Le célèbre poème Macbeth de William Shakespeare a déjà eu plusieurs adaptations plus ou moins officielles au cours du siècle dernier. Un récit fondateur de la littérature anglo-saxonne, qui revient cette fois-ci dans une toute nouvelle version réalisée par Joel Coen. Un long-métrage mis en scène sans son frère, produit par A24 à destination d’Apple, et porté par les immenses Denzel Washington et Frances McDormand. Une relecture embrassant à la fois la nature théâtrale et onirique de l’œuvre !
On ne présente plus les frères Coen, grands réalisateurs nous ayant abreuvé d’un beau nombre d’œuvre hétéroclites. Spécialistes d’histoires traitant de la condition humaine (de manière dramatique comme No Country for Old Men ou humoristique à la Fargo), ces derniers étaient passés par la case Netflix avec La Ballade de Buster Scruggs. Cette fois-ci, Joel Coen réalise sans son frère Ethan pour A24 (Uncut Gems, Moonlight, The Lighthouse, Euphoria, Waves, Midsommar) et Apple The Tragedy of Macbeth, énième itération filmique de la célèbre pièce de Shakespeare ! Outre des versions par Orson Welles, Akira Kurosawa, Roman Polanski ou Justin Kurzel, nous avons également pu avoir des oeuvres s’intéressant à Lady Macbeth. Bref, un grand nom de la littérature anglo-saxonne, aujourd’hui revisitée !
Pour rappel, Macbeth conte l’histoire du général du même nom, alors à la tête de l’armée écossaise du roi Duncan. Après une bataille victorieuse contre les troupes norvégiennes, Macbeth et son compagnon Banquo sont confrontés par trois sorcières. Ces dernières leur prédisent chacun leur futur : tandis que le premier va devenir seigneur de Cawdor puis roi, le second verra ses descendants devenir rois ! Voyant sa promotion devenir réalité, Macbeth sera pressé par sa Lady de commettre un régicide envers Duncan. Ce sera le début de la folie et de la quête de pouvoir du personnage éponyme !
Pour quiconque connaît Macbeth, ou par extension le travail de Shakespeare, sait qu’on tient là des œuvres reposant avant tout sur de longs tunnels dialogués. Tout l’enjeu est donc d’obtenir des interprètes de talent, chose à laquelle Joel Coen a été très clair avec comme choix immédiats les immenses Denzel Washington (Glory, Malcolm X, Training Day, Fences) et Frances McDormand (Fargo, 3 Billboards, Nomadland, Burn After Reading). Denzel renoue donc avec ses premiers amours (il a interprété Otello, Coriolanus ou César au théâtre) tandis que Frances (compagne et collaboratrice de Joel Coen) montre encore une fois qu’elle n’a pas volé ses 3 précédents Oscars. Campant une Lady Macbeth tour à tour à tour déterminée, passionnée puis emprise de remords, chacune des séquences où elle apparaît en épouse impitoyable est un pur plaisir. Un film sur un vieux couple pas comme les autres in fine !
All Hail the King Washington !
Tout comme d’autres œuvres des Coen, The Tragedy of Macbeth s’inscrit comme un drame versant dans le nihilisme, alors que le couple Macbeth est vieillissant (première et plus grande touche de singularité de cette adaptation). L’inéluctabilité de la mort et la paranoïa qui en découlent sont donc leur principal nemesis, tandis qu’il s’agit de leur dernière chance d’accéder au trône. Et outre Frances McDormand, Denzel Washington campe un Macbeth absolument parfait, de la première à la dernière image. Tantôt magnifique et séduisant, tantôt vile et fourbe, le personnage nous parait néanmoins toujours charismatique alors qu’il sombre progressivement dans la folie et la tyrannie ! Un exploit que l’on doit évidemment à une direction d’acteurs au cordeau, ces derniers arrivant à développer chaque nuance des nombreuses tirades du texte de Shakespeare.
