HBO aura frappé fort l’été dernier avec Euphoria. Une série originale co-produite par A24 (Moonlight, 90’s, Waves) et Drake, qui aura su faire parler d’elle à plus d’un titre. Et en attendant la suite, il est temps de revenir sur la saison 1 !
Après Assassination Nation, Sam Levinson s’attelle à écrire une série qui poursuivra son autopsie de l’Amérique moderne à travers le prisme d’une jeunesse perdue. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le fils de Barry Levinson nous aura abreuver de 8 épisodes étonnants et détonants ! En effet, si les teen dramas pullulent aujourd’hui, c’est la 1e incursion d’HBO dans le genre. Mais surtout, Euphoria aborde les affres de la jeunesse d’aujourd’hui par une approche frontale, explicite et pour ainsi dire complètement inédite.
En effet, avec près de 6 Millions de visionnage, la série a su faire parler d’elle d’entrée de jeu, et ce dès le pilote. Nudité frontale, scènes de sexe crues, thèmes tabous et autres usages de substance illicites….Euphoria ne prend pas de pincettes ! Mais loin d’être dans l’optique de choquer ou d’entraîner le spectateur dans une spirale de violence à la Gaspar Noé, Sam Levinson nous invite à découvrir les méandres du réel. Une réalité certes parfois augmentée, mais où le réalisateur s’inspire de vraies personnes et de son propre vécu. Le résultat est tout bonnement hallucinant.
Nous faisons la connaissance de Rue Bennett, ado en perte de repères après la mort de son père. Après un séjour d’été en désintoxication, nous la suivrons tant bien que mal, tentant de balancer son addiction avec sa vie familiale. Au même moment, elle fera la rencontre de Jules, une mystérieuse jeune femme qui la changera complètement… pour le meilleur ou le pire ? Ce point de départ s’élargira pour nous présenter une galerie de personnages divers et ultra fouillés, jamais manichéens, trimballant presque tous leurs démons. Pour donner un degré de caractérisation et de sophistication supplémentaire, il faut donc un casting qui envoie, et Euphoria ne déçoit pas non plus de ce côté !
Que ce soient les révélations Hunter Schafer (personnage passionnant de trans en quête identitaire), Jacob Elordi (golden boy violent sans repères), Sydney Sweeney (cheerleader en quête d’amour à l’enfance détruite), Barbie Ferreira (moquée pour son poids, qui découvrira l’emprise du pouvoir féminin), Alexa Demie (en pleine relation abusive) ou la confirmation Algee Smith (quaterback aux rêves brisés), la série jouit d’acteurs tous aussi excellents les uns que les autres. Et si les apports de Eric Dane (Dr Glamour), Storm Reid (Invisible Man) et Maude Apatow (Assassination Nation) augurent du bon pour la saison 2, c’est Zendaya qui porte littéralement la série sur ses épaules. Sorte de looser magnifique, narratrice principale qui n’a pas sa langue dans sa poche, l’actrice livre une performance d’exception (il suffit de voir la scène finale de l’épisode 3 pour s’en convaincre).
La beauté dans la violence
Si le casting est d’exception, offrant un regard nuancé et plus réaliste sur une génération Z névrosée, chaque personnage est au service d’une narration maîtrisée. Introduits via diverses scénettes flash-back au début de chaque épisode, ils sont les vecteurs d’exploration des thèmes d’Euphoria. Masculinité toxique, sexisme, culture du corps, addiction, relations amoureuses, dysfonctions familiales, viol, suicide, avortement, pornographie et réseaux sociaux… On prend ces sujets à bras le corps comme peu l’ont fait.
Rien n’est épargné, mais le tout est amené de manière brillante, nous plongeant dans le quotidien bouleversant des ces âmes égarées. En résulte une série détournant les codes du genre, emprunte d’un spleen mélancolique, régulièrement boostée par des éclairs d’émotion et d’euphorie comme dans une descente d’acide. Une éblouissante réussite atmosphérique et immersive !
Euphoria a beau être une petite perle d’écriture, le tout est démultiplié par la puissance de sa mise en scène. Travelings dingos, plans méticuleusement composés, lumière de toute beauté… La série a régulièrement un aspect onirique qui s’en dégage, décuplant la beauté et les sentiments dans la noirceur parfois anxiogène de ses propos. Se réinventant constamment, parfois dans la sur-esthétisation mais toujours au service de son histoire et du lyrisme qu’elle souhaite apporter, Euphoria surprend !
Elle n’hésite pas à bousculer les codes narratifs en brisant le 4e mur, ses codes de mise en scène et de montage. Que ce soit un épisode en fête foraine de toute beauté, une séquence de boîte de nuit fiévreuse, un final transcendant en comédie musicale ou des incursions vers l’hallucinatoire le plus total dans un séquence de couloir à la Inception proprement stupéfiant, il faut régulièrement se pincer devant le soin apporté à cette saison.
On en redemande une dose
Désireux de représenter l’adolescence comme « semi-magique, semi-folle et semi-psychotique », Sam Levinson ramène 2 personnes majeures pour soigner l’ambiance sonore. D’un côté Jen Malone, à la supervision des musiques (elle a bossé sur Creed et Atlanta), choisissant toujours des morceaux d’enfer (de Beyonce à Jamie xx) tels des trésors auditifs. Cet usage n’est pas anodin et permet d’ancrer et de mieux représenter les goûts musicaux de la jeunesse contemporaine, tout en proposant des sons aux paroles toujours en lien avec ce qu’il s’y passe.
Et de l’autre côté, l’artiste britannique Labrinth, proposant ni plus ni moins qu’une des meilleures bandes-originales récentes. A base de synthé ou de chœurs, cette OST lorgnant vers le trip-hop et la soundwave est de toute beauté ! En accord total avec les intentions de la série, il s’agit d’une composante majeure d’Euphoria tout simplement. Que ce soit le son, la forme et le fond, difficile de rester impassible devant autant de talent.
Si quelques archétypes sont là et quelques personnages sont relégués au second plan, cette saison aura su dynamiter le teen drama comme nulle autre. Renvoyant également à du Gregg Araki, du John Hughes et un peu de Skins, Euphoria se positionne ni plus ni moins comme nouvelle référence du genre. Destinée avant tout à un public averti, la série aborde des sujets tabous ou dérangeants, tout en jonglant admirablement avec une poésie, un humour noir, une empathie et une sensibilité à fleur de peau.
Drôle, trash, parfois éprouvante ou bouleversante, Euphoria est une petite bombe dans la monde des séries. Vrai maelström d’émotion et de moments de grâce, sublimée par des acteurs grandioses, une mise en scène brillante et une fabrication impeccable, cette incursion désenchantée, mais hautement humaniste, dans une génération au spleen mélancolique magnifiquement retranscrit est un grand coup de HBO (avec Watchmen et Chernobyl). Si le final sous forme de cliffhanger peut légèrement frustrer, il nous tarde réellement de découvrir la suite d’une des meilleures séries de 2019.