Pour débuter cette rétrospective sur la filmographie de l’illustre David Fincher, nul doute qu’Alien 3 a sa place. Pourtant, cet espace alloué à la suite d’Alien et Aliens n’est pas si légitime qu’il en a l’air.
Véritable enfer lors de son développement, cette suite désormais culte pour de multiples raisons fut un vrai calvaire à tourner. En effet, cette première réalisation est complètement désavouée par Fincher lui-même, et représente l’effort de plusieurs forces créatives successives, sans réel auteur dans le résultat final. Retour sur un Alien 3, un opus controversé sorti en 1992 !
Dès 1987, la pré-production d’Alien 3 fut lancée. Pas facile de succéder aux mastodontes que représentent le film claustrophobique de Ridley Scott, et la grande aventure d’action-horreur de James Cameron. Mais la Fox, David Giller, ainsi que les producteurs Walter Hill-Gordon Caroll souhaitent un 3e opus qui emmène la franchise vers de nouveaux horizons.
Plusieurs pistes (et autant de scénaristes) sont explorées : un dyptique cyberpunk signé William Gibson (l’auteur de Neuromancer) où des Marines se retrouvent dans une station spatiale commerciale envahie de xénomorphes (testés comme des armes biologiques par la Weyland-Yutani) ; une aventure de Guerre Froide futuriste se déroulant dans un bio-dôme représentant une ville américaine, ou encore David Twohy qui imagine un setting de planète-prison (des idées qu’il utilisera pour développer Pitch Black et la franchise Riddick). Même un premier teaser promet une intrigue sur Terre !
Une conception dans la douleur
Renny Harlin (Die Hard 2) pris un temps la chaise de réalisateur, désireux d’explorer le monde d’origine des Xénos (Prometheus et Alien Covenant avant l’heure donc). Devant ce development hell qui ne satisfait personne, le néo-zélandais Vincent Ward débarque dans l’optique d’écrire et réaliser ce 3e opus, garantissant avant tout le retour d’Ellen Ripley. Son script pose les grandes bases de l’ADN d’Alien 3, à savoir une Ripley seule dans un monde austère suite au crash de sa navette.
Oui, la mort polémique de Newt et Hicks était déjà dans cette version, prenant place sur une planète artificielle nommée Arceon. Faite de bois et de métal, il s’agit d’un gigantesque monastère dénué de femmes, voyant la venue de Ripley comme source de tentation et contraire à leur vœu de chasteté. Le Xénomorphe quand à lui représente évidemment le Démon. Si cette version fut avortée pour différents artistiques, divers éléments pivots resteront dans la version finale, au moment où la Fox réécrit le tout et contacte un jeune réalisateur de clips musicaux…
David Fincher débarqua sur le train en marche, 5 semaines avant le début du tournage. Grand admirateur du film original, ce dernier est désireux de revenir à une ambiance glauque, malsaine et violente : une approche beaucoup plus cloisonnée sans être dans la redite. Il ira jusqu’à demander à H.R. Giger de designer un nouveau Xénomorphe quadrupède, tel un « puma ou une bête ». Giger se prendra au jeu, créant un Alien aussi terrifiant qu’érotique dans son allure, doté d’une langue capable d’embrasser et d’étriper ses victimes. Malheureusement, devant le retard de production et un script non-finalisé, ces idées ne seront pas retenues (Giger ne planchera plus jamais sur la franchise). Seul le « bébé Xéno » sera conservé, issu d’un bœuf (ou d’un chien dans la version cinéma).
Car oui, difficile de parler d’Alien 3 sans évoquer les 2 versions disponibles. La faute à un tournage chaotique qui laissera Fincher sur le carreau, gêné par des producteurs castrateurs souhaitant piloter le réalisateur, et une deadline à tenir sans script terminé. Dégoûté de l’expérience, ce dernier ira même jusqu’à abandonner toute envie de revenir dans le milieu du cinéma, et quittera l’aventure au moment de la dernière scène tournée. Il restera quand même une version de travail de près de 3h : ultra gore et violente (on raconte que l’autopsie de Newt était full frontale), ce premier jet sera rejeté aux tests screenings puis remonté par la Fox sans Fincher. Une pérennité compliquée à appréhender donc !
