Zodiac sera un retour en grâce auprès de la critique pour David Fincher. Sorti en 2007 et en sélection du Festival de Cannes, le film représente un intense travail de documentation et d’investigation. Centré sur une décennie d’enquête concernant l’identité du Tueur du Zodiaque, ce 6e film de Fincher impressionne autant par sa méticulosité que par sa direction d’acteurs exemplaire.
Pour aborder Zodiac, commençons par le commencement : le Tueur du Zodiaque est un serial killer ayant réellement existé. Ce dernier terrorisa pendant plus d’une décennie (fin 1960’s- fin 1970’s) la région de San Francisco. Des meurtres à la chaîne, sans lien évident entre les victimes, qu’il revendiquera par messages codés aux journaux, lettres à la police, morceaux de vêtements ensanglantés et même déclarations à la radio. Un fait divers d’autant plus remarquable que l’identité du Zodiaque n’a jamais été découverte (la police scientifique n’existait pratiquement pas) !
Un cas d’affaires non-résolues exceptionnel, que Robert Graysmith (travaillant comme caricaturiste au sein du journal Chronicle) n’oubliera pas. Regroupant toutes sorte de témoignages et autres indices, ce dernier enquêtera jusqu’à écrire un livre éponyme dont est tiré ce fameux film. Le scénariste James Vanderbilt (The Amazing Spider-Man 1 & 2) en tirera un script, que les producteurs de Phoenix Pictures feront lire à David Fincher. Considéré comme l’homme de la situation (après tout responsable du plus grand film de serial killer), ce dernier tombera sous le charme du sujet, d’autant que le Zodiaque fait aussi partie intégrante de ses souvenirs d’enfance !
Fincher considérera plusieurs projets après Panic Room : une adaptation du Dahlia Noir (qui échouera à De Palma) en mini-série, ou encore l’adaptation du roman de science-fiction Rendez vous avec Rama d’Arthur C. Clarke avec Morgan Freeman. Mais lorsque tout ceci tombera à l’eau (dont un Mission : Impossible 3 violent se déroulant en Afrique auprès des trafiquants d’organes), travailler sur Zodiac sera pour lui l’opportunité d’invoquer ses plus lointains souvenirs d’enfance. En effet, il admettra s’être remémoré le tueur comme l’ultime « boogeyman », d’autant qu’il n’aura jamais été arrêté.
Désireux d’apporter une authenticité à l’histoire contée, il entreprendra avec son équipe une rigueur d’investigation ahurissante pour recueillir tous les témoignages d’époque possibles ! Graysmith, Toschi (inspecteur en charge de l’affaire), familles, victimes rescapées, policiers et maires impliqués… de longs mois d’interviews et même de photos d’archives récupérées serviront à à la fabrication du film. En particulier pour ce qui sera de recréer chaque lieu et les situations telles qu’elles se sont logiquement déroulées. Un travail titanesque qui porte immédiatement ses fruits !
Les Hommes de l’investigation
En prenant pour référence assumée Les Hommes du Président de Alan J. Pakula (un de ses films fétiches), Fincher fait de Zodiac un drame policier et journalistique d’exception. Robert Graysmith est le vrai point de repère du spectateur, qui représente donc une porte d’entrée dans tout cet univers. C’est à travers ses yeux (et le point de vue objectif de la caméra) que nous entrons dans les locaux du Chronicle de San Francisco, en suivant l’avancée d’une lettre. La première d’une longue série, lancée tel le premier domino d’un jeu sinistre dont le Zodiaque est le chef d’orchestre.
Dès lors, Zodiac oscillera entre interrogatoires, investigations sur les lieux de crimes, recueils de preuves et autres moments procéduraux qui pourraient sur le papier être barbants et peu cinégéniques (concrètement, on retrouve tous les ingrédients de ce que sera Mindhunter une décennie plus tard). Et pourtant, comme le dit bien Guillermo Del Toro, Zodiac est un « film à une chaussette’, c’est-à-dire : tu es en train de t’habiller, tu tombes dessus à la télé, tu t’assoies (avec une chaussette dans la main) et tu le regardes jusqu’au bout« . Un film d’une précision et d’une exhaustivité rare, où une séquence de dialogue au commissariat, un repas dans un cadre familial ou encore un meurtre graphique revêt la même importance à l’écran.
