Nope est le troisième film de Jordan Peele (Get Out, Us) et peut-être sa plus éclatante réussite en terme de réalisation. Un long-métrage plus ambitieux et impressionnant, mariant les genres de manière singulière tout en revisitant le film d’OVNI avec originalité : on tient là un des films les plus réjouissants de l’année tout simplement !
Jordan Peele s’est très rapidement taillé une place à part au sein du cinéma de genre américain. Ayant fait ses armes dans la comédie via la géniale web-série Key & Peele (où il faisait déjà preuve d’une réelle compréhension du mariage des genres), c’est avec Get Out en 2016 qu’il fit une entrée fracassante dans le monde du cinéma. Un petit film de 5 millions de dollars, mariant admirablement le ton de l’épouvante et de l’humour dans un thriller satirique taclant avec originalité un racisme 2.0 et bien-pensant .
Rencontres du 3e Peele
Auréolé d’un Oscar du meilleur scénario original, Peele accoucha par la suite de Us, autre film de genre lorgnant vers le home invasion de doppelgänger pour un résultat moins maîtrisé dans son écriture globale, mais à la fabrication exemplaire ainsi qu’un fond des plus intéressants. Avec Nope, Jordan Peele bénéficie de son plus gros budget pour un récit d’OVNI hautement original aux allures blockbusteresques, mais conservant totalement la patte de son auteur !
Nope donne le ton dès ses intenses premières minutes : nous sommes sur le plateau TV d’une sitcom des 90’s, alors que le tournage se finit dans un mare de sang. Quelques années plus tard, nous découvrons le ranch d’Otis Hayward Sr (Keith David), spécialisé dans l’élevage de chevaux destinés au cinéma. Alors que ce dernier va mystérieusement décéder dans des conditions étranges, Otis Jr (Daniel Kaluuya) va devoir reprendre l’affaire familiale, rapidement épaulé par sa sœur Emerald (Keke Palmer).
Obligés de vendre leurs chevaux à Ricky « Jupe » Park (Steven Yeun), promoteur à la tête d’un parc à thème et ancienne star de la fameuse sitcom introductive, nos héros vont très vite faire face à des phénomènes bien étranges. Animaux enlevés, objets tombant du ciel et nuages d’allure suspectes… les Hayward vont rapidement suspecter l’arrivée d’un objet volant non-identifié de nature extra-terrestre ! Avec l’aide d’un vendeur expert en vidéo (Brandon Perea) puis d’un documentariste chevronné (Michael Wincott), ce sera le début d’une mission périlleuse pour débusquer cette menace alien.
Les Dents du Ciel
Avec Nope, Jordan Peele convoque Spielberg et Carpenter pour accoucher de son « film d’extra-terrestre », tout en étant une relecture originale du concept. Bien entendu, la découverte fait partie du processus d’appréciation globale, et on conseillera d’éviter toute forme de bande-annonce autre que le premier teaser. Au-delà de Rencontres du 3e Type ou Signes, c’est avant tout du côté des Dents de la Mer qu’il faut se tourner en terme d’influence, alors que le réalisateur imagine le ciel comme terrain de jeu filmique pour à la fois nous sidérer, mais avant tout nous terrifier. Ici pas d’océan ni de requin, mais des nuages et un OVNI, qui arrivent à intervalles réguliers à proposer une réelle tension à la simple vue de quelque chose d’aussi anodin que le ciel.
Un superbe exploit tout à fait inédit dans l’Histoire du cinéma, que l’on doit forcément à un Jordan Peele plus talentueux que jamais dans sa maîtrise de la mise en scène, mais également au directeur de la photographie Hoyte van Hoytema (Interstellar, Dunkerque, Ad Astra, Her, Tenet) qui propose des images folles et absolument somptueuses. Via un setting désertique californien inspiré du western (mais avant tout d’un imaginaire propre à l’americana), on oscille entre plans larges de toute beauté, steadycam ultra immersive (notamment via des plans simili-subjectifs ou de séquence motorisée) et visuels nocturnes absolument saisissants (on tient sans doute parmi les scènes de nuit les mieux capturées au cinéma, et ce sans source lumineuse évidente).
Par ailleurs, Nope peut se targuer d’être le premier film d’épouvante tourné en IMAX, en utilisant à escient son budget de 70 millions de dollars. Ample et ambitieux, le film se veut également bien plus impressionnant que bon nombre de super-productions hollywoodiennes ayant couté 3 fois plus. Le résultat à l’écran se ressent (notamment lors du climax bien prenant), mais bénéficie également de plus de 700 plans à effets visuels totalement invisibles (seule une poignée de plans use de vraies images du ciel) : une réussite que l’on doit à la supervision du français Guillaume Rocheron (Panic Room, L’Odyssée de Pi, 1917), mais également à une direction artistique inspirée.