Escape from Fury 161
Alien³ place son intrigue directement après Aliens, où comme par magie un un œuf de facehugger se sera retrouvé dans le Sulaco, créant le crash de navette. Dans une excellente séquence d’intro désenchantée, Ripley échouera sur Fiorina « Fury » 161, une planète-prison (tiens tiens) reculée et balayée par les vents de sa surface invivable. Peuplée de prisonniers masculins porteurs d’un double chromosome Y les rendant violents et asociaux, ces derniers voient en Ripley une intrusion majeure de leur système de vie presque moyenâgeux et autarcique. Lorsqu’un Xénomorphe menacera toute cette joyeuse bande, Ripley sera leur dernier espoir, elle-même enceinte d’un Alien…
Inutile de dire que dans ce pitch de départ, les restes du script de Vincent Ward sont bien là : un univers plus gothico-médiéval, des personnages masculins se tournant vers la religion, la condamnation via la grossesse de Ripley et donc la mort hors-champ de Hicks et Newt. Ce dernier point est un élément facile à détester (James Cameron vivra cela comme une trahison, pareil pour Neill Blomkamp lors de son projet d’Alien 5), mais néanmoins cohérent dans une logique sans concession de dépeindre une destinée tragique pour la plus grande héroïne du Cinéma. Alien³ est donc moins un film sur la survie face à une entité extra-terrestre, et avant tout un film centré sur ses personnages, leur souffrance et le trauma de Ripley (désormais chauve pour raisons scénaristiques, faisant un curieux parallèle visuel avec l’antagoniste alien).
Cette ambition d’un film crépusculaire se soldant sur le sacrifice ultime de son héroïne se retrouvera malheureusement contrariée. La version cinéma d’1h50, tièdement accueillie, laisse très peu de places aux personnages (bazarde même le destin de certains) et contextualise chichement son intrigue pour bénéficier d’un rythme plus soutenu. En résulte un film peu déplaisant, mais bien bancal à plus d’un titre en plus de rusher sa 2nde partie. Un constat dommageable donc, qui trouvera une meilleure incarnation beaucoup mieux accueillie une décennie plus tard.
En 2003 néanmoins sortira l’Assembly Cut d’une durée de 2h20, montée à partir de la version de travail initiale. Très clairement LA seule version à voir et conserver, son apport se jauge dès les premières minutes du film, prenant son temps pour présenter son univers et ses personnages. Une intro également plus pesante, agrémentée de beaux plans en extérieur aux matte paintings soignés. L’origine bovine du Xénomorphe (voulue par Fincher initialement) est par ailleurs conservée. Si tous les défauts ne sont pas corrigés (certains personnages restent encore trop en retrait, la narration est parfois un peu brinquebalante à mi-parcours et manque de focus en passant du coq à l’âne…), cette version se révèle globalement plutôt cohérente et tenue dans ses intentions. Une petite consolation, sans être l’œuvre définitive et approuvée d’un auteur unique
Joli Alien bridé
Après connaissance de la filmographie de Fincher, on peut à intervalles réguliers entrapercevoir les ambitions du réalisateur, ainsi que son style (on se basera uniquement sur l’Assembly Cut). Comme précédemment cité, la toute première partie du film est sans aucun doute la meilleure, parvenant bien à isoler Ripley dans une atmosphère anxiogène, austère et menaçant. Comme le dit Fincher lui-même « Je voulais qu’on ait l’impression de débarquer dans un snuff movie spatial ». La mise en scène se veut inspirée, posée, précise dans ses cadrages (parfois moins dans son montage). Impression flagrante lors d’une séquence d’autopsie dont la froideur clinique renverra à ses prochains films, où le cadrage des personnages en contre-plongé ou en jouant avec les effets d’ombre (inspirés de The Third Man) instaure une promiscuité et un climat d’insécurité très singulier au sein de la franchise.
L’occasion d’aborder un gros point positif d’Alien³ : son visuel ! Jordan Cronenweth (le légendaire chef opérateur de Blade Runner) concevra l’identité visuelle du film, avant d’abandonner le tournage 2 semaines plus tard à cause de sa maladie de Parkinson. Alex Thomson (le non moins renommé directeur de la photographie de Legend, l’Année du Dragon ou encore Labyrinthe) prendra la relève tout en conservant l’approche initiée. On notera la salle principale des criminels, éclairée d’en-haut telle la lumière divine (cohérente avec l’ordre religieux dominant au sein de l’intrigue), le sanatorium et sa colorimétrie jaune (seul « havre de paix » au sein de l’intrigue) et enfin l’ensemble des dédales rougeoyants de la mine de méthane, tels la fournaise des Enfers hantée par la Bête.
Norman Reynolds (chef décorateur sur la trilogie originale Star Wars, Superman ainsi que les Aventuriers de l’Arche Perdue) livre une production design inspirée : les décors tout en verticalité ou au contraire exigus ont du caractère, et offrent un vrai terrain de jeu filmique autant dans des scènes de dialogues que celles de poursuite. On notera en particulier une séquence de steadycam désormais iconique en plan subjectif (certes utilisée avec une certaine redondance), suivant les déplacements félins du Xénomorphe.
Ce dernier n’est plus tant le sujet principal du film : plus vif, massif et animal que précédemment, le « Runner » représente une menace classique de slasher. Le film est peu terrifiant, mais bénéficie de son ambiance lourde et parfois dépressive, utilisant quand même efficacement le Xénomorphe (bien que le design et les idées prévues par Giger manquent terriblement). Premier film de la franchise à utiliser les images de synthèse, on déplorera une poignée de plans larges n’ayant pas très bien vieilli, incrustant la créature via des CGI qui détonent. Effet collatéral d’une production accélérée, qui diminue la physicalité et l’aspect tangible de la menace Alien.