En parlant de ça, Zodiac n’est pas un film de serial killer ou même un polar. Point d’assassinats stylisés ou dignes d’un film d’horreur, malgré une mise en scène travaillée. En effet, dès l’introduction du film, on assiste à un premier meurtre par le Zodiaque : introduction du setting, présentation du couple de victimes (habillées comme lors des faits réels), traveling et mouvements de caméra épousant leurs regards inquiets sur une voiture isolée… Une tension palpable avant le moment fatidique, ne glamourisant jamais le tueur en question.
De surcroit, le visage de ce dernier sera constamment gardé hors-champ, dans la pénombre ou cagoulé. Un intelligent procédé qui non seulement motive la découverte de son identité, mais également en totale adéquation avec le fait qu’on ne saura jamais explicitement de qui il s’agit. De plus, le personnage en temps que tel n’est pas présent plus de 2 minutes à l’écran ! Un boogeyman ultime et terrifiant donc, mais non glorifié par ses actes ou ses intrigants puzzles.
Le détail dans l’invisible
Zodiac est sans aucun doute le film le moins stylisé de David Fincher. Un constat d’autant plus remarquable étant donné sa sortie après les expérimentations visuelles de Fight Club et Panic Room. Moins « showy » donc, pourtant on tient un film à la mise en scène toujours maîtrisée et carrée, se permettant parfois de vraies fulgurances. En effet, à l’image du Zodiaque, le film se veut calme, posé, et explose rapidement lors de moments de tension phénoménaux. Outre la séquence d’intro, on retiendra une angoissante séquence d’auto-stop ou l’inoubliable passage dans un sous-sol (une flippe distillée par quelques sons, un usage du silence et une ligne de dialogue : brillant !). Tout ça parfaitement emballé via une photographie de Harris Savides (chef opérateur sur The Game, ou encore Elephant de Gus Van Sant).
Utilisant pour la première fois des caméras numériques pour un film, Fincher se laissera pousser des ailes. Non contraint de planifier à outrance une scène sous pellicule (qui nécessite des rembobinages fréquents), il pourra enchaîner les prises et en varier la teneur jusqu’à atteindre le résultat adéquat. Un processus caractéristique du réalisateur, au grand dam de ses acteurs (Jake Gyllenhaal tournera plus d’une trentaine de prises une simple séquence de 5 secondes où il doit jeter son carnet sur le siège passager !). Un tournage appuyant le côté méticuleux du cinéaste, et qui révolutionnera sa méthode de travail.
Zodiac bénéficie d’un soin maladif dans sa production design, afin de recréer tel quel chaque lieu, chaque rue, et même chaque journal d’époque présent au sein du San Francisco Chronicle. Une authenticité de chaque instant au service des faits relatés, qui ira de la reproduction d’accessoires à l’utilisation massive d’effets spéciaux numériques. Si il y a bien un film de Fincher qui illustre sa maestria à utiliser les CGI de manière totalement adéquate et invisible, c’est bien Zodiac (plus de 200 plans du film). Que ce soit un shot slow-motion sur un coup de feu (seules séquences non tournées en numérique), des arrière-plans entiers de rues, un tracking shot zénithal inquiétant sur un taxi ou le traveling aérien sur la Baie de San Francisco : tous sont crées par fond bleu ! Même le sang vu à l’écran est entièrement créé par ordinateur. Une économie de moyen in fine, qui permet de tourner jusqu’à 90 fois la même scène rapidement, et surtout d’apporter une exactitude parfaite des lieux d’époque.
