En Sélection officielle du Festival de Cannes et initialement prévu pour une sortie cinéma, Soul des studios Disney/Pixar débarquera finalement sur Disney+. Le nouveau film de Pete Docter se révèle être non seulement un des plus beaux films de l’année, mais également l’œuvre la plus mature de Pixar à ce jour.
Alors que Disney mise autant sur le grand que le petit écran, Soul est le premier film Pixar qu’on ne pourra découvrir sur grand écran. Malgré tout, cette légère frustration sera immédiatement balayée dès l’ouverture du film de Pete Docter. Réalisateur génial de Monstres & Cie, Là-Haut, Vice-Versa, et tête pensante du studio à la lampe, Docter imagine Soul depuis près de deux décennies. Lors de la naissance de ses enfants, le bougre s’est longuement questionné sur notre propre existence : D’où vient-on ? Quel est notre but ? Des interrogations introspectives qui auront parfois jalonné sa filmographie, mais qui sont ici transcendées !
Soul nous introduit au personnage de Joe Gardner, prof de musique quarantenaire, virtuose du piano et amoureux de jazz. Alors qu’il ne se satisfait pas de son emploi (au grand dam de sa mère), Joe parvient à décrocher le job de ses rêves au sein d’un groupe de prestige. Malheureusement, un funeste accident l’enverra prématurément vers l’Au-Delà. Dès lors, Joe fera tout pour regagner son corps sur Terre. Pour se faire, il fera la rencontre de « 22 », une âme espiègle et cynique refusant de rejoindre le monde des mortels. Ce sera donc le début d’un voyage entre un personnage refusant de mourir, et un autre refusant de vivre !
Tout comme bon nombre de films du studio, Soul comporte tous les ingrédients que l’on est en droit d’attendre d’un film Pixar. Un buddy movie entre 2 personnages complémentaires, un univers visuel inédit, un rythme sans grand temps mort, de multiples niveaux de lecture et bien sûr de l’émotion. Quelque part entre Ratatouille, Vice-Versa et Coco, Soul pioche les éléments les plus intéressants pour brasser tout un panel impressionnant de thématiques. La mort, la vie, la naissance, le deuil, le regret, la passion, la musique, le pardon, les vocations, l’acceptation, le don de soi…une richesse de propos qui ne fait pas nécessairement redite avec le passé, et qui aborde le sens même de la vie.
La dernière fois qu’un long-métrage d’animation américain abordait ce type de questions existentielles, c’était avec le Happy Feet 2 de George Miller. Peut-être moins adapté aux tous petits (qui passeront irrémédiablement à côté du principal), le film reste adapté pour tout le monde. Drôle, rythmé et plein de charme, Soul n’est peut-être pas l’aventure la plus « fun » ou rocambolesque du studio, mais une des plus ambitieuses, sincères et inventives. Et comme toujours, le travail visuel autant que technique est à saluer : que ce soient les animations ou la direction artistique, c’est encore une fois une grande réussite !
Une leçon de narration et d’inventivité
Soul est un exploit dans sa manière de représenter visuellement des concepts abstraits, philosophiques, ésotériques et spirituels. Via une aisance ahurissante, Pete Docter et l’ensemble des magiciens impliqués dans l’élaboration du film arrivent à concevoir un univers visuel singulier qui parlera à tout type de public, peu importe l’âge, l’appartenance sexuelle, culturelle ou religieuse. Une universalité de représentation qui transparait dans chaque lieu : le tunnel vers l’Au-Delà (où les âmes y grillent comme des moustiques), les plaines du Grand Avant (où les âmes s’apprêtent à trouver leurs corps terrestre), le Grand Bazar (où chacun doit y trouver sa flamme et sa vocation) ou bien un grand océan désertique hanté par les âmes errantes en peine…
Mais contrairement au monde du subconscient de Vice-Versa ou le monde des morts de Coco, la majeure partie de Soul se déroule quand même sur Terre, via un twist que l’on ne révèlera évidemment pas. Loin des décors vaporeux et « non-physiques » du Grand Avant, le monde réel est une vraie splendeur pour les yeux. Aidés de Bradford Young (directeur de la photographie de Premier Contact et When They See Us), les animateurs livrent le Pixar le plus détaillé qui soit (avec Toy Story 4), en capturant le feeling de ruche foisonnante caractéristique de la ville de New York. C’est détaillé, plein de vie, et un vrai bonheur pour la rétine !
