Spider-Man : No Way Home dépasse déjà le milliard de recettes au box-office mondial. Si sa rentabilité n’est plus à prouver, il est pourtant temps de se pencher sur le côté artistique, du moins ce qu’il en reste.
Attention, spoilers.
Spider-Man : No Way Home et son déferlement de fan-service auront su affoler la toile depuis déjà plusieurs années. Á coups de théories, plus où moins vraies, plus où moins fumeuses, le long-métrage de Jon Watts (notre critique) avait déjà su attirer tous les projecteurs vers lui bien avant sa sortie, en faisant ainsi l’évènement le plus fédérateur au sein du MCU depuis Avengers : Endgame. Après le tiède trio Black Widow, Shang-Chi et Les Éternels, la marque semblait même pointer un certain essoufflement, heureusement rattrapé par les qualités de séries telles que WandaVision et Loki.
Le rendez-vous a pourtant bel et bien eu lieu et les spectateurs se sont rués en salles, malgré la forte reprise de l’épidémie et le pass sanitaire, et au moment où l’on vous écrit ces lignes, Spider-Man : No Way Home est déjà le champion du box-office mondial de l’année avec plus d’un milliard de dollars de recettes au box-office international. Si l’effort est à saluer, et à de quoi redonner quelques couleurs à nos chères salles de cinéma, l’occasion semble idéale pour tailler un costume (pas du tout sorti de Stark Industries) au vingt-septième long-métrage du Marvel Cinematic Universe, en faisant le point sur tout ce qui ne va, pas, mais alors pas du tout.
Peter Parker n’est qu’un enfant gâté
On ne reviendra pas sur le très bon article d’Écran Large sur le Spider-Man marcroniste du MCU. Malgré tout, on ne peut s’empêcher d’être agacé par cette nouvelle interprétation, que Tom Holland porte d’ailleurs plus qu’honorablement, mais qui paraît être très éloignée des jeunes hommes en galère très attachants auxquels le spectateur pouvait facilement s’identifier, qu’étaient Tobey Maguire et Andrew Garfield. Avec Homecoming et un tout jeune Spider-Man, ce dernier ne demeurait malgré un costume high-tech que la petite araignée du quartier, ici muée en un petit garçon gâté qui s’en remet rapidement (et trop facilement), après Tony Stark, à Doctor Strange lorsque son destin semble lui échapper.
Uniquement préoccupé par le désir de garder sa vie telle qu’elle en ne pensant qu’à son entrée à l’Université avec ses amis, jamais l’idée qu’un tel sort puisse affecter toute l’humanité ne semble lui caresser l’esprit. Et cette idée d’un petit garçon égocentrique et pleurnichard parcourt ainsi tout ce troisième opus, semblant pourtant tenter de faire revenir les pieds sur terre dans son final à notre si jeune super-héros. Lui qui n’a jamais connu les destins tragiques des opus de Sam Raimi et de Mark Webb, semble ainsi jouer avec des gadgets de pointe et des sorts dangereux comme de simples jouets, et lorsque le destin s’abat enfin sur lui, cela ne semble ainsi sonner que comme un nécessaire rappel à l’ordre, à des années-lumière des destinées chamboulées de jeunes hommes écrasés par leurs responsabilités précédemment vus chez Spider-Man au cinéma.
Un héritage cinématographique cité sans la moindre imagination
C’était sûrement l’une des rencontres les plus fantasmées par nombre de fans, dont les fanposters circulaient par paquets sur internet et que l’alliance entre Sony et Marvel a donc pu exaucer : oui, Tobey Maguire, Andrew Garfield et Tom Holland se rencontrent enfin dans le même long-métrage. Malheureusement, la déception est de taille de voir l’univers si passionnant de Sam Raimi et ses figures tragiques et doubles telles que le Docteur Octopus, Le Bouffon Vert et L’Homme Sable passées sans la moindre imagination à la moulinette Marvel. Si dans les longs-métrages de Sam Raimi ces derniers étaient passionnants, ils ne paraissent dans Spider-Man : No Way Home que comme une brochette mal accordée uniquement réunie pour le seul plaisir du fan-service.
