Avec Sentinelle, Jonathan Cohen trouve un écrin idéal pour laisser libre court à sa folie, heureusement entouré de réalisateurs talentueux afin d’éviter l’épuisant one-man show.
Sentinelle marque la troisième collaboration, et ainsi la confirmation d’une totale alchimie entre Jonathan Cohen et le duo Hugo Benamozig et David Caviglioli. Après le sympathique Terrible Jungle, en plus de l’écriture de plusieurs épisodes de la plus lassante Le Flambeau, le duo retourne poser ses caméras en outre-mer pour un projet taillé sur mesure pour leur muse : parce qu’après son rôle de policier maladroit dans leur précédent long-métrage, il n’est ici plus question de donner dans une quelconque mesure. À l’image de Jonathan Cohen, se parant ici de la coupe mulet et du bouc de François Sentinelle, moitié flic, moitié chanteur, Hugo Benamozig et David Caviglioli délaissent l’influence des films de Philippe de Broca pour épouser les atours du délirant show de leur acteur et de signer une comédie se voulant toute aussi allumée que le personnage total délivré par l’acteur.
On pourrait ainsi rapidement (et très justement) reprocher à Jonathan Cohen, au fur et à mesure de ses différents projets, d’Énorme et Serge le mytho en passant par Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, de ne proposer que d’infimes variations de son indécrottable personnage, dont le parangon fut celui de Marc dans La Flamme. Pourtant, aidé par des auteurs talentueux ici en pleine possession de leurs moyens et d’une plateforme avide de contenus et de personnalités populaires (et après de beaux ratages, à l’image du récent La Tête dans les étoiles), Jonathan Cohen peut ainsi dans ce Sentinelle laisser libre court à toute sa folie et son génie d’improvisation, sans jamais que cela ne nuise ni au rythme, ni au scénario de ce qui s’incarne alors comme un hilarant écrin. Le plus dommageable sera néanmoins laissé pour les détracteurs de l’acteur, et pour le reste du casting l’entourant, ici écrasés par ce que certains pourront très justement qualifier d’épuisant et répétitif numéro.
Jonathan Cohen en feu
Jonathan Cohen est donc François Sentinelle, réussissant l’exploit d’être à la fois un mauvais policier et un très mauvais chanteur. Confronté à une affaire de groupuscule terroriste en pleine période d’élections, Sentinelle devra donc choisir entre son métier et sa passion. Et dès l’introduction, Hugo Benamozig et David Caviglioli se mettent entièrement au service de leur acteur, en délivrant à la mise en scène un effort de dynamisme aussi perpétuel que les répliques délivrés à la mitraillette par un Jonathan Cohen ici véritablement en feu. Passant d’une scène de poursuite absurde creusant l’écart entre ce policier atypique et son second très sérieux, sacrifiant au passage quelque peu la présence de l’atypique Raphaël Quenard, avec l’imagerie ringarde d’un clip tout droit sorti des années 80, le ton est ainsi donné d’une parodie enlevée portée par un acteur dévorant tout sur son passage, pour le pire et le meilleur.
Parce que le scénario d’Hugo Benamozig et David Caviglioli, malgré son efficacité et une surenchère de violence et de situations absurdes parfois réellement jouissives, se voit plus comme un véhicule pensé dans les moindres détails à la gloire de sa tête d’affiche, presque entièrement et uniquement pour lui. Que ce soit Raphaël Quenard, évoqué plus haut, ou Emmanuelle Bercot, Gustave Kervern et Ramzy Bédia, tous se voient entièrement écrasés, et à l’image du duo de réalisateurs, entièrement mis au service du show intégral de Jonathan Cohen. Ainsi, rien ne survit au charme à la fois pathétique et ravageur de l’acteur et de son personnage, que ce soit une enquête intéressante sur fond de colonialisme, mais finalement rapidement et injustement expédiée, comme l’évolution de multiples protagonistes, tous malheureusement sacrifiés aussi scénaristiquement que physiquement.
Excès avec succès
Néanmoins, il reste à ce Sentinelle de quoi plus qu’efficacement faire sourire et surtout divertir. Mené sans presque aucun temps morts, l’intrigue, même en servant uniquement de prétexte à ce one-man show à peine dissimulé, se voit étonnamment inspirée à la mise en scène, le duo de metteurs en scène parcourant un décor qu’ils affectionnent et dont le tableau enamouré se voit pleinement traduit à l’écran. Malgré leurs prestations de simples figurants, le casting cinq étoiles réussit également à rendre humaine et attachante cette enquête certes moins survoltée que son personnage, mais qui n’en demeure pas moins dénuée de charme. Les choix musicaux très aboutis finissent ainsi de donner une véritable identité à ce qui n’aurait pu être qu’une redite réduite en long-métrage d’une série comme Le Flambeau, qui avouons-le, ressemblait plus à une longue improvisation entre copains qu’à un projet véritablement abouti, ressemblant parfois presque ici à une belle déclaration d’amour.
Et c’est peut-être là le véritable exploit d’Hugo Benamozig et David Caviglioli : être parvenus à exister au-delà d’un projet aux allures de véhicule pensé pour leur acteur. Ce qui n’aurait pu être qu’un long, épuisant et surtout répétitif one-man show se voit ainsi traduit en une comédie techniquement solide, à la mise en scène travaillée, s’inscrivant comme une véritable avancée, plus directe et plus assumée, de tout ce que les deux auteurs avaient entrepris sur leur déjà charmant (malgré quelques longueurs) Terrible Jungle. On rêvera ainsi pour la suite que le succès de Sentinelle leur permettra d’atteindre une notoriété aussi importante que leur acteur, afin de reprendre pleinement possession de leurs moyens et de leurs belles idées pour délivrer un projet qui leur ressemblerait enfin totalement, permettant également au passage à Jonathan Cohen de jouer sur d’autres notes, sans arriver à épuiser et à s’approcher aussi dangereusement de la redite.
Sentinelle est disponible sur Prime Video.
Avis
Sentinelle n'aurait pu être qu'un épuisant one-man show si ses deux réalisateurs n'épousaient pas avec autant d'amour et de savoir-faire les atours de leur acteur ici en pleine possession de ses moyens. Même si ce dernier s'avère incarner à la fois la force et la limite de cette comédie dont la forme s'avère parfois plus hilarante que le fond, expédié et sacrifié à la gloire de Jonathan Cohen, il en reste cependant une comédie hilarante, menée sans temps mort et loin d'être dénuée de savoir-faire et d'idées.