Oppenheimer est le tout nouveau film de Christopher Nolan (The Dark Knight, Interstellar, Dunkerque), et le premier depuis son départ de la Warner pour un partenariat avec Universal. Dans ce biopic ambitieux de 3h, le réalisateur adepte des variations de temporalité accouche d’un vrai film à l’ancienne sur le père fondateur de la bombe atomique. Un personnage de choix, impeccablement incarné par Cillian Murphy (Peaky Blinders) et entouré d’un casting 5 étoiles.
On ne présente plus Christopher Nolan, réalisateur sacro-saint depuis une vingtaine d’années désormais. De Memento à Tenet, en passant par la trilogie The Dark Knight, Le Prestige, Dunkerque ou l’inénarrable Interstellar, le cinéaste britannique a su imposer son nom dans l’industrie Hollywoodienne, si bien qu’il est considéré aujourd’hui comme le Spielberg contemporain ! Il n’est donc pas étonnant de voir qu’Oppenheimer est capable de se bâtir entièrement sur la tagline de « A Film by Christopher Nolan ».
Pourtant, à l’heure des blockbusters franchisés à giga-budgets et à la non-prise de risque des majors, Oppenheimer fait tout de même office de petit miracle rien que dans ses prémices : un biopic de 3h, avec une reconstitution d’époque, un casting all-star et le tout basé sur avant tout sur le verbe plutôt que l’action. Une rareté comme on en a plus depuis des années !
Car à l’instar des films de l’Âge d’Or Hollywoodien, ce nouveau film de Christopher Nolan embrasse un classicisme absolu (dans le sens propre du terme) en abordant une figure importante de l’Histoire : J. Robert Oppenheimer ! Physicien hors pair ayant étudié dans les plus grandes universités européennes, ce dernier est notamment connu pour ses travaux avant-gardistes en mécanique quantique, la fameuse théorie des trous noirs et bien sûr à la base de la bombe à hydrogène du Projet Manhattan.
Derrière les lignes de front : J. Robert Oppenheimer
Oppenheimer entend bien donc lever le voile sur ce personnage (en allant encore plus loin que Les Maîtres de l’Ombre de Roland Joffé) en basant toute l’intrigue sur sa biographie. Et d’entrée de jeu, Oppenheimer s’inscrit comme le film le plus dense de la carrière de Christopher Nolan ,regorgeant de détails, d’informations, de noms et de personnages sur plusieurs décennies. Un aspect opulent et aussi verbeux qu’un The Social Network en quelque sorte, ancré dans les 30’s et 40’s alors que le monde est en proie à la plus terrible des Guerres mondiales.
Pourtant, Christopher Nolan parvient à rendre le tout des plus digestes, orchestrant son film telle une symphonie via une narration non-linéaire assez caractéristique du bonhomme. Ainsi, la première heure nous présente toute l’ascension d’Oppenheimer : de ses heurts face aux mystères de la physique nucléaire, en passant par sa vie sentimentale partagée entre deux femmes et une certaine fascination par le chaos.
Comme tout grand biopic qui se respecte (Nolan citait d’ailleurs JFK ou Lawrence d’Arabie comme influences majeures), on explore son œuvre, son intimité, les retombées politico-médiatiques et l’impact sur son entourage. Tous les ingrédients sont donc présents dans un script extrêmement riche et complexe à agencer : il ne sera donc pas étonnant de constater un certain manque de respiration malgré la durée colossale du métrage !
En effet, le rythme demeure quand même soutenu pour dévoiler son flow continu d’informations. Un très bon point en terme de visionnage (les 3h passent réellement plus vite que prévues), au détriment du développement de certains personnages secondaires ou de relations pourtant clés. Ce sera le cas pour la maîtresse d’Oppenheimer (incarnée par une Florence Pugh toujours aussi magnétique à l’écran) ainsi que sa femme (l’excellente Emily Blunt), dont les rencontres avec ce dernier paraissent finalement assez expédiées malgré l’importance de ces figures.
