Alors que Black Panther Wakanda Forever est enfin sorti en salles, nul doute que cette nouvelle aventure Marvel animera les débats et les opinions. Plus de 2 ans après la mort de Chadwick Boseman, Ryan Coogler réussit néanmoins un pari impossible sur le papier, sans tomber dans les travers de l’hommage mercantile.
Afin d’aborder en détail cette suite au giga-succès de Black Panther, il va falloir aborder le tout sous le prisme du spoiler ! Vous êtes prévenus !
L’introduction de Wakanda Forever donne le ton : le décès prématuré de Chadwick Boseman est pris en compte (un recasting aurait inévitablement dévié l’intérêt et amené des comparaisons futiles), alors que T’Challa meurt d’une maladie incurable. Le Wakanda est donc en deuil, et contrairement à des films comme Fast & Furious 7 ou même Star Wars – L’ascension de Skywalker, aucune doublure numérique ne viendra parasiter un hommage fait sans violon (à l’instar de la sobriété d’un logo Marvel Studios sans musique).
La volonté de Coogler était simple (lui qui a dû réviser entièrement son script) : à savoir continuer l’héritage du Wakanda de manière cohérente ! Passée cette introduction donnant inévitablement de la gravitas et un certain poids émotionnel qui dépasse le cadre intra-diégétique (contrairement à la mort d’un certain Tony Stark ou Logan qu’on retrouvera évidemment dans un Secret Wars ou Deadpool 3), Wakanda Forever embraye ensuite immédiatement sur son intrigue pour mieux travailler ses personnages.
La recherche d’un nouveau Black Panther
Dès lors, les personnages secondaires du premier opus se retrouvent dans une position inédite, en particulier Shuri qui est désormais la protagoniste principale. Une profession de foi intelligente, où finalement les personnages sont dans la même situation que Coogler, à savoir choqués et surpris de la disparition de leur figure de proue, mais devant avancer face à l’adversité et aux nouveaux défis qui attendent le Wakanda. Ainsi, le spectateur adopte immédiatement ce point de vue car ancré dans une réalité tangible !
En prenant comme canevas de départ une nation aux richesses convoitées de tous (notamment l’ONU), sans protecteur et devant faire face à un potentiel envahisseur, Coogler et son co-scénariste placent leurs persos dans une position bien connue des lecteurs de comics : l’émergence du héros devant prendre la place de l’icône (tel un Miles Morales ou une Riri Williams).
Et à ce titre, Laetitia Wright (qui enfile le costume avec aisance) et Angela Bassett (qui livre la performance la plus intense et rappelle à tout le monde qu’elle n’est pas n’importe qui) portent bien tout le film sur leurs épaules, tandis que Danai Gurira et Winston Duke arrivent aussi à amener plus de nuances à leurs avatars marveliens. Néanmoins, celui qui tire véritablement son épingle du jeu est Tenoch Huerta (Narcos Mexico) en Namor. Un antagoniste transpirant le charisme à plein nez, aussi séduisant qu’intimidant, que Marvel souhaite adapter depuis de nombreuses années (même avant la naissance du MCU). Un casting de talent qui amène leurs persos vers une humanité surprenante de la part d’un film Marvel !
Wakanda vs Talocan
Tout comme l’introduction du Wakanda, Coogler et sa production designer oscarisée Hannah Beachler créent un nouveau royaume,cette fois sous-marin. Alors qu’Atlantis est désormais affiliée à Aquaman dans l’imaginaire collectif (que ce soit en comic book ou désormais en film), l’imagerie maya insuffle une identité propre à la désormais nommée Talocan. Et à l’instar du Wakanda, Coogler et son équipe ancrent son peuple dans une mythologie (chose dont est totalement dénuée le reste du MCU paradoxalement), tout en ayant des racines historiques et ethniques signifiantes à son histoire.
La visite de Talocan dans le film est d’ailleurs un des moments réussis du film, alors que ce monde semble réellement sous-marin (le fait que les acteurs aient régulièrement été sous l’eau plutôt que dans un volume 3D donne du coup une certaine organicité à l’ensemble, tandis que les FX sont réussis). Le respect des comics ira jusque dans la peau bleue des autochtones (qui en imposent dès leur introduction, dans de beaux costumes signés Ruth E. Carter) une fois sur la surface, et dans l’adhésion absolue à leur nouvelle caractérisation via un langage en maya ancien !
