Big mother est un thriller journalistique à couper le souffle sur la manipulation de masse à l’heure du big data.
Big Mother nous plonge dans le plus grand scandale depuis l’affaire du Watergate. En effet, la rédaction du New York Investigation est sur le qui-vive suite à la diffusion d’une sextape mettant en scène le président des États-Unis. Dans le même temps, la journaliste Julia Robinson voit sa vie vaciller dans la salle d’audience d’un tribunal quand elle croit reconnaître sur le banc des accusés son compagnon mort quatre ans auparavant. Deux évènements qui se révèleront bien plus liés qu’ils n’y paraissent…
Depuis Les crapauds fous et La course des géants, qui nous avaient complètement enthousiasmés, nous attendions impatiemment que Mélody Mourey fasse à nouveau des siennes ! C’est chose faite. Et si l’autrice et metteuse en scène de talent avait déjà placé la barre très haut, elle prend ici encore de l’altitude et nous offre une expérience assez unique.
Un talent bien à elle
Avec ses mises en scène incroyablement rythmées et dynamiques, qui font s’enchaîner les scènes avec une fluidité confondante, nous avions commencé par la comparer à Michalik. Forcément, ces caractéristiques sont la marque de fabrique de celui dont nous avons tardivement découvert le talent dans sa dernière pièce, Une histoire d’amour, et qui signe aussi la mise en scène de la pièce de Mel Brooks, Les producteurs. Mais la jeune femme a rapidement su se distinguer et imposer son propre style, aussi bien dans le fond que dans la forme.
En effet, pour ce qui est du fond, chacune de ses créations parvient avec beaucoup d’habileté à nous divertir tout en nous informant et/ou en nous faisant réfléchir. Ainsi, après nous avoir fait découvrir une forme de résistance peu connue au cours de la Seconde Guerre mondiale, puis nous avoir entraînés dans l’histoire de la conquête spatiale aux États-Unis, elle attire cette fois notre attention sur la manipulation des données personnelles, ses dérives à grande échelle, et la menace qu’elle fait peser sur la démocratie.
Le cinéma au théâtre !
Et si elle est chaque fois bien là où on l’attend, cela ne l’empêche pas de continuer à nous surprendre. Ainsi, pour ce qui est de la forme à présent, la résumer à un seul mot serait assez simple : époustouflante. Car s’il est évident que le talent ne réside pas seulement dans le fait de réunir les bons ingrédient mais aussi dans l’art de les assembler, c’est clairement à une forme de virtuosité que Melody Mourey se frotte ici.
Les répliques sont vives, les déplacements précis, le suspense haletant. Tout s’enchaîne à une cadence folle, sans temps mort ni même une hésitation. Ainsi, une scène se termine tandis que l’autre démarre dans un même mouvement ; une phrase débutée dans une scène par un personnage est terminée par un autre dans la scène suivante… Comme à chaque fois, c’est une véritable chorégraphie qui s’opère devant nos yeux, et l’ingéniosité déployée nous laisse sans voix.
De la manipulation des données à celle des masses
Désinformation, deepfakes, théories du complot, polarisation des idées, lobbying… Big Mother met les pieds dans le plat de la manipulation des données, thème ô combien d’actualité. Car si les publicités et propositions de vidéos ciblées sont devenues banales ; si les informations qui nous parviennent le plus sont celles avec lesquelles on est d’accord et que nos désirs se trouvent de plus en plus anticipés sans que cela ne nous fasse trop froncer les sourcils… qu’en serait-il de l’étape d’après ?
« Il n’y a pas de manipulation éthique. »
Et si cela aboutissait à un programme de surveillance générale ? Au traitement de ces données qui n’ont déjà plus rien de personnel pour la prise de décisions politiques ? Et si nous n’étions plus qu’à un pas de dérives totalitaires justifiées par des arguments sécuritaires enrobés de storytelling ? Big Mother sait tout de chaque citoyen. Et si ce n’était déjà plus seulement de la fiction ?…
Melody Mourey insuffle ces prises de conscience et ces questionnements sans jamais trop s’éloigner du divertissement pour autant. Et si le rythme effréné a vite fait de semer en chemin l’émotion que les deux premières pièces nous avaient davantage laissé le temps de ressentir, c’est surtout par son travail d’équipe que celle-ci se distingue et vient marquer les esprits.
