Cela fait maintenant une semaine que Mank a débarqué sur Netflix. Alors que les critiques dithyrambiques pleuvent sur le film, dont celle de notre rédacteur Charley, aujourd’hui nous allons vous fournir un avis bien plus contrasté, qui fera forcément débat.
Il est certain que chaque nouvelle création de David Fincher, réalisateur qui aura autant su marquer le cinéma moderne que le monde des séries (House of Cards, Mindhunter, Love, Death and Robots…), est attendue comme une œuvre messianique. Le cinéaste n’ayant jamais fait un mauvais film jusqu’à présent et abordant avec Mank l’industrie du cinéma et la production de Citzen Kane, le plus grand film de la période classique Hollywoodienne, nous avions de quoi être excité. La déception n’en est que plus grande…
Mank, le moins Fincherien
Qu’on éjecte directement les évidences : oui le film est beau. Les plans sont effectivement millimétrés, la lumière parfaitement pensée et en adéquation avec le magnifique noir et blanc, une première pour le cinéaste. Mais cela relève d’un enfonçage de porte ouverte quand on aborde une création de David Fincher, un réalisateur au perfectionnisme névrotique.
Cependant pour la première fois, le cinéaste se retient au niveau des effets de style pour coller à l’esthétique du cinéma classique. En résulte une mise en scène beaucoup moins grisante qu’à l’accoutumée (hormis une scène électorale complètement onirique !) et une démarche où la réalisation s’efface derrière le scénario. Là où à son habitude Fincher le sublimait avec des innovations techniques et esthétiques. Une démarche pouvant être légitime, louable et efficace, si et seulement si le scénario était à la hauteur… Ce qui n’est pas le cas.
Tout d’abord le projet se vend comme un biopic racontant l’écriture de Citizen Kane par Herman Mankiewicz (habité par un Gary Oldman toujours au sommet) et sa collaboration houleuse avec Orson Welles. Mais au final pas vraiment, puisque que ce postulat n’est qu’un prétexte pour encadrer le passé du scénariste, son implication dans un système Hollywoodien hypocrite et ses relations qui auront inspiré l’histoire de Kane.
Mais aussi pour parler de la situation politique californienne de l’époque. Et des impacts de la grande dépression. Et de l’alcoolisme du personnage, de sa relation avec son frère (le grand cinéaste Joseph Mankiewicz qui aura marqué l’histoire du cinéma), de ses convictions socialistes dans une époque très républicaine etc… Et là se révèle le défaut de ce script : à vouloir parler de tout, il finit par ne parler de rien.
Un film sans ligne directrice
Le récit se focalise sur Mank, nous vivons les événements uniquement à travers son vécu. Un choix judicieux si ce n’est que le personnage ne poursuit aucun réel but, Fincher le faisant seulement déambuler dans ce star systeme sans objectif à accomplir ou d’obstacle à surmonter.
La fin du film où il exige d’être enfin re-crédité au générique de Citizen Kane pourrait laisser penser que tout son parcours avait pour but de retrouver sa fibre artistique, ou bien d’accepter de nouveau ce système qui l’avait désabusé. Mais la problématique n’a pas été posée au préalable, rendant cette conclusion inopinée. Nous voyons aussi son alcoolisme mais cela n’est jamais traité comme un défaut fatal à surmonter, à l’inverse cela lui permet de réécrire.
La véritable intention de cette focalisation réside dans le portrait du Hollywood qu’il dépeint, gangrené par les manigances, la corruption politique et les fake news pour diriger l’opinion publique. Des thématiques plus qu’actuelles à la sortie d’un mandat trumpien mais qui au final semble bien artificielles puisqu’elles n’ont pratiquement pas d’impact sur Mank, étant un simple spectateur passif au milieu de ce contexte.
Nous pourrions croire que ses idées socialistes assumées l’entraineraient dans un conflit moral et idéologique, à l’instar d’un Dalton Trumbo une décennie plus tard. Il n’en est rien, son caractère “grande gueule” l’amène paradoxalement dans les hautes sphères. L’absence de conflit résulte en un récit d’une platitude décevante.
Mank, une œuvre hermétique et élitiste
Cela n’est pas aidé par un David Fincher refusant de prendre le spectateur par la main. Nous sommes témoins d’un étalage de noms historiques, de personnages secondaires et d’un système particulier qu’on ne daigne nous contextualiser, les connaissances d’Herman étant acquises dès les prémisses.
