouve dans un rôle à la partition plus noire que d’habitude, et son duo avec un Matt Smith (Doctor Who, The Crown) tout aussi à l’aise en impresario au charme vénéneux est parfait. Si le reste du cast est également de très bonne facture (Synnøve Karlsen est parfaite en peste superficielle, Terence Stamp amène une aura inquiétante bienvenue, et Michael Ajao un supplément de bienveillance malgré son aspect lisse), tous les honneurs reviennent néanmoins à Thomasin McKenzie (Leave No Trace, Jojo Rabbit, Old).
L’actrice néo-zélandaise trouve ici son plus beau rôle, passant par tout le spectre émotionnel, en plus d’être une protagoniste déterminée dont on a plaisir à suivre les pérégrinations. Elle a tout d’une future grande, et cette étrange relation entre Eloise et Sandie est littéralement la charpente autour de laquelle toute l’intrigue se construit et tous les personnages gravitent. Enfin, Diana Rigg (Au Service Secret de Sa Majesté, Game of Thrones) est présente dans sa toute dernière (et adéquate) performance à l’écran.
L’occasion d’aborder les quelques faiblesses du métrage : si Last Night in Soho se veut passionnant, souvent virtuose et formidablement emballé, le scénario vire légèrement vers le téléphoné dans son dernier acte. La surexplication et le didactique prend le pas sur le sensoriel auquel le métrage nous a habitué, heureusement compensé par son climax ultra efficace ! Un brin dommage toutefois de finir sans vrai home run…
En conclusion, Last Night in Soho, malgré ses menus défauts d’écriture, est encore une preuve qu’Edgar Wright est un des meilleurs cinéastes actuels. Un thriller psychologique opérant un savoureux hommage aux giallo d’antan tout en arborant fièrement la patte de son réalisateur. Un duo d’actrices fabuleuses, une bande-son du tonnerre et une patte visuelle maîtrisée finissent de faire de cette très belle pioche un film exaltant aux accents mélancoliques bienvenus. Dénonçant avec intelligence le vice et le sexisme autant que le piège d’une nostalgie rose porteuse de noirs secrets, on vous aura prévenu : vous ne verrez rien de mieux mis en scène cette année !