Heureusement, les décors en dur sont de toute beauté, proposant un enfer métallique et lugubre bien palpable. La palme revient au travail de maquettes et d’animatroniques utilisés : l’androïde Bishop de Aliens fait une courte mais marquante apparition via un travail d’orfèvre, représentant sa tête à moitié arrachée mais toujours fonctionnelle. Pour le reste, Alien³ est un film où la technologie à très peu sa place, matérialisée par l’absence d’armes à feu (condition sine qua non de Sigourney Weaver) et renforçant l’aspect médiévalo-science-fictionnel ainsi que le danger ambiant.
Danger matérialisé aussi bien par le Xénomorphe que par certains détenus (dont un Holt McCallany pré-Fight Club et Mindhunter) désireux de « consommer » le fruit défendu qu’est Ripley. Une très bonne scène pleine d’intensité (mention au crochet du droit de Weaver!)…une des rares participant à la contextualisation de son univers, des persos secondaires et de l’identité du film. Concernant le reste des prisonniers, il faudra compter sur l’excellent Paul McGann (Luther) en illuminé psychotique voyant la Bête comme un messie rédempteur.
Un casting de gueule
Alien 3 bénéficie d’un casting de talent (beaucoup d’acteurs avec un passif théâtral similaire), plus ou moins bien mis en avant. De vraies gueules comme Pete Postlethwaite (Le Monde Perdu) ou Ralph Brown (Good Morning England) où l’intrigue abandonnera finalement leur personnage dans la dernière partie (tel Golic et sa mort hors-champ). Si le directeur de la prison (un Brian Glover qu’on aime détester) en impose, et que Lance Henriksen revient pour une courte apparition qui fait sens, c’est bien Charles S. Dutton (Oz) et Charles Dance (Last Action Hero) que l’on retiendra dans le cast masculin.
Le premier amène son charisme de leader-prêtre pour sa communauté et un véritable atout pour la fin du film. Le second campe un personnage de love interest au passé contrasté et intéressant. Si cette simili-romance s’installe un peu trop rapidement, sa finalité participe à caractériser l’état d’esprit de Ripley, désireuse d’en finir avec ses désillusions et le chemin de mort initié sur LV-426.
Quoiqu’il en soit, Sigourney Weaver est LA reine d’Alien 3. Sans aucun doute sa meilleure performance dans le rôle-titre avec Aliens, Weaver apporte une sensibilité et une souffrance de martyre en totale adéquation avec la destinée de son personnage. Prête à se sacrifier pour couper le lien (littéral et figuré) qu’elle entretient avec le Xénomorphe, mais également pour empêcher la Weyland-Yutani d’acquérir l’arme biologique ultime, c’est à une belle conclusion douce-amère pour Ripley que le spectateur fait face.
La très bonne BO d’Eliott Goldenthal (Heat, Demolition Man) renforce ce dernier baroud d’honneur christique de par sa dimension opératique (le morceau « Adagio » est excellent). Une musique orchestrale qui laisse par moments sa place à un sound design beaucoup plus atmosphérique et lourd (la piste « Agnus Dei » avec ces chants grégoriens). Un très bon point positif, parvenant à différencier ce 3e opus tout en apportant sa pierre à l’édifice au niveau de son identité sonore.
Un héritage doux-amer
Alien 3 n’est pas parfait (loin de là), et comporte encore des défauts malgré une nouvelle version mieux fournie. Un film malade donc, sans auteur ou version créatrice claire à sa tête. Difficile de passer à côté d’une production compliquée, dont les stigmates se ressentent au cœur du produit final. Heureusement, la Assembly Cut propose dorénavant un 3e opus cohérent, qui apporte définitivement sa singularité. Que ce soit dans le paysage de SF, de blockbuster ou même au sein de la saga Alien (premier film à apporter l’idée que l’hôte modifie la nature anatomique du xénomorphe), l’ambition initiale du projet se révèle encore, bien que diminuée.
Alien³ est donc un ultime baroud d’honneur pour Ellen Ripley (dans son itération classique avant Alien Resurrection). Si l’utilisation du Xénomorphe, la violence ou la noirceur globale, les personnages ou le sous-texte religieux auraient pu être encore plus exploités, on tient un chouette film de genre. Proposant parmi les visuels les plus remarquables de la série, Alien³ n’est pas à négliger, mais hélas aucune version finale n’est prête à pointer le bout de sa mâchoire acide. Moins un film de Fincher qu’un film de la Fox en définitive, mais dont les restes accouchent d’une solide suite revenant aux fondamentaux, à défaut d’être complètement transcendante.
Un commentaire
Excellente critique, analyse. Rien n’a ete oublié, je me suis retrouvée sur la prod pendant cette lecture. Merci