Jordan Peele retrouve par ailleurs Ruth de Jong (Twin Peaks, Oppenheimer, Yellowstone), qui amène là encore des décors pittoresques et emplis de personnalité, comme « Jupiter’s Claim », ce parc à thème tout droit sorti d’un Sergio Leone sous acide. Si on ajoute à cela une excellente BO de Michael Abels (comprenant des morceaux décuplant la tension comme « It’s in the Cloud« , d’autres plus aventureux tels que « The Run » ou même un thème principal sous influence de Morricone), on obtient un film à la fabrication tout simplement exemplaire, qui devient même boostée par des influences éparses vis-à-vis de sa menace (bio-mécaniques à la Evangelion ou encore issues du monde sous-marin).
Il va nous falloir une plus grosse caméra
Outre les qualités de réalisation pure, il faut également saluer le casting tout à fait impeccable. Daniel Kaluuya (Judas & the Black Messiah) retrouve Peele après Get Out, pour camper un dresseur de chevaux taiseux et vraie force tranquille, partageant une vraie complémentarité avec une Keke Palmer (Scream) au tempérament beaucoup plus explosif et pro-actif (c’est bien Emerald qui vole la vedette). Alors que l’un intériorise encore la perte de son père, et que l’autre cherche avant tout la célébrité, on tient là deux personnages complices qui tiennent le film à eux-seuls.
Et pourtant, le trio est également merveilleusement complété par Angel Torres, un tech-guy volontaire faisant également office de comic relief efficace. Enfin, Michael Wincott (The Crow) amène son charisme rugueux (bien que peu présent) en Antlers Holst, qui se veut aussi un avatar intra-diégétique du directeur de la photographie, dédiant sa vie à trouver le « perfect shot ». Un personnage qui aurait gagné à être plus présent, tout comme celui de Steven Yeun qui bénéficie d’une backstory glaçante, mais dont la finalité aurait mérité un tantinet plus de finition vis-à-vis de la symbiose avec la trame globale (on sait que pas mal de scènes coupées s’y consacrent).
Ce qui nous amène donc aux divers thèmes de Nope, qui sont en apparence moins prépondérants que dans Get Out ou Us, mais toujours en filigrane. On pourra avant tout y déceler un discours sur la face sombre de la médiatisation, la recherche du sensationnalisme à tout prix ou bien de la culture de l’image choc (tout le concept de ne pas détourner le regard est présent jusque dans la mise en scène).
Mais aussi quelques évocations d’une histoire américaine plus encline à oublier la tragédie ou la minorité (l’ancêtre Haywood qui était le premier homme filmé, ou Ricky le fils adoptif dont les origines étaient utilisées comme ressort comique), ainsi que notre propre rapport à une nature sauvage que l’on tente désespérément de contrôler (Gordy et le parallèle avec le fameux fait divers Charla Nash). Bref, si l’histoire se veut limpide, on tient un film riche en terme d’interprétation ou de sous-textes !
Nope c’est un grand Oui
En conclusion, nous pourrons aussi aborder l‘aisance plus qu’admirable qu’a Jordan Peele à marier l’humour et la terreur, sans que ces deux aspects pourtant opposés ne rentrent en conflit. Un exercice de cohabitation extrêmement bien tenu, autant dans un certain comique situationnel (le mot « nope » est prononcé plusieurs fois tout au long du film) que pour des passages purement effrayants (on retiendra notamment une séquence claustrophobique qui semble directement inspirée de L’Énigme de la Faille d’Arigama par Junji Itō). Amoureux de manga ou de japanim’, Peele y insère même le tout premier slide motorisé en live-action popularisé par Akira : la grande classe !
Au final, Nope reste en mémoire même après le visionnage : outre des images inédites au cinéma et une relecture singulière du film d’extra-terrestre, Jordan Peele propose ce qui ne se fait plus à Hollywood. Du cinéma R-Rated et mature, qui se donne les moyens de ses ambitions, avec une liberté artistique totale tout en étant une œuvre complètement originale ! Le résultat est des plus galvanisants, et assoit encore une fois son réalisateur comme un des cinéastes qui comptent dans le paysage américain. Excellent !
Nope sortira au cinéma le 10 août 2022
avis
Avec Nope, Jordan Peele signe son film le plus abouti et ambitieux en terme de mise en scène. Un excellent film d'OVNI audacieux et surprenant, mariant les genres et les ruptures de ton à la perfection, tout en proposant du jamais-vu au cinéma : la peur du ciel ! Un métrage qui se révèle également plus riche qu'il n'y paraît en terme de fond, rehaussé par une forme somptueuse et un casting impeccable. Un des films de l'année assurément !