Un admirable travail collectif
En effet, ce qui, dans cette pièce tout particulièrement, nous a le plus impressionnés, c’est la précision avec laquelle le jeu des comédien(ne)s, le bluffant travail sur le son de Simon Meuret, celui sur les lumières d’Arthur Gauvin, de même que celui sur la video d’Édouard Granero, se coordonnent pour nous offrir un rendu cinématographique et immersif que nous n’avions encore jamais expérimenté à ce point.
Entre autres pépites on retiendra notamment ce générique vivant, façon série américaine, qui réussit parfaitement son effet. L’originalité, aussi, dans l’utilisation de la vidéo à travers plusieurs écrans de tailles et de formes différentes qui s’harmonisent ou se complètent pour créer des décors, des ambiances, projeter des vidéos tik tok, titres de presse et autres intentions de votes.
« Est-ce vraiment ce qu’on veut, que les citoyens donnent leur avis sur tout ? »
C’est un réel bonheur de pouvoir apprécier tout autant que le reste le travail méticuleux de celles et ceux qui œuvrent davantage dans l’ombre, mais contribuent à donner à ce spectacle toute sa lumière. La dernière fois que nous avions ressenti cela, c’était devant Les filles aux mains jaunes, petit bijou de Michel Bellier, mis en scène par Johanna Boyé, et dont la scénographie grandiose était celle… d’Olivier Prost, qui signe aussi celle-ci ! Tout s’explique…
Un casting au niveau
Bien évidemment, le succès ne serait pas complet sans ces six excellents comédien(ne)s qui donnent vie à une vingtaine de personnages. Ariane Brousse, que nous avions découverte dans La vie est une fête, l’un des succès du dernier Festival OFF d’Avignon, est particulièrement brillante dans le rôle de Julia, dont la fougue et le sens de la répartie nous charment.
Karina Marimon est elle aussi remarquable et très drôle dans sa manière subtilement caricaturale d’interpréter la mère de Julia, ou de jouer la collaboratrice à l’admiration sans borne pour le rédacteur en chef, incarné par le charismatique Patrick Blandin. Marine Llado se glisse avec talent et sensibilité dans différents registres qui lui vont tous comme un gant, tandis que Pierre-Yves Bon est drôle et touchant dans le rôle du fils du directeur de la publication qui se débat entre une légitimité difficile à acquérir et son amour fou pour Julia.
« Je préfère une majorité qui se trompe qu’une minorité qui nous trompe. »
Quant à Guillaume Ducreux, c’est dans le rôle de l’insupportable et suffisant Howard Mercer, jeune milliardaire à la tête d’un nouveau parti politique – que nous l’avons préféré. On retiendra surtout de son personnage la scène très réussie, tout en emphases, résonance, et clairs-obscurs du meeting politique façon keenote d’Apple ! Vous l’aurez compris, parmi les pièces du moment qui valent le coup de délaisser un peu Netflix, il y a celle-ci. Et pour être sûr qu’il ne s’agisse pas d’une fake news, on ne peut que vous inviter à aller le vérifier par vous-même !
Big Mother, écrit et mis en scène par Mélody Mourey, avec Patrick Blandin, Pierre-Yves Bon, Ariane Brousse, Guillaume Ducreux, Marine Llado & Karina Marimon, se joue jusqu’au 31 juillet 2023, du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h, au Théâtre des Béliers parisiens.
Avis
On ne peut qu'être impressionné par tout le travail que nécessite une telle réalisation. Tout a été pensé dans les moindres détails pour nous faire vivre une expérience théâtrale inédite, en lice pour pas moins de cinq nominations aux Molières 2023.
Un commentaire
De bons acteurs mais une pièce sans émotion vraie –