Wakanda Forever amène également des thématiques intéressantes par petites touches : outre le questionnement d’une nation autarcique à l’heure de la globalisation (élément qui était mieux abordé dans le premier ceci dit), l’alliance hypothétique entre deux royaumes (issus d’une minorité ethnique de surcroit) face à une menace d’asservissement ou d’exploitation des richesses offre un cadre pertinent loin d’un affrontement binaire et cliché contre l’impérialisme occidental.
Alors que la notion de deuil et de tension géopolitique sont au centre du premier acte, le second laisse finalement place à ces échanges entre royaumes plutôt bien amenés, avec toujours un focus sur les motivations personnelles. Malheureusement, on reste sur un cahier des charges précis (chose qui avait par ailleurs pas mal parasité le dernier acte de Logan ou l’aspect bicéphale d’un certain Eternals), alors que le dernier tiers (jamais déplaisant ceci dit) verse dans le pugilat très classique.
Wakanda Forever, un film (trop) ample ?
D’une durée imposante de 2h42, Black Panther Wakanda Forever a également le mérite de prendre son temps en terme de caractérisation, de jongler avec aisance entre ces divers personnages et de laisser respirer son intrigue bien touffue. Le revers de la médaille est quand même présent (il y avait un film de 2h20 à faire), d’autant qu’on aurait aimer que le passé et les motivations viscérales de Namor aient autant de poids que pour un certain Killmonger (Michael B. Jordan est même présent pour un cameo signifiant vis-à-vis de l’histoire).
Enfin, les divers arcs narratifs ne se connectent pas tous de manière totalement satisfaisante : l’introduction d’Ironheart est réussie, tout comme sa relation avec Shuri, même si on sent que le perso n’aura pas grand chose à défendre avant sa propre série Disney+. On aurait aimé plus de présence des divers sous-fifres (Michaela Coel est totalement sous-exploitée), et de l’autre côté moins de séquences avec Martin Freeman et Julia Louis-Dreyfuss, alourdissant le rythme et censées amener un vague point de vue américain.
En terme d’action, il y a heureusement des efforts comparés au précédent film, notamment d’un point de vue purement technique (même si l’utilisation du volume de The Mandalorian se ressent lors de quelques passages succincts,sans doute rajoutés en seconde équipe). La photographie d’Autumn Arkapaw (Loki) se veut plus quelconque dans les décors factices, mais plus incarnée en décor naturel.
Mais la vraie constante qui élève chaque séquence est bien entendu Ludwig Göransson (Tenet,Alerte Rouge), qui livre de nouveau une bande-originale riche, oscillant entre musiques orchestrales, symphoniques, électroniques et ethniques (les fameux chants de sirènes ou gutturaux des habitants de Talocan). Un patchwork d’idées variées qui bénéficient d’une cohésion à toute épreuve, et d’une réelle identité musicale.
Black Panther Wakanda Forever : un Marvel avec de l’incarnation
Car malgré ses défauts et son cahier des charges, Black Panther Wakanda Forever a sa singularité dans le paysage blockbusteresque super-héroïque ambiant. Bien loin du cynisme prononcé, de l’absence de dramaturgie ou de la vanne à gogo (coucou Thor Love & Thunder), cette suite amène une sensibilité adéquate pour continuer l’héritage de Boseman et sa mythologie, tout en croyant en ses personnages (et ses excellents acteurs). Un drame dans du Marvel, cela fait du bien même si l’action prend ensuite le pas.
La dernière scène cristallise toutes ces velléités, via une pudeur et une simplicité surprenante, en plaçant l’humain et l’émotion en avant (jusque dans sa séquence post-générique après Lift Me Up, loin des teasings putassiers habituels, et clôturant un chapitre signifiant). Une intégrité et une incarnation bienvenues dans la grosse machinerie hollywoodienne, qui font de Black Panther Wakanda Forever une suite digne d’intérêt bien qu’imparfaite et un hommage réussi à Chadwick Boseman. Un pari plutôt réussi vu les funestes conditions de production, en attendant des suites avec T’Challa 2e du nom ?