Un formidable boulot de Digital Domain et Matte World Digital (les superviseurs des FX Eric Barba et Craig Barron ont par ailleurs fait leurs armes avec Fincher chez ILM ou bien dans la pub) qui sera également au service de la narration. On pensera notamment à une scène de construction en time-lapse entièrement réalisée par ordinateur pour illustrer le temps qui passe. Effet également appuyé par l’incorporation des nouvelles technologies au fil des ans (regardez bien les accessoires sur les bureaux tout au long du film) ou l’utilisation de la musique. La BO vintage composée par David Shire (Conversation Secrète et… Les Hommes du Président) se veut très discrète et minimaliste (seulement 15 minutes de notes au piano et quelques cuivres). À la place, Fincher désire avant tout un sound design ambiant prononcé (par Ren Klyce, collaborateur sur tous ses films) et des musiques d’époque dont il se souvient lui-même, puisant dans ses souvenirs d’enfance pour nous faire remonter le temps. Une tracklist allant des summer vibes (« Easy to be Hard » des Three Dog Night) au mélancolique rétrospectif (« Hurdy Gurdy Man » de Donovan) en passant par le superbe blues de Marvin Gaye (« Inner City Blues« ). Un soin global que n’aurait pas renié Tarantino sur Once Upon a Time in Hollywood !
L’obsession de la justice
Plus qu’un film sur la traque d’un tuteur, Zodiac est avant tout un film de personnages affectés par leur incapacité à découvrir la vérité. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller avant d’abandonner ? Telle est la question centrale du film, tournant autour d’un casting parfait et impliqué. Jake Gyllenhaal (après Donnie Darko et Brokeback Mountain) pourrait être considéré comme le personnage principal, néanmoins le film n’hésite pas à présenter rapidement ses protagonistes avant de les délaisser, puis les reprendre 1h plus tard. Un acte offrant à Zodiac un aspect choral au service de son intrigue procédurière. Et encore une fois, quel cast : Mark Ruffalo (I Know This Much is True) excelle en inspecteur charismatique (le réel Toschi fut aussi consultant sur le film), Robert Downey Jr (période pré-Iron Man) offre une interprétation pleine de bagout, Anthony Edwards (Goose de Top Gun) apporte une vraie humanité au sein des rangs de la police, Brian Cox (Manhunter) fait une apparition remarquée (rôle initialement prévu pour Gary Oldman), tout comme une Chloë Sevigny (The Dead don’t Die) primordiale vis à vis de Graysmith.
Car en effet dans Zodiac, plus que tous les autres protagonistes, c’est bien ce dernier qui est au cœur de ce que raconte le film. D’abord dessinateur cultivé et boy-scout sur les bords, il se plongera corps et âme dans cette enquête après que tout le monde ait abandonné. Une quête obsessionnelle (« je dois savoir« , « je dois regarder dans ses yeux« ) qui se répercutera sur l’équilibre de sa vie privée, et qui prend racine dans une quasi admiration du Zodiaque. Après tout, ce dernier peut aussi être considéré comme un artiste, utilisant des symboles comme Graysmith. Gyllenhaal retranscrit parfaitement cette double facette du personnage, un rôle qui préfigure son interprétation dans Prisoners en quelque sorte. Enfin, comment ne pas parler de John Carroll Lynch (Le Fondateur, The Highwaymen), marquant en suspect principal de l’affaire malgré un faible temps de présence. Une direction d’acteurs aiguisée comme des lames de rasoir !
En conclusion, Zodiac est un film pivot pour Fincher, faisant joujou avec le numérique pour définitivement transformer sa méthode de travail. En résulte un long-métrage qui touche l’excellence, d’une précision journalistique admirable et d’une méticulosité rare. Un vrai film sur la quête obsessionnelle de justice (Spielberg ira aussi sur ce terrain là avec Pentagon Papers). Se terminant par un témoignage reprenant la musique d’intro, on se rend rapidement compte que même des années après, les stigmates laissés par une personne inconnue restent ancrés dans les mémoires. Des victimes, enquêteurs ou n’importe quel quidam hanté par une volonté de finalité… telle est la substantifique moelle de Zodiac !
En définitive, on tient là un vrai morceau de bravoure, qui amène quand même un semblant de réponse sur l’identité du tueur. Une demi porte-ouverte donc, clôturant une intrigue riche de 2h40 (plus long film du cinéaste avec Benjamin Button, et le tout sans bout de gras) qui aurait peut-être même méritée un format de mini-série pour y développer absolument tous les fascinants aspects. Un constat partagé par l’auteur lui-même, mais qui ne pèse pas bien lourd tant on tient là un des meilleurs drames policiers de mémoire récente. Un superbe exploit, seulement surpassé par l’immense Memories of Murder de Bong Joon-ho sorti 4 ans plus tôt. Brillant !