Si Soul bénéficie d’un bon doublage VF (avec Omar Sy et Camille Cottin), on ne peut cependant que conseiller la VO, absolument parfaite. Jamie Foxx campe un Joe mélomane dont la passion communicative le rend immédiatement attachant et sympathique. Fonceur et prêt à tout pour accomplir ses rêves, c’est réellement lui la force motrice de l’intrigue ! À ses côtés, Tina Fey prouve encore ses talents en doublant « 22 ». Un personnage qui ne tombe jamais dans des travers de boulet agaçant et qui au contraire jouit d’une touchante évolution au sein d’un arc narratif consubstantiel au cœur du film. Si le reste des personnages est plutôt au second plan (notamment les figures épurées Jerry et Terry, ou l’entourage de Joe), ils n’en demeurent pas moins réussis et importants pour le récit.
Un casting vocal de luxe (Angela Bassett, Phylicia Rashad, Questlove, Daveed Diggs, Alice Braga, Graham Norton…) qui trouve à intervalles réguliers son moment pour briller. Kemp Powers (co-scénariste et co-réalisateur) était également présent pour une représentation adéquate du milieu du jazz et des personnages afro-américains (majoritaires dans Soul). En résulte une vraie authenticité, fabuleusement supportée par une bande-son jazzy intra-diégétique composée par Jon Batiste. Mais l’exploit musical de Soul reste sa bande originale composée par le duo Trent Reznor & Atticus Ross (The Social Network, Gone Girl, Millenium, Watchmen). Des sons électroniques à la portée éthérale et atmosphériques, véhiculant autant l’émotion que l’ambiance extra-dimensionnelle de Soul (« The Great Beyond« , « Betrayal » ou « Just Us » en sont de parfaits exemples). Une des meilleures BO de l’année tout simplement !
Une ode à la vie avec un supplément d’âme
En parlant d’émotion, Soul n’est peut-être pas le Pixar le plus lacrymal qui soit (cette palme étant allouée dernièrement à Coco et En Avant). Comme si cette fois, l’émotion émanait de manière plus insidieuse, après digestion globale du propos global : un film qui s’adresse avant tout à notre cœur et notre cerveau plutôt qu’à nos tripes donc, mais qui n’oublie jamais d’émouvoir ou de toucher le spectateur de par son humanité universelle. Si on est proche du chef-d’œuvre, Soul est légèrement handicapé par sa durée d’1h30. Ambitieux et profond, le film n’a pas le temps d’explorer à 100% toutes ses thématiques, à l’image d’un superbe épilogue se finissant de manière un peu succincte.
Si 10-15 min de plus n’auraient pas été de refus, il n’y a cependant pas de quoi bouder son plaisir devant cette nouvelle pépite de Pixar. Soul va à l’essentiel avec une fluidité rare, et c’est à se demander d’où vient vient cette magie si caractéristique des artistes de ce studio. Profondément touchant, ambitieux visuellement, techniquement irréprochable, singulier dans son approche thématique, Soul aborde ce qui nous définit tous en tant qu’être humain. Œuvre la plus mature du studio (avec Wall-E et Là-Haut, dont il partage les mêmes questionnements existentiels), Soul célèbre nos passions tout en nous intimant de ne pas passer à côté de notre existence, via le plaisir des petits riens de notre quotidien. Une magnifique ode à la vie, pour un des plus beaux films de l’année.