Plus de 3 ans après son adaptation moyenne du Crime de l’Orient-Express, Kenneth Branagh revient devant et derrière la caméra pour transposer un autre roman culte d’Agatha Christie. Cette fois, Mort sur le Nil emmène Hercule Poirot pour une croisière en Égypte : meurtre, suspects, indices et CGI baveux reviennent pour nous jouer un mauvais tour !
Après les divers coups d’épée dans l’eau de l’ami Branagh pour s’inscrire en tant que réalisateur de blockbusters (qui se souvient de The Ryan Initiative ou du giga bordel Artemis Fowl ?), ce dernier avait accouché en 2017 d’une nouvelle adaptation du Crime de l’Orient-Express. Giga succès littéraire signé Agatha Christie, ce dernier voyait le détective belge Hercule Poirot à bord du fameux train éponyme, afin d’élucider un assassinat. Après le succès au box-office de cette nouvelle mouture, qui valait avant tout par la présence de Kenneth Branagh dans une version plus espiègle et haute en couleur du célèbre détective, le voilà de retour dans cette seconde aventure.
Et pas avec n’importe quel récit, mais en adaptant Mort sur le Nil, autre roman d’Agatha Christie archi connu (qui a également eu droit à diverses versions, notamment un film réussi de 1978 par John Guillemin). Initialement prévu pour fin 2020, le métrage arrive enfin en salles : outre Branagh, sa grosse moustache et son accent « zisse ize eu meurdeur« , on retrouve un casting de têtes d’affiches, avec notamment Gal Gadot (Wonder Woman, Red Notice), Emma Mackey (Sex Education, Eiffel), Armie Hammer (Agents très spéciaux, Call Me By Your Name), Letitia Wright (Black Panther, Black Mirror) ou encore Annette Bening (American Beauty, Captain Marvel). Un trombinoscope de suspects pour une croisière malheureusement très artificielle !
Agatha Christie-style, Mort sur le Nil est un whodunnit, c’est-à-dire un film d’enquête aux airs de Cluedo : à mi-parcours du récit, un meurtre va être commis, et il incombe donc à Hercule Poirot d’interroger chaque individu présent pour démêler le vrai du faux. Un accès à la vérité qui, chez l’autrice, se veut emprunt de suspense et de divers rebondissements alors qu’on apprend à connaître chacun des personnages, et les secrets qu’ils préfèrent enfouir. Un côté prenant et réjouissant que malheureusement Branagh ne parvient pas à retranscrire tout aux long des 2h fastidieuses du métrage !
Flemme sur le Nil
Le film démarre pourtant de manière incarnée et surprenante : dans une séquence de no man’s land en noir et blanc, nous découvrons « l’origin story » d’Hercule Poirot lors de la première guerre mondiale. Une introduction carrée, mettant en avant l’amour passé du personnage, et caractérisant efficacement le leitmotiv de toute l’intrigue. Car oui, Mort sur le Nil est avant tout une histoire d’amour contrariée et de cœur brisé ! S’ensuit une séquence de bal présentant efficacement les personnages-clés, usant de légers plans-séquences maitrisés et d’une bonne gestion de l’espace : Simon Doyle (Armie Hammer) danse de manière sensuelle et endiablée avec sa compagne Jacqueline de Bellefort (Emma Mackey). Cette dernière lui présente sa meilleure amie, la richissime Linnet Ridgeway (Gal Gadot).
Malheureusement, Simon s’éprend de Linnet, et quelques semaines plus tard, les tourtereaux s’en vont fêter leurs noces en Égypte. C’est le début d’une croisière remontant le Nil, avec à bord du navire Poirot, son assistant, le couple Doyle, l’ex compagnon de Linnet, sa servante, son infirmière, une ancienne camarade (et sa mère musicienne de jazz) ainsi que Jacqueline. Prête à tout pour reprendre son bien-aimé, cette dernière représente d’entrée de jeu le facteur déclenchant d’une série d’évènements conduisant à une sombre machination. Le hic étant que passées les 30 premières minutes de métrage pour contextualiser son intrigue, Branagh dilue le récit et filme le tout sans la moindre once d’emphase. En résulte un film d’enquêtes régulièrement neurasthénique, qui peine à impliquer le spectateur.
C’est bien dommage tant on tient là un des meilleurs récits d’Agatha Christie, ici expurgé de toute tension dramatique ou implication dans la narration. La faute en premier lieu à une mise en scène fonctionnelle au possible, régulièrement de facture télévisuelle et sans point de vue. On a heureusement quelques soubresauts (l’introduction, l’irruption du meurtre…) mais ces derniers se révèlent bien trop rares pour justifier cette entreprise. Au final, Mort sur le Nil repose avant tout sur l’histoire déjà connue, un Kenneth Branagh toujours plaisant à voir évoluer dans ce rôle (tantôt bon vivant et truculent, tantôt cynique et méthodique) et son casting.
Là encore la nuance s’impose, car si Emma Mackey (très bonne en Jacqueline névrosée et dépendante émotionnelle), Sophie Okonedo (qui en impose directement en terme de présence) ou Gal Gadot (utilisée de manière juste en femme caractérisée par sa beauté candide) se détachent, le reste de la distribution fait soit le minimum syndical (ou le cabotinage excessif d’Annette Bening, peu aidée par un montage bazardant tout type de révélations), soit n’est utilisée qu’à des fins de figuration (concrètement Rose Leslie ou Letita Wright n’ont pas grand chose à défendre). Un constat bien dommageable, compensé par le fait qu’aucune vraie fausse note d’interprétation ne vient parasiter ce trombinoscopes de personnages, à défaut de pleinement lui donner de l’incarnation.
L’Égypte à la lessive
Mort sur le Nil a comme grande force initiale de proposer un vrai dépaysement, de par son setting exotique chargé d’Histoire. Bien sûr ça c’est dans les faits, car contrairement à l’adaptation de 1978, ici pas de décor naturel : et ça se voit ! Le Crime de l’Orient-Express partait du même principe et avait quand même une fabrication des plus correctes. Passées quelques plans de carte postale et aux couleurs chatoyantes, la réalité rattrape rapidement le spectateur, avec des fonds verts voyants et des décors à l’artificialité amère. Au final, seuls les divers intérieurs du Karnak et les séquences de nuit ne semblent pas criards, et Branagh peut se féliciter d’avoir Patrick Doyle à la musique, afin d’apporter un peu d’évasion aux influences orientales.
En conclusion, Kenneth Branagh signe une décevante adaptation de Mort sur le Nil. Pourtant aidé d’un cast solide et du récit de base (heureusement transposé tel quel), cette version vaut avant tout pour les néophytes de l’œuvre d’Agatha Christie. Peu inspiré à traiter les divers personnages ou à donner du corps au setting du film, Branagh parvient cependant par petites touches (comme en 2017) à rendre son Hercule Poirot touchant et plus intéressant qu’il en a l’air sous sa fringante stature. Ce n’est malheureusement pas assez pour justifier le caractère pépère et ronflant de cette croisière sur un Nil tiède. On se reverra le film de John Guillemin à la place (ou bien un très bon whodunnit comme Knives Out) ! Bref, c’est pas terrible.