Canopée est un seul en scène musical, acrobatique et philosophique qui nous fait vivre une expérience forte et inédite.
Canopée est un spectacle inclassable qui commence par nous déstabiliser. Car ce n’est pas dans « son » mais dans « ses » univers que nous embarque le très très talentueux Boris Vigneron.
Ça commence en concert électro, dans une atmosphère quelque peu psychédélique tandis que des fumées colorées viennent de temps à autre recouvrir la pénombre ambiante. Avec ses cheveux longs, son chapeau tactile et sa voix transformée, l’homme sur scène s’empare de l’espace d’une manière très personnelle. Et qui n’a pas fini de nous surprendre ! Car rien ne va se passer comme prévu dans ce spectacle étonnant et maîtrisé de bout en bout.
Une formidable montée en puissance
À vrai dire, on ne comprend pas tout de suite ce qui est en train de se passer. On ne sait plus bien où l’on est, à quoi on assiste, vers quelle destination nous avons embarqué. Un concert, vraiment ? On doute. Et puis, quand les choses commencent à mal tourner, on demande même confirmation à notre voisine (qui se posait justement la même question !). Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : nous sommes hypnotisés par ce qui se déroule sur scène dès les tout premiers instants…
Et l’on perçoit peu à peu qu’il s’agit de bien plus que d’un concert ; que ce qui a l’air de ressembler à un joyeux bordel est en réalité parfaitement et précisément orchestré ; que ce « ratage » est au moins aussi bien maîtrisé que celui de Fred Blin ! On comprend qu’aucun mot, aucun mouvement n’est laissé au hasard. Tout prend sens peu à peu, et l’énergie qui émane du public grandit au même rythme pour se mêler à celle qui embrase la scène.
Une réflexion sur la nature humaine
Canopée n’est pas un spectacle évident à raconter à vrai dire. C’est une expérience qu’il faut vivre, ressentir et digérer. Et c’est au fur et à mesure – et plus encore à la fin, avec une vue d’ensemble – que l’on comprend que le propos est bien plus profond et engagé qu’il pouvait le paraître au premier abord. En effet, il y est question de la place de l’Homme dans l’écosystème, du paradoxe de cette Humanité qui ne parvient pas à intégrer l’idée qu’elle fait partie d’un tout et s’est rendu esclave du progrès, de la technologie, jusqu’à y perdre son essence, son âme, son sens.
« La communication nous consomme. La consommation nous consume. »
Car derrière la dimension comique de ce spectacle duquel le personnage perd le contrôle, c’est un message fort qui se dégage. Ainsi, à mesure que tous les éléments techniques et autres effets de « mise en scène » le lâchent les uns après les autres, qu’il tente de s’accrocher à ce qu’il peut en véritable saltimbanque, c’est l’homme qui se dévoile peu à peu, qui revient à lui.
Et il est fascinant de l’observer ainsi, progressivement dépouillé de ses artifices, de ses équipements électroniques, de son costume, se dévoiler, retrouver sa voix et nous apparaître dans ce qu’il a de plus accessible et de plus touchant. De plus humain finalement. Quand les paillettes ont disparu, ne reste que l’Homme, à nu. Et le show prend alors des airs de confidence. Bientôt, d’autres couches seront épluchées pour un retour à l’état le plus primitif qui soit…
Une performance hors-norme
Boris Vigneron déploie des trésors d’inventivité et de talent pour aborder des thématiques aussi actuelles qu’essentielles d’une manière tout à fait insolite et brillante. Nous en avons pourtant vu des spectacles – sans parler des films et documentaires – sur ces sujets. Beaucoup d’entre eux très bons d’ailleurs. Et nous ne pensions pas qu’il serait encore possible de nous surprendre dans la manière d’en parler. Nous n’attendions pas tant de poésie, de subtilité, de finesse et d’originalité.
« On est possédé par ce qui nous appartient. »
Et puis surtout… quel talent ! Quelle énergie ! Et quelle audace ! En effet, l’Artiste (avec un grand A) est comédien, musicien, chanteur, acrobate, clown… et parvient à ne décevoir nulle part. Soutenu par la mise en scène de Patrick de Valette – membre des Chiche Capon – et la complicité de Manuel Mazurczack, il nous trouble, nous étonne, nous fait rire… Il nous subjugue, aussi, quand il incarne un singe avec un réalisme incroyable ; nous charme quand sa voix fait résonner les mots d’une superbe chanson sur l’Humanité…
Canopée est un spectacle qui dure des jours… Enfin, dans le théâtre, c’est 1h10. Mais il continue bien plus longtemps dans notre tête et dans nos conversations. D’autant que tout le propos n’est pas explicité, loin de là. Notre imaginaire est mobilisé. Aussi, impossible d’en sortir sans avoir envie d’en parler, d’en débattre, de s’étonner de ce que l’on vient de voir et de poursuivre la réflexion. En résumé : du talent à l’état pur, comme on aime en découvrir.
Canopée, de et avec Boris Vigneron, en collaboration avec Manuel Mazurczack, mise en scène de Patrick de Valette, se joue jusqu’au 31 décembre, les jeudis, vendredis et samedis à 21h, au Palais des Glaces.
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet, à 10h25, au Théâtre des Lucioles au Festival OFF d’Avignon.
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
Du burlesque au tragique, Boris Vigneron signe un show unique, d'une intensité époustouflante. Plus qu'un spectacle, c'est un véritable concept. Et son contenu est si riche, dans le fond comme dans la forme, qu'on ne vous conseille pas seulement de le voir, mais aussi de le revoir !