Mourir peut attendre aura bien porté son nom ! On l’aura attendue cette ultime aventure de Daniel Craig en 007, et ce 26e James Bond débarque enfin. Désireux d’embrasser tout un héritage cher à la saga, tout en offrant une conclusion adéquate à l’arc du personnage initié depuis Casino Royale, on tient là un beau baroud d’honneur pour son personnage. Prêt à diviser, on regrettera un récit étiré et brinquebalant, rattrapé par son audace et une fabrication exemplaire.
La production de No Time to Die / Mourir peut attendre (initialement appelé A Reason to Die et Genoma of a Woman) aura été semée d’embûches. Danny Boyle (Steve Jobs, Trainspotting) devait se charger de la réalisation, mais devant des divergences (ton satirique, contexte de Guerre Froide moderne, méchant incarné par Tomasz Kot…) avec Barbara Broccoli et Michael G. Wilson (producteurs de la saga) l’entreprise a vite pris l’eau. Exit le script de John Hodge (T2 Trainspotting), les scénaristes Neal Purvis & Robert Wade (présents depuis Le Monde ne suffit pas) reviennent avec cette fois Cary Joji Fukunaga (True Detective, Maniac, Beasts of No Nation) à la réalisation.
Mourir peut attendre fait suite directe avec Spectre : Bond et Madeleine sont parfaitement heureux à se faire des mamours, et profitent de la Dolce Vita lors de leurs vacances au sud de l’Italie. Bien sûr, ce calme idyllique va rapidement tourner court, alors que le passé va rattraper les deux tourtereaux. Le tout va très vite se complexifier quand Felix Leiter (Jeffrey Wright revient pour la 3e fois) va mettre Bond sur la piste d’une dangereuse technologie dérobée au MI6 par un mystérieux individu. Le début d’une grosse aventure comme on les aime donc !
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Autant le dire d’emblée, Mourir peut attendre est un opus qui divisera les fans purs et durs ! Après plus de 60 ans et 25 films, la saga ose, quitte à déconstruire le personnage ! Rappelons-le, Casino Royale arrivait à apporter des nuances d’humanité bienvenues pour le célèbre espion, cachant par la suite ses failles derrière son armure. Un procédé qui apportait une surprenante sensibilité à la version de Daniel Craig, et qui se retrouve ici embrassée à bras le corps. Après s’être amouraché de Madeleine, ce dernier a encore du mal à faire fi du passé et du fantôme de Vesper. Constamment le regard tourné au-dessus de l’épaule, le souvenir de la trahison est toujours présent, et viendra mettre du bâton dans les roues à son désir de lâcher prise.
De Sean Connery à Pierce Brosnan, 007 aura été une figure désormais mythique de l’espion célibataire, séducteur (un brin misogyne) et sans attaches. Avec la volonté de montrer l’homme derrière le costard et le Walter PPK, Mourir peut attendre risque donc de diviser, mais c’est oublier qu’un des meilleurs opus avait déjà entrepris cette route. Au Service Secret de Sa Majesté plaçait déjà James comme marié et prêt à la vie de famille, avec cependant une issue tragique. En reprenant par ailleurs le morceau culte « We Have All the Time in the World« , No Time to Die souhaite donc offrir une issue émotionnelle pour le célèbre espion. Une sortie réussie qui renouvelle les enjeux, mettant l’amour et la mort au premier plan, bien que légèrement amenée avec quelques sabots ceci dit !
Jamais plus jamais sans mon Walter PPK
Ce qui marquera d’entrée de jeu dès l’ouverture prenante et énigmatique de Mourir peut attendre, est sa réalisation. Pour la première superproduction de sa carrière, Fukunaga arrive à emballer un des opus les mieux mis en scène de la série ! Aidé de Linus Sandgren (La La Land, First Man) qui propose une photographie glacée aux teintes bleutées de toute beauté, le bougre est aussi à l’aise dans les moments de tension ou d’action pure. On se souvient tous du plan-séquence de la saison 1 de True Detective, et sans réitérer un exercice de style, propose régulièrement quelques pugilats musclés sans cut, dont une excellente fusillade en cage d’escalier tournée en mini plan-séquence de 3 min ! De savoureuses idées de mise en scène ici et là absolument réjouissantes et parvenant à créer une vraie immersion dans l’action.
Des séquences d’action variées donc, de la trépidante poursuite d’intro à Matera au climax prenant, en passant par un jeu du chat et de la souris en plein brouillard dans une forêt norvégienne, No Time to Die soigne chacun de ses moments de bravoure. Exit le découpage à la truelle de Quantum of Solace ou celui apathique de Spectre : c’est brut, sec et percutant en offrant un lot de prises de vues variées. Bref, on tient là un des épisodes les mieux fignolés donc, avec une vraie patte de faiseur derrière !
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Outre son aspect visuel, il faut également saluer tout l’impressionnant sound design dont jouit le film ! Après David Arnold et Thomas Newman, c’est ni plus ni moins que l’inénarrable Hans Zimmer qui s’attelle à la musique ! Une bande-originale de très bonne facture, oscillant entre l’hommage et l’héritage des sonorités cuivrées de John Barry (on peut par ailleurs entendre à un moment le thème de Au Service Secret de Sa Majesté), mais aussi la touche Zimmerienne à la The Dark Knight (réellement présente en dernière partie de film). En résulte une partition rythmée, riche et variée, parfaitement adaptée pour un James Bond ! Cerise sur le gâteau : la mélancolique chanson éponyme par Billie Eilish épouse parfaitement les somptueux visuels du générique d’ouverture (un des plus beaux de la saga) !
