Avec The Northman, Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) s’attaque à du gros morceau pour son 3e film : une histoire de vengeance à l’ère viking ! Affublé d’un budget plus considérable et d’un casting de talent (Alexandre Skarsgård, Anya Taylor-Joy, Claes Bang, Nicole Kidman, Björk…), le résultat force le respect. Un maelstrom de feu, d’acier et de sang qui confine à l’excellence !
Ces dernières années, Robert Eggers s’est progressivement fait un nom dans la caste des nouveaux réalisateurs qui comptent (avec notamment Jordan Peele, Damien Chazelle ou encore Ari Aster). Via The Witch, le réalisateur parvenait à proposer un film d’horreur singulier, tandis que The Lighthouse en était une continuité logique pour sonder le Mal et la folie par une approche plus psychologique et métaphorique. Avec The Northman, nous sommes dans un tout autre exercice, plus ambitieux, fédérateur et viscéral !
Amleth, être ou ne pas être
The Northman débute en Islande, en l’an 895. Le roi Aurvandil (Ethan Hawke) rentre d’une campagne de conquête, et retrouve sa femme Gudrùn (Nicole Kidman) ainsi que le jeune prince Amleth. Les retrouvailles vont cependant être de courte durée, alors que Aurvandil va être assassiné le lendemain par son propre frère Fjölnir (Claes Bang). Ayant fui son île, Amleth est des années plus tard un fier guerrier berserker, au sein d’une troupe de vikings sans foi ni loi. Habitué à une vie de désolation, ce dernier va sortir de son aveuglement, alors qu’il rencontre une esclave slave du nom d’Olga. Se faisant lui aussi passer pour un esclave, Amleth va fomenter son implacable vengeance, alors qu’il recroise le chemin de Fjölnir…
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The Northman a tout du récit sanglant et vengeur, et un aspect Shakespearien anime cette histoire aux accents familiers. En effet, il y a du Hamlet (et donc un zeste de Roi Lion ou encore une grosse pincée de Conan) qui transpire de cette histoire, et à raison : le prince Amleth a réellement existé, et Shakespeare s’est inspirée du personnage pour écrire sa pièce. The Northman nous ramène donc à la source première, pour nous abreuver d’un pur récit mythologique embrassant le folklore scandinave ! Folklore parfaitement digéré, et d’autant plus si on est déjà familier d’œuvres aussi diverses que God of War, Beowulf ou Vikings. Secondé par une équipe d’experts en Histoire et le scénariste Sjón (romancier et parolier islandais), Robert Eggers réussit avec brio de créer le film de viking ultime !
Entre Histoire et Mythe
Finis donc les casques à cornes erronés et la glamourisation ! Bienvenue dans une Europe nordique fragmentée, barbare et sans concession. Shooté en 35mm, The Northman nous immerge d’entrée de jeu dans dans l’Histoire, où chaque plan transpire la force des éléments. Le vent, la roche, le métal… Robert Eggers n’est pas dans le naturalisme pur ni dans la sur-esthétisation, mais un entre-deux convoquant la beauté des paysages islandais (même si la majeure partie du tournage s’est fait en Irlande, mais chut), le réalisme viscéral et l’utilisation du folklore mythologique.
On comptera donc quelques dialogues en norois (le vieil islandais), ainsi que quelques séquences lorgnant vers l’onirique et le fantastique. L’heroic fantasy n’est définitivement pas loin, alors que Valkyrie, sorcier ou Draugr font irruption dans le récit (tout comme les évocations d’un Valhalla boréal et des portes de Hel volcaniques) non pas à caractère digressif, mais bien pour illustrer la vision scandinave d’antan, plaçant le mythe à valeur égale avec une vision réaliste des faits.
