Abuela est le nouveau long-métrage du maître du film d’horreur espagnol Paco Plaza. Après le succès colossal de la saga REC, le réalisateur poursuit sa carrière vers une réalisation moins nerveuse et explosive. Après Verónica en 2017, il revient en 2022 avec ce nouveau long-métrage, une nouvelle œuvre cinématographique horrifique cette fois à la limite du elevated horror. Malgré un pitch plutôt classique, Monsieur Paco Plaza semble signer son meilleur long-métrage : réfléchi, complet et inquiétant.
Né en 1973 à Valence en Espagne, Paco Plaza est diplômé de l’Université de Valence en Sciences de l’Information ainsi que de l’Ecole Supérieure de Cinéma et d’Audiovisuel à Madrid. Ses courts-métrages sont très remarqués à l’époque. Son premier film, Les Enfants d’Abraham, reçoit le Grand Prix au festival de Sitges en 2002. Son long-métrage Veronica rencontre également un grand succès avec sept nominations aux Goyas (les César espagnol) en 2017. Enfin, la trilogie REC connaît le succès qu’on lui connaît et un premier volet qui remporte à l’époque le prix du jury au Festival de Gérardmer en 2008. C’est donc avec une certaine évidence que le réalisateur est revenu au Festival de Gérardmer en 2021 avec Abuela, repartant encore une fois avec le prix du Jury au terme de cette 29ème édition du festival.
Abuela raconte l’histoire de Susanna (Almudena Amor), une jeune mannequin espagnole sur le point de percer dans le milieu de la mode parisienne. Au même moment, sa grand-mère (Vera Valdez) subit un accident la laissant quasi paralysée. Elle doit donc rentrer à Madrid dans le vieil appartement où elle a grandi afin de veiller sur celle qui constitue son unique famille. Alors que leur anniversaire commun approche et que de vieux souvenirs ressurgissent en parallèle d’évènements inquiétants, le comportement de sa grand-mère devient de plus en plus inquiétant…
Le Cinéma d’Horreur
Le genre « horreur » a traversé l’histoire du cinéma. Il était présent au travers de l’expressionnisme allemand avec Murnau, dans les films de monstre avec Universal Monsters, dans les slashers avec Michael Myers notamment, ou bien encore dans le gore avec Saw par exemple. Plus récemment est apparu un nouveau mouvement horrifique, amorcé notamment par des productions du studio A24 : l’elevated horror.
L’elevated horror a été associé à des réalisateurs récents, comme Ari Aster (Hérédité, Midsommar), Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse), David Lowery (A Ghostory) ou encore Jordan Peele (Get Out, Us). On découvre des longs-métrages atmosphériques, aux rythmes lents au service du récit. Les auteurs travaillent en général sur des univers réalistes mais malsains, dans lesquels on ressent un véritable malaise pendant toute la durée du métrage. L’horreur est moins frontale, plus psychologique et propose des récits aux dimensions sociales importantes et intemporelles. Avec son long-métrage, Paco Plaza propose un véritable film d’horreur, tant sur sa forme que sur son fond.
Le dramaturge Juan Mayorga disait que l’art doit être dangereux. Je crois que nous sommes habitués à des films très confortables, tandis que moi, j’aime être dérangé, et qu’un film me secoue, me donne à penser.
Paco Plaza, dans un entretien avec Wild Bunch Distribution.
Abuela est une métaphore filée de la place de nos aînés au sein de nos propres vies. Paco Plaza invite le spectateur à une réflexion sur son rapport aux figures paternelles et maternelles. Quel est notre rôle lorsqu’ils arrivent en fin de vie ? Quels sacrifices sommes-nous prêts à faire pour eux ? Mais surtout : que cela nous coûtera-t-il ? Abuela aborde également la question des maisons de retraite ou encore celle des auxiliaires de vie à domicile. Dit comme ça, on pourrait avoir peur de l’ennui. Pourtant, Paco Plaza arrive à en parler au travers d’une mise en scène maîtrisée avec un fantastique mélange de drame et d’horreur. En découle un discours profond et un film terrifiant sur deux degrés de lecture différents.
Paco Plaza raconte également l’histoire d’une introspection du corps, de la jeunesse et de la vieillesse. Abuela dévoile d’abord le corps de la vingtenaire en sous-vêtements dans le milieu de la mode, puis montre ensuite celui d’une grand-mère dont le corps et les formes s’effacent au gré du temps. A la limite du body horror, Paco Plaza entretient pourtant toujours une certaine douceur et un certain respect des corps. Le réalisateur propose aussi une réflexion sur notre propre image et notre rapport réseaux sociaux. Susanna s’observe, se compare sur Instagram, se fait insulter de vieille au travail, du haut de ses 25 ans. Abuela parle du temps qui passe, inexorable, et de ses conséquences sociales et professionnelles.
Techniquement irréprochable
Tandis que l’auteur développe un véritable sujet de fond, il n’en oublie pas moins sa forme. Abuela a été tourné en pellicule 35 mm. La texture et son grain évoquent une impression, comme s’il gravait la peau de son film. On peut alors voir le processus technique de captation d’image comme la capture d’un instant vital, avec une pellicule qui s’imprime par et grâce à la lumière.
Paco Plaza propose un décor restreint mais extrêmement bien utilisé. L’appartement devient un véritable personnage, témoin du temps passé qui emprisonne l’héroïne et le spectateur. Le réalisateur nous piège dans un décor changeant, évolutif et renouvelle sans cesse son cadre. Il ménage ses effets et chaque scène devient plus terrifiante qu’auparavant, grâce à une réinvention permanente du décor. Cette grande force du film, on la retrouve également grâce à la photographie de Daniel Fernández-Abellló. Plutôt naturaliste dans son approche, elle est synonyme d’une certaine réalité, renforçant à nouveau les thématiques du long-métrage.
On fait de la télévision de qualité en ce moment, alors la motivation pour aller en salles, c’est d’aller voir quelque chose de différent.
Paco Plaza, dans un entretien avec Wild Bunch Distribution.
Ce qui est sûr, c’est qu’Abuela n’est pas le film auquel on s’attend. On en ressort avec de véritables réflexions sur son entourage. Faut-il être égoïste et créer la carrière dont on a toujours rêvé tant qu’on est jeune ? Ou bien donner notre jeunesse aux aînés avant qu’ils ne partent à tout jamais ? Dans tous les cas, Paco Plaza nous met en garde : attention de ne pas s’effacer, de s’oublier, pour les autres.
Abuela est actuellement au cinéma.
Avis
Abuela est un terrible film qui reste en tête. Paco Plaza s'attaque directement au spectateur pour l'interroger sur son rapport familial et sur ses choix de vie. Faut-il profiter de sa jeunesse ou bien laisser son âme à nos aînés ? Des questions peu conventionnelles qui remettent en question notre existence.