Présenté en Compétition à la Mostra de Venise, The Killer est le nouveau film de David Fincher (Fight Club, The Social Network) en partenariat avec Netflix, 3 ans après Mank. Dans cette nouvelle entrée de la Rétrospective David Fincher, le réalisateur perfectionniste renoue avec le thriller néo-noir pour une approche à la fois musclée, précise et atmosphérique. Michael Fassbender porte ce qui se présente comme une claque de mise en scène.
Depuis près d’une décennie maintenant (Gone Girl), David Fincher a quitté le circuit du cinéma Hollywoodien pour se consacrer à la réalisation et la production d’œuvres pour Netflix. L’assurance d’avoir une liberté totale donc, comme pour Mank et Love, Death + Robots, mais qui peut aussi se retourner contre son géniteur lorsque le manque d’audience se fait sentir (Mindhunter). The Killer poursuit donc dans cette lancée via une sortie directement sur la plate-forme de streaming.
Cette fois-ci, Fincher renoue non seulement avec le film de genre (le thriller tendance néo-noir), mais aussi avec le scénariste Andrew Kevin Walker (Seven) pour l’écriture de The Killer. Adaptée de la BD « Le Tueur » (1998-2014) de Matz & Jacamon, le film en reprend globalement le canevas de base, en suivant un assassin anonyme (Michael Fassbender) sans foi ni loi.
Tout comme dans le matériau de base, nous découvrons le tueur dans une planque à Paris, au dernier étage d’un immeuble : le protagoniste attend patiemment depuis plusieurs jours que la cible qu’il doit refroidir daigne se montrer. L’occasion pour Fincher de créer 20 minutes d’anthologie capturant avec une acuité rare le ton de la BD, plaçant les monologues intérieurs du tueur comme outils prépondérants de la narration.
Assassin de cinéma
The Killer n’est en cela pas si éloigné de Fight Club sur certains abords : on y retrouve même un générique d’intro en CGI tendance Hitman permettant de directement plonger le spectateur dans ce monde d’assassin. On pense aisément au Samouraï de Melville dès les premières minutes (pierre angulaire de la représentation méthodique des tueurs au cinéma) avec l’accoutrement du personnage, mais c’est véritablement du côté de Michael Mann (Thief et son expert solitaire) et Don Siegel (Tuez Charley Varrick ! et sa violente quête vengeresse) qu’il faut se tourner en terme d’inspirations.
En effet, The Killer reste loin du film d’action pur jus, préférant un rythme lancinant et précautionneux de chaque instant, afin de nous immerger dans le modus operandi du tueur. Suite à un assassinat ayant mal tourné, ce dernier se voit contraint de remonter la chaîne alimentaire pour se venger. Un plot simple, permettant une trame épurée et chapitrée, nous faisant voyager de Paris à Chicago, en passant par la République Dominicaine, la Floride ou la Nouvelle-Orléans tel un film d’espionnage.
Mais à part un épilogue plutôt classique en terme de finalité (surtout après un excellent segment avec Tilda Swinton faisant office de climax dramaturgique), The Killer se veut avant tout une leçon totale de mise en scène, de sound design et de montage. Une fabrication assez ahurissante, permettant à David Fincher de montrer encore une fois une précision chirurgicale dans l’agencement de sa scénographie, conférant bien souvent au résultat final l’impression d’un film pouvant s’apprécier sans le son.
La violence de l’autre côté de la lunette de tir
Dès lors, la trame enchaîne les filatures, scènes d’infiltration et repérage de terrain, où chaque morceau devient source de tension et d’anticipation de la violence à venir. L’impressionnant travail sur le son (Ren Klyce, un associé habitué) se veut aussi un des plus pointus de la filmographie de Fincher, saupoudrée là encore d’une excellente BO atmosphérique par Trent Reznor & Atticus Ross (Watchmen, Soul, Millenium).
Ce combo magnifié par la réalisation chirurgicale trouve par ailleurs son point d’orgue dans un hallucinant mano-à-mano ultra brutal (avec usage de chaque parcelle du décor en prime) dont le découpage par Kirk Baxter décroche littéralement la mâchoire. Une pure leçon de cinéma qui enterre à elle-seule le tout venant des actioners modernes ! Une violence graphique montrée frontalement, touchant autant ceux qui la méritent que d’autres victimes plus collatérales.
En effet, The Killer évite tout parti-pris manichéen ou binaire, là encore cristallisé par son anti-héros froid, méthodique, programmatique, maniaque et même psychopathe. Dopé par une superbe performance tout en intériorité de Michael Fassbender, le personnage se veut porte d’entrée dans le propos intra et extra-diégétique du métrage, là encore véhiculé par sa voix-off omniprésente (outil dramaturgique hérité de la BD).
Perfection fissurée
Et au travers de l’environnement extrêmement contrôlé du tueur (mais aussi du film), la machinerie d’apparence bien huilée sera court-circuitée perpétuellement par un grain de hasard ou d’inattendu. Un point-pivot qui offre une grille de lecture plutôt fascinante vis-à-vis de The Killer, et de la condition humaine présentée à travers le point de vue d’un personnage robotique dévoilant peu à peu des traces d’humanité.
C’est d’ailleurs particulièrement prégnant, quand d’un « I don’t give a fuck » initial, le tueur verra son goût pour l’humour noir retranscrit peu à peu (on devine aisément la patine de Fincher à ce niveau) lors de quelques saillies surprenantes en pleine tension. Là encore, la séquence impliquant Charles Parnell et Kerry O’Malley en est le plus bel exemple, lorsqu’on la revoit à posteriori de la « confrontation finale ».
En résulte une série B noire d’excellente facture (la photographie minutieuse et glacée d’Erik Messerschmidt est un pur régal oculaire), confinant The Killer au rang de réel tour de force de mise en scène. Simple et épuré dans sa narration certes, mais c’est dans cette volonté d’aller à l’essentiel que cette démonstration de pur cinéma parvient à littéralement agripper les tripes du spectateur : on redemanderait bien quelques meurtres en plus !
The Killer sortira sur Netflix le 10 novembre 2023
Avis
Avec The Killer, David Fincher court-circuite la structure simple de ce revenge movie assassin via une mise en scène absolument ahurissante. Parvenant à transcender son postulat de base via sa fabrication minutieuse et chirurgicale, ce thriller néo-noir parvient à proposer en filigrane un regard pragmatique sur la précarité de la condition humaine : un fond impeccablement incarné par un Michael Fassbender tout en intériorité !