Notre confrère Charley confiait dans sa critique que “le film se veut parfois rude et distant, d’autant plus qu’une connaissance préalable de son contexte est clairement requise pour apprécier les subtilités”. Nous sommes on ne peut plus d’accord et cela représente pour nous un échec consternant d’un récit outrageusement élitiste. Une approche qui ne serait pas forcément néfaste si les mécaniques internes narratives se suffisaient à elles-mêmes.
Cependant même les personnages gravitant autour de Mank n’arrivent pas à exister et trouver leur place dans ce gloubi boulga narratif. Marion Davies (Amanda Seygfried), Sara Mankiewicz (Tuppence Middleton) et Rita Alexander (Lily Collins) n’ont aucune autre fonction dans l’histoire que d’être des échos de personnages féminins de Citizen Kane. Un simple clin d’œil pour les connaisseurs du classique. Malgré un temps de présence important à l’écran, elles n’influent finalement en rien sur les choix et le parcours du protagoniste.
Mais là où le bas blesse, c’est surtout dans le personnage de William Hearst (interprété par un Charle Dance qui n’a pas grand chose à jouer), un magnat des médias dont les actions insidieuses sont décalquées et critiquées par Mank à travers le script qu’il écrit pour Welles, dans un dernier élan contestataire et vengeur. Alors que tous les personnages secondaires s’égosillent à dissuader le scénariste d’achever son réquisitoire fictionnel par peur des représailles du ponte Hearst.
Une narration bancale
Clairement identifié comme un antagoniste -puisque dans une révélation tardive nous apprendrons que ce dernier usera de son influence pour blacklister Mankiewicz- aucune scène ne montrera finalement Hearst être une menace et véritablement abuser de son pouvoir. L’inverse même de la règle d’or cinématographique du “Show, don’t tell”, empêchant de créer un sentiment de danger et d’enjeu dramatique pour le protagoniste, alors que le récit est censé reposer sur ce conflit.
Un parallèle peut être dressé avec le chef d’œuvre de Fincher The Social Network car il use de la même structure d’allers/retours dans le temps pour reposer sur le mystère de la déchéance sociale de son personnage principal. Mais là où Sorkin (Scénariste dudit film prodige) fluidifiait astucieusement sa narration en posant des questions dans les flashforwards qui trouvaient leur réponses dans les flashbacks; ici les bonds dans les temporalités sont plus hasardeux et brisent l’harmonie narrative.
Pour preuve, le climax final qui alterne la scène du diner passé confrontant Mank contre Hearst, dans une ivresse funeste et le face à face présent avec Welles, le tout ponctué par des fondus au noir incessant. Un ping pong qui dans l’idée pourrait faire sens (Kane étant une projection de Hearst) mais dont l’exécution nuit à toute l’immersion et la tension des deux temporalités, les transitions étant grossières et la nature intrinsèque des deux conflits ne se faisant pas écho.
Ce travail scénaristique bancal s’explique en regardant les crédits : Jack Fincher, défunt père du réalisateur, a écrit Mank. Malgré la présence d’Eric Roth à la production pour un peu retravailler le script, il est manifeste que l’auteur originel n’avait pas l’expérience nécessaire pour mener à bien ses ambitions plus qu’intéressantes. Et en effet, il suffit d’exécuter un petit travail de recherche pour apprendre que Jack Fincher n’a jamais été scénariste de formation, de métier (il eût écrit un biopic sur Howard Hughes qui ne vit jamais le jour, au profit de The Aviator) ou même d’un quelconque poste dans l’industrie du cinéma.
Un film trop personnel et intime
Alors que David Fincher a l’habitude de sélectionner et travailler avec les meilleurs auteurs, Mank nous laisse penser qu’il n’avait pas le recul nécessaire pour sublimer son matériau de base et s’est laissé aveugler par la dimension affective de son projet. Un script qu’il essaie d’amener à l’écran depuis les années 90 et Jack décédant en 2003, il a vu dans les pleins pouvoirs confiés par Netflix l’occasion de rendre hommage à son père en concrétisant son travail.
La démarche touchante résulte en une œuvre privée, la plus personnelle de sa carrière. Justement trop intime, car en refusant de remanier l’histoire et s’effaçant derrière elle par souci d’hommage à la mémoire de son père, il en oublie les mécaniques narratives et surtout son spectateur.
Mank est donc un film mineur de Fincher mais un film majeur POUR Fincher. Sûrement une nécessité personnelle qu’au final nous ne lui reprocherons pas. Mais maintenant, nous attendons encore plus impatiemment la nouvelle claque du cinéaste de Seven, Fight Club, Zodiac, The Social Network, Gone Girl car il est clair que Mank ne l’est pas.