En parlant d’identité de la franchise, Mourir peut attendre se vit comme une vraie aventure avec son lot de gadgets et de destinations internationales. Des décors pittoresques italiens à l’exotisme de la Jamaïque, en passant par les rues nocturnes cubaines ou les contrées scandinaves, le dépaysement est présent. Un soin et une ampleur accordée aux décors qui renoue avec la tradition, jusque dans la base secrète en fin de film (qui sans égaler les sets monumentaux de Ken Adam de l’ère Connery, rappelle l’île du Dr No dans la toute première aventure de 007).
Vilain Double 0
Parlons du bas qui blesse : le méchant ! De No à Silva, la série nous aura abreuvé de vilains variés. Plus ou moins réussis ou mémorables, cette opposition avec un adversaire digne de ce nom est toujours gage de qualité. Malheureusement, Lyutsifer Safin ne restera pas forcément dans les annales ! Non pas que Rami Malek (Mr Robot, The Little Things, Bohemian Rhapsody) soit en cause, son ton monocorde neurasthénique et son aura arrivent à le rendre crédible en méchant Bondien. Ce dernier est même admirablement introduit par une séquence pré-générique étonnante convoquant les codes du slasher et la présentation d’un look masqué avec une forte identité.
Dès lors que sa confrontation avec Bond survient, Safin se révèle être un antagoniste manichéen au possible : plan nébuleux sans motivation tangible (mais à la dangerosité palpable), pseudo-background lié à un autre personnage mais sans réel lien avec ses agissements… Le tout vire rapidement à la crypto-psychologie de comptoir (« toi et moi Bond on est pareils ») sans réelle substance. La faute aux réécritures sans doute, rendant le tout plutôt superficiel. On se contentera du fait qu’il arrive à représenter une menace étrange et efficiente, notamment via un homme de main (Primo, joué par Dali Benssalah) à la gâchette facile et au look atypique avec son œil de verre.
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L’occasion donc d’aborder l’écriture du film : très solide dans sa 1e heure, plus éparpillée par la suite ! On le sait, Scott Z. Burns (La Vengeance dans la Peau) a été script-doctor avant que Phoebe Waller-Bridge (Fleabag, Killing Eve) rapplique pour donner un coup de polish au scénario. Un ajout qui se ressent en particulier dans les dialogues. Via un sens de la punchline et de la répartie bien senti, ces derniers font souvent mouche, et renoue avec la finesse de l’humour british cher à James Bond. Un point fort, qui ne masque pas un récit qui s’étire avant son dernier tiers (via un élément que l’on ne spoilera pas) et préparant à coups de sabots la dernière ligne droite. Écartelé entre la volonté de respecter les codes et celle de démystifier 007, l’intrigue s’emmêle un chouïa les pinceaux avant un imposant bouquet final chargé d’émotion qui écrase littéralement les défauts du film !
Au niveau du casting, on retrouve évidemment avec plaisir toute l’équipe du MI6 (Ralph Fiennes, Ben Wishaw, Naomie Harris…) ainsi qu’une courte (et réussie) apparition de Christoph Waltz en Blofeld. Mais ce sont définitivement les personnages féminins qui brillent dans Mourir peut attendre ! On se plaira à découvrir Lashana Lynch (Captain Marvel) en Nomi, la nouvelle 007 bien badass et à l’humour caustique, qui offre un vrai contrepoids à Bond. Sans jamais paraître pénible ou castratrice, on tient là un compagnon d’action de choix qui n’éclipse jamais Bond ! Ana de Armas (Knives Out) incarne quand à elle l’agent de la CIA Paloma, une débutante pétillante et un peu gauche qui n’est pas non plus sans pareille pour casser des gueules. Un personnage rajouté au dernier moment par Waller-Bridge, mais qui offre une parenthèse absolument fun au sein de l’intrigue ! La réelle Bond Girl reste Léa Seydoux cependant, bien mieux utilisée que dans Spectre en étant plus proactive, et avec un vrai poids émotionnel alloué à son duo avec Craig.
Mourir peut attendre mais On ne vit qu’une fois
Comment parler de Mourir peut attendre sans évoquer celui qui aura porter le rôle pendant 15 ans. Daniel Craig donne tout dans cette ultime aventure, plus James Bondien que jamais. On retrouve tout le charme, le flegme et la physicalité que ce dernier a pu déployé auparavant, avec cette fois-ci une légère touche d’humour bien sentie (il s’agit étonnamment de son film le plus drôle en tant que 007). Autant à l’aise dans les scènes de gravitas que dans des mano-a-manos brutaux, on aura pas vu un interprète du célèbre agent secret autant impliqué dans sa dernière aventure ! Un vrai action man à la dimension humaine donc !
Malgré quelques problèmes d’écriture, un méchant pas à la hauteur et un récit étiré versant un tantinet dans le mélodrame, cette 26 aventure de James Bond aura accompli ce qu’aucun autre film de la franchise n’aura réussi jusqu’alors : rendre un dernier au-revoir de qualité tout en proposant une conclusion à la portée émotionnelle complètement inédite. Un pari qui fera parler, mais qui fait d’hors et déjà date dans l’Histoire de 007, en plus de proposer un très bel adieu à Daniel Craig. Parfaitement mis en scène, on tient là un Bond atypique, imparfait (James Bond n’aura jamais été aussi dépoussiéré qu’en 2006), mais qu’on oubliera pas de sitôt !