Traités comme de simples ennemis aux volontés binaires jamais détruits par leurs conditions, le film de Jon Watts trahit ainsi la fougue des longs-métrages de Sam Raimi pour n’en faire que de luxueux guests. On le pardonnera cependant plus pour les Electro de Jamie Foxx et le Lézard de Rhys Ifans, déjà ridicules à la base dans des films qui n’ont jamais complètement su traiter leur paquet d’antagonistes. Ainsi, même si voir Tobey Maguire débarquer provoque une certaine émotion le temps de quelques instants, son traitement scénaristique, comme celui d’Andrew Garfield, n’est jamais aussi ingénieux que dans un Spider Man : New Generation (qui confrontait déjà plusieurs Spider-Man avec beaucoup plus d’inventivité) et se contente juste de mettre un peu de piquant dans un scénario qui en manque cruellement. Pour le Daredevil de Charlie Cox, cela ne dure que quelques secondes, comme pour le Venom de Tom Hardy dans une scène post-générique, ici enfin traité à sa juste valeur : il est ivre.
Une mise en scène toujours aussi fade
Comme Mark Webb en son temps avec (500) jours ensemble, Jon Watts a été parachuté à la tête d’un long-métrage Spider-Man alors qu’il sortait d’un thriller indépendant qui avait eu d’excellents retours critiques, Cop Car. Marvel aime ainsi à s’entourer de jeunes cinéastes peu aguerris et prompts à remplir des cahiers des charges plus qu’à véritablement délivrer un objet artistique personnel. Si des contre-exemples existent (coucou James Gunn), ils sont malheureusement trop rares pour être notés, et s’échouent souvent à étouffer, comme dans le récent Les Éternels, les envies de mise en scène de l’oscarisée Chloé Zhao dans un scénario ridicule étouffant la moindre singularité.
Comme un nouvel épisode d’une imposante série télévisée sur grand écran, Spider-Man : No Way Home n’échappe malheureusement pas à la règle. Malgré son énorme champ de possibilités suscité par le multivers et les effets délirants de Doctor Strange, jamais Jon Watts ne semble prompt à offrir du grand spectacle, ne se limitant qu’à des décors fades et des scènes d’action filmées sans la moindre fougue. La rencontre tant attendue avec le multivers et le Docteur Octopus aura ainsi lieu sur un pont embouteillé, et le réveil des antagonistes dans un appartement, en pleine nuit. D’une bataille finale symbolique sur la statue de la Liberté, on ne retiendra ainsi que des échafaudages qui s’effondrent, alors que la rencontre entre les trois interprètes de l’homme araignée était attendue au tournant par des millions de fans.
Spider-Man : No Way Home ne saisit ainsi jamais son immense champ de possibilités, se contentant de livrer un énième produit dénué de fougue et de la moindre audace. Occasion rêvée et tant espérée par des hordes de fans de voir enfin se rencontrer tout l’univers de Spider-Man au cinéma, le long-métrage de Jon Watts se vautre malheureusement (et opportunément) dans le fan-service et échoue à conjuguer les visions de Sam Raimi, et celle (moins forte) de Mark Webb. Ne reste qu’un énième épisode d’une série qui ne semble jamais saisir l’opportunité de s’interroger sur sa condition, se servant d’une réunion fantasmée pour se faire passer pour un évènement exceptionnel.
Un commentaire
Article d’écran large inutile : toutes les aspirations modestes du personnage sont là sans avoir besoin d’être montrées, car le studio fait confiance à l’intelligence et la mémoire des spectateurs. Tout est acquis car déjà montré dans les films d’avant Holland, comme c’est le cas des voltiges entre les immeubles (ainsi, on lui trouve ici d’autres difficultés grâce à une géographie des lieux plus diverses).
La mémoire cinématographique est là, et même avec un personnage rajeuni, ça agit comme des suites qui exploreraient des choses qui existent bel et bien dans les comics. Fidèle donc.