Casting de stars à l’ancienne
Heureusement, ce manquement est rattrapé par la pertinence des dites-interactions (toujours au service de la figure de proue qu’est Oppenheimer) et un excellent casting. Pêle-mêle on y retrouve Josh Hartnett, Kenneth Branagh, Rami Malek, Jason Clarke, Dane DeHaan, Casey Affleck, Michael Angarano, Jack Quaid, Alex Wolff, Alden Ehrenreich… parfois pour une minute et parfois non. Mais tout ceci parvient à offrir un trombinoscope immédiatement reconnaissable et incarné, tandis que le métrage est avant tout porté par une poignée de comédiens.
Outre Pugh et Blunt (cette dernière parait initialement dans les tropes de la femme mise de côté, avant de réellement se dévoiler avec justesse lors de la dernière heure), il faut saluer un Robert Downey Jr. savoureux en Lewis Strauss, un Matt Damon qui en impose en général Leslie Groves, un Benny Safdie « scene stealer » en Edward Teller et même un caméo absolument réjouissant de Gary Oldman.
Cependant, Oppenheimer tourne principalement autour de Cillian Murphy, qui nous livre sans nul doute une des performances les plus nuancées de l’année dans un de ses tous meilleurs rôles. Jamais dans la stricte hagiographie, on tient là une étude de personnage complexe et tout à fait fascinante d’un homme se prenant pour Icare, et dont le talent sera contrarié de par ses fréquentations politiques, puis digéré par le gouvernement américain à la suite des fameux bombardements de 1945.
Film à neutrons
Passée une première heure à trois temporalités différentes (où Nolan use d’ailleurs du noir & blanc avec parcimonie et efficience pour conter le récit par un point de vue plus objectif/extérieur), la trame embrasse à bras le corps une tension crescendo (à la manière de Dunkerque) sans jamais montrer une seule image d’archive ou des affrontements en-dehors de la base de Los Alamos. Un envers du décor érudit plaçant toujours ses enjeux à hauteur d’homme, et où le principal danger vient de la confection de l’arme la plus dévastatrice jamais conçue.
Usant d’un budget extrêmement confortable de 180 millions de dollars, Nolan accouche d’un film à la fabrication complètement exemplaire qui force le respect. Outre une reconstitution d’époque sans accroc, Oppenheimer peut compter sur la superbe photographie 70mm IMAX de Hoyte van Hoytema (Nope, Her) offrant à la fois des plans rapprochés capables de créer de l’enjeu rien qu’avec les détails des visages ou des intérieurs, mais également des plans larges respirant l’Americana.
Et si visuellement cela ne suffisait pas, le métrage se veut également maîtrisé dans son montage, véritable tour de force qu perd un tantinet de sa puissance dans son 3e acte procédural manquant parfois de punch. L’autre grande étoile d’Oppenheimer cependant : la musique ! Ludwig Göransson (The Mandalorian, Black Panther) revient pour proposer non seulement un de ses meilleurs travaux, mais également la BO la plus riche de la filmographie de Nolan. Oscillant entre musique orchestrale (piano, violons..) et électronique, elle fait figure de personnage à part entière à l’instar de l’impressionnant sound design du film (on a jamais ressenti une explosion nucléaire de la sorte) !
Et s’il manque sans doute une part d’emphase émotionnelle, Nolan revient par la grande porte avec ce Oppenheimer qui respire le cinéma à chaque pore. Du cinéma à l’ancienne et très compact certes, mais terriblement réjouissant à l’heure actuelle en plus d’être une plongée fascinante dans l’Histoire. N’y allons pas par quatre chemins : c’est véritablement très bon !
Oppenheimer sort au cinéma le 19 juillet 2023
avis
S'il manque parfois de respiration et d'une plus grande emphase dans sa dernière heure, Oppenheimer est un nouveau pari réussi de Christopher Nolan, qui nous livre son film le plus dense. Un biopic qui semble sorti de l'Âge d'Or Hollywoodien, sublimé par une fabrication qui force le respect, et construit comme une symphonie. Mené par un excellent casting et un Cillian Murphy tout à fait impérial, on tient là un très bon film malgré un certain manque de punch dans sa résolution.