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L’apparition (courte mais parfaite) de Björk en prêtresse slave illustre parfaitement la note d’intention d’un Eggers encore une fois maître dans la véracité historique. Et si on peut parfois se poser la question d’une bride par le studio (pas de nudité frontale, quelques accès de violence en hors-champ), on tient là une production audacieuse (budget de 75-90 millions de dollars), radicale et bien énervée ! Là encore, outre plusieurs plans-séquences parfaitement orchestrés, le son et la musiques (superbe bande-originale de Robin Carolan & Sebastian Gainsborough) contribuent à une immersion totale à base de chants gutturaux, percussions et autres joyeusetés créées via des instruments d’époque.
Casting digne d’Odin
Si d’entrée de jeu le charisme royal d’Ethan Hawke (First Reformed) et la folie bougonne de Willem Dafoe (The Lighthouse) illuminent le métrage (ils sont seulement présents les 15 premières minutes), avant que Nicole Kidman (Big Little Lies) livre une des performances les plus surprenantes de sa carrière, ou qu’Anya Taylor-Joy (Last Night in Soho) illumine encore une fois l’écran de son incommensurable talent en rebelle slave, la majeure partie des personnages puise dans un casting scandinave ! On retiendra Claes Bang (The Square, Dracula) en Fjölnir, capable d’être menaçant au possible et également complètement charismatique. Ce dernier arbore de surcroit une physicalité tout à fait adéquate face à Amleth.
Alexander Skarsgård (Big Little Lies, True Blood) imprime la pellicule dans chaque scène, ayant lui aussi porté le projet avec passion et dévouement. Taillé comme un perso de Frazetta et emprunt d’une réelle animalité, Amleth a autant à voir avec un demi-Dieu nordique qu’avec la férocité d’un ours. Il faudra par ailleurs se pincer plusieurs fois en le voyant en pleine transe chamanique muni d’une peau de loup, ou à achever un malotru à coup de boule en hurlant : on a bien un vrai viking à l’écran ! En résulte un anti-héros passionnant à suivre malgré l’évidence de sa quête. Eggers et son scénariste parviennent d’ailleurs à en parasiter le caractère programmatique via une étude de personnage mise en parallèle avec les sanguinaires mœurs d’antan.
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En effet, alors que les morceaux de bravoure s’amoncèlent (assaut d’un village, ennemis trucidés façon puzzle Picasso, découverte d’un glaive ancestral…), point de glorification du sang versé, où la violence graphique immédiatement jubilatoire laisse ensuite un arrière goût métallique en bouche. Le récit héroïque se mue donc progressivement en réflexion amère sur l’aveuglement au nom de la vengeance et le cercle sans fin de la haine.
Un des films de l’année
Via une double-lecture totalement cohérente, qui trouve ses échos dans la tragédie Shakespearienne que la légende d’Amleth a inspirée, The Northman impressionne ! Successivement récit barbare qui prend aux tripes, épopée mythologique et intimiste, ou encore peinture immersive de l’ère viking, le film de Robert Eggers représente une espèce en voie de disparition : une production audacieuse et ambitieuse de la part d’un auteur !
S’il n’est pas aussi radical que l’aurait voulu le cinéaste (via un montage avec plus de bouts de gras), The Northman est avant tout une vraie pépite incontournable. Un excellent revenge movie au casting impérial, à la mise en scène totalement maîtrisée, somptueux visuellement, et dont la fureur glaciale nous anime même après sa formidable conclusion convoquant l’acier et la fournaise. Si Robert Eggers s’inscrivait comme un des réalisateurs à suivre, il confirme désormais être un des auteurs contemporains les plus passionnants. Vous l’aurez compris, c’est Excellent !
The Northman sortira au cinéma le 11 mai 2022
avis
The Northman est d'hors et déjà un des chocs de 2022. Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) confirme son talent incommensurable en proposant LE film de viking qui fera loi. Un récit de vengeance sans concession, à la portée mythologique parfaitement corrélée à une représentation historique des plus pointues.
Si on ajoute à cela un casting de talent, une fabrication exemplaire favorisant l'immersion, on tient là un excellent film viscéral qui nous prend immédiatement aux tripes pour nous emmener vers le Valhalla !