Spider-Man : More Ways to do.
C’est une question qui n’aura pas été posée par les analystes depuis 20 ans, et au delà, à savoir : que faire quand la métaphore sur le difficile passage à l’âge adulte est complètement résolue au bout de un ou deux films ? Alors que des tas de péripéties en stock peuvent être enc utilisées (comprendre : de vilains à affronter et d’argent à cumuler) ?
Même avec le comic Amazing Fantasy 15, tout était déjà clair et net, pas besoin d’en rajouter en fin de compte…
Il faut accepter ce fait, que Peter Parker/Spider-Man est finalement lui aussi une machine à histoires rocambolesques et sisyphéennes, avec une nette tendance pour les gaffes et les catastrophes (en chaînes). On ne peut s’arrêter à une poignée d’aventures avec lui, tout en n’ayant qu’un choix restreint de limites à pouvoir dépasser sans trop le trahir (et sans donc le faire ressembler à un autre type de héros).
Cela implique d’avoir à chaque fois un ou des arcs narratifs à raconter en plus, pour ne pas juste se limiter à cette métaphore de l’âge adulte…
En plus de la sempiternelle histoire d’amour compliquée, on peut évidemment y associer la recherche de mentors, la quête des parents et des origines, trouver sa place dans le monde…
Cette dernière voie est la plus dense car elle suppose dans ce cas de se confronter à ses pairs pas seulement les plus ordinaires, avec qui Peter Parker s’emploiera à créer une petite « brigade de surdoués »… Mais aussi avec des pairs qui représentent quelque chose d’exceptionnel.
Tout ça en n’oubliant pas de vivre dans son époque, plus interconnectée, plus diverse, plus consciente et ironique encore, où même être un peu geek n’est plus synonyme de solitude totale – mais il y a d’autres façons d’arriver à ça.
Faire l’impasse sur la normalisation des super-héros (c’est à dire qu’ils font aussi largement partie du paysage, il n’y a plus de rareté) était impossible, les possibilités associées étaient trop évidentes.
Cela amène ainsi à des films qui n’ont plus besoin de faire des choix précis en fonction de la mise en scène qu’on veut y créer… Mais plutôt l’inverse, faire des films dont la mise en scène doit être le plus possible au service des personnages et de leur cheminement. Pas à l’égo du réalisateur, dont la petite modestie est à l’opposé du nombrilisme ambiant.
La comparaison avec « Avengers Endgame » – faire un gros film conclusif réunissant plusieurs films en un, incluant thématiquement l’Animé « Spider-Verse » – semble à propos tant Jon Watts comme les frères Russo a surtout à se concentrer sur les interactions naturelles des personnages (il a pour ça l’expérience de ses films pré Spider-Man), et à utiliser tous les moyens accordés pour faire liant, tout en s’amusant à foison au passage.
Peu importe qui dans le public ne voudra y retenir que les gags qui cassent volontairement le rythme pour ne pas rester sur un ton uniforme, la majorité sait faire la part et passer outre pendant que le film continue (avec ses multiples caractéristiques à démêler ensuite).
Car les comics d’origine ne sont généralement pas des descriptions littéraires ou des tableaux, mais bien plus des vignettes qui s’enchaînent à grande vitesse.
2 films en un dans les deux précédents volets, à savoir celui sur un Peter Parker jonglant entre ses responsabilités et sa vie d’adolescent léger et naïf.
Et celui, introduit à travers l’arc narratif au long cours sur l’héritage de Tony Stark, axé sur le jugement porté sur ses erreurs par des personnages du MCU.
3 films ici, avec la plus grande concentration de co-créations de Stan Lee et Steve Ditko jamais vue :
L’un (plutôt court) qui raconte la pression médiatique et son tribunal, dans un monde où les menteurs et les charlatans se plaisent à dresser des « camps » les uns contre les autres. Hystérie traumatisante, surtout pour des jeunes gens aux perspectives d’avenir brisées, comme on a pu le voir plusieures fois dans l’Actualité du Réel… il y aurait de quoi faire un film entier là dessus (même avec des super-héros).