Une approche directement héritée du théâtre, qui sera par ailleurs la principale (et seule ?) limite de ce The Tragedy of Macbeth, dont quelques segments restent encore emprunts de cette théâtralité, et pas totalement transcendées ou adaptées cinématographiquement parlant. Car malgré deux ou trois tunnels monologués face caméra, reposant entièrement sur les excellentes performances du cast, Joel Coen parvient à faire de cette adaptation un drame psychologique teinté d’ésotérisme et d’expressionnisme ! Car outre les personnages et une direction d’acteurs donnant immédiatement du corps aux nombreux mots guindés de Shakespeare, toute la production concourt à matérialiser l’essence du poème dans son visuel : une des plus belles idées étant la matérialisation de la dague censée apporter le glas au roi Duncan, ici représentée initialement comme une poignée de porte tentatrice pour Macbeth.
Via son format en 1:37 et son luxueux noir et blanc, The Tragedy of Macbeth s’inscrit dans l’intemporalité dès son premier plan (en corrélation avec son casting et sa fausse reconstitution historique) . L’occasion d’apprécier le travail faramineux de Bruno Delbonnel (Inside Llewyn Davis, Les Heures Sombres, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain) convoquant La Nuit du Chasseur, La Mort de Siegfried ou encore La Passion de Jeanne d’Arc ! Une reviviscence du cinéma allemand expressionniste autant qu’une inspiration forte du Château de l’Araignée, et ce sans jamais singer. Le film est de toute beauté, renforcé par une production design soignée de Stefan Dechant (Bienvenue à Marwen), traduisant l’état d’esprit de Macbeth. Renvoyant autant à l’architecture brutaliste qu’à du paysage cauchemardesque calviniste, Coen se positionne thématiquement et stylistiquement sur les traces de Murnau et Fritz Lang !
Expressionnisme aux nuances de gris
Escaliers à n’en plus finir et grandes pièces illustrant la vacuité du quotidien de Macbeth, grands blocs de pierre et formes géométriques planes du château pour dépeindre l’état psychologique du personnage (ainsi que la construction branlante de son royaume désiré)…le tout prend par ailleurs de surprenants accents de fantasy, en particulier via les trois sorcières. Ici point d’actrices différentes, mais une formidable performance de Kathryn Hunter (évoquant par instant un certain Gollum via l’amour du grotesque et de la schizophrénie) à la voix gutturale et la gestuelle inquiétante, si bien qu’on la croit directement sortie de l’outre-monde. Par ailleurs, tout le casting (Brendan Gleeson, Corey Hawkins, Harry Melling ou encore Alex Hassell) arrive à apporter de l’incarnation (malgré parfois leur faible temps de présence)
Outre quelques riches panoramas aux évocations mythologiques (le final ou la croisée des chemins) composant de somptueux tableaux (et il y en a !), la mise en scène arrive à se déployer régulièrement, au gré de la folie des protagonistes. On retiendra par ailleurs une excellente séquence de dîner interrompu alors que Macbeth se perd dans son environnement familier devenu dédale, et où ses pensées sont littéralement submergées à l’écran alors que les sorcières apparaissent au plafond tels des vautours (où plutôt des corbeaux, motifs récurrents du métrage). Si le rythme a un discret coup de mou, le dernier segment parvient à apporter un soupçon de galvanisation supplémentaire lors de la confrontation finale. Gravitas, montage plus énergique, plans ingénieux (un balais de feuilles qui flatte la rétine) et ultime regard tourné vers la couronne…pas de doute on tient là le point d’orgue de The Tragedy of Macbeth !
Au final, avec The Tragedy of Macbeth, Joel Coen embrasse les diverses facettes de l’œuvre avec brio, conjuguant cinéma, théâtre, poésie et peinture ! Un exercice de style qui par instants peut sembler opaque si tant est qu’on ne soit pas familier du célèbre auteur anglo-saxon, mais heureusement transcendé par l’ardeur avec laquelle le casting donne de l’incarnation à chaque vers et la mise en scène réfléchie de son auteur. Là encore, le cinéaste confirme un intellect auquel nous sommes exposés depuis de nombreuses années.
Terriblement soigné visuellement, via un style épuré entre médiéval et rêverie, on tient ici une très belle adaptation, qui n’évite pas un ou deux écueils trop théâtraux, mais parvenant à donner du corps au fameux poème. Denzel Washington et Frances McDormand y livrent par ailleurs parmi leurs plus belles performances, pour un métrage réussissant l’exploit de créer un espace visuel cinégénique permettant à l’imposant phrasé Shakespearien d’exister et respirer. Une proposition audacieuse et maîtrisée !