Mais en le traitant vraiment à fond, ça aurait été énormément grave et cafardeux, pas du tout adapté à l’optimisme à peine chancelant de Parker. Laissons ça à un quelqu’un d’autre…
Le deuxième film est une classique association/confrontation de héros, pas vraiment dans l’ordre habituel. Mais qui, en montrant une autre chasse à l’homme, place surtout les diverses pièces du troisième film…
Celui-ci est le plus long, le plus explosif, le plus dramatique. Jouant sur la symbolique cinématographique de l’Araignée, plus que « Spider-Verse » (qui n’avait que des personnages inédits), son Fan-service y est preste avec de rapides caméos, ou bien étendu… attendu et plutôt prévisible… utilisant tout l’Historique connu avec plus ou moins de limites :
on voit très bien quels acteurs étaient difficilement disponibles, que des contraintes contextuelles (et secrètes, à rendre fou Tom Holland) sont bien là. Et que même une préparation et une durée plus longue n’empêche pas des approximations visuelles ou scénaristiques, des oublis, des incohérences légères (le nom de famille définitif de MJ) et autres absences familiales cruciales, dûes aussi à des décisions longtemps repoussées.
Mais cela fonctionne, grâce évidemment à un effet nostalgique jamais entièrement gratuit, prétexte à de jolis moments faisant automatiquement monter des acclamations et des larmes aux yeux à beaucoup de spectateurs.
Transcendant le Fan-service grâce à une conscience poussée des comics et des films (à part quelques détails faute de place), et surtout à une grande générosité à laisser la majorité des acteurs faire exister leurs personnages, même s’ils ne sont pas le point central à l’intrigue :
Tom Holland a toute une large gamme d’émotions en plus de sa prestance et de son énergie, et Zendaya lui tient la dragée haute…
Les habitués du MCU sont fidèles à leurs archétypes et font le job….
Les interactions entre les vilains, toutes en instabilités égotiques, ramènent aux heures les plus amusantes des comics…
Les autres « invités » prennent du plaisir car ils sont là sans pression sur les épaules (l’un se détend plus, l’autre retient une émotion prête à déborder).
Et si les femmes dans la Saga de films n’ont pas un rôle plus actif (faute de Spider-Women), Marisa Tomei prend sur ses épaules toute la symbolique dramatique d’une manière inespérée – serait-elle le double de la productrice Amy Pascal ?
Bref, il s’agit d’une sorte de suite générale, permettant d’aller plus loin que ce dans quoi nos revenants étaient circonscrits avant, avec également des décisions radicales et violentes en ligne de mire.
Mais aussi une obsession de complémentarité scénaristique tout à fait geek, verbalisée dans le film de manière un peu ambiguë en tant que « Rectification ». Avec comme parti pris l’analyse des actes et manques passés dans les anciens films (dont le problème de l’identité pas toujours assez secrète de Peter), sous le prisme d’une moralité et d’un humanisme plus concret, réaffirmant de façon encore plus forte à quel point Peter Parker a bel et bien un très grand cœur même si ça ne lui porte pas toujours chance – à moins qu’il ne s’agisse d’un comportement obsessionnel de sa part ?
Également sous le prisme d’une écriture moderne ayant accumulée les détails, les expériences ainsi que les interrogations – pour mieux en laisser de nouvelles, à la fin.
Car chaques solutions dans ces films entraînent continuellement des conséquences futures.
Sisyphéen, toujours.
Les moments terribles sont toujours présents, imprimants une amertume qui reste une constance régulière dans l’identité de Spider-Man.
Cela laissera aussi l’impression d’avoir tourné autour du MCU pendant 5 ans, pour mieux revenir aux bases dramatiques et modestes, comme si ça avait été jusque-là une longue Origin Story.
Et ça a été du bon divertissement, de la joie, de l’émotion, de la gravité, sans être pesant.
Attachement et Fidélité renouvelées avec Plaisir ! ️️