Avant le dernier tour de piste de Daniel Craig en 007 pour Mourir peut attendre, il est temps de revenir sur Spectre. Après le succès tonitruant de Skyfall, jonglant habilement entre modernité et classicisme, le 4e opus de la « saga Craig » était attendu au tournant. D’autant qu’il s’agit ni plus ni moins que de la même équipe aux commandes, sans Roger Deakins à la photographie cette fois. Retour sur la 24e aventure de James Bond, opérant un gros retour aux bases de la franchise.
Comment passer après Skyfall ? Telle était la question sur toutes les lèvres après le triomphe critique et public en 2012. Après avoir envisagé Nicolas Winding Refn, Barbara Broccoli et Michael G.Wilson (pontes de la saga) décident de courtiser Sam Mendes pour réaliser un nouvel opus. Spectre, comme son nom l’indique, voit le retour de la fameuse organisation criminelle rendue culte dans les films de l’ère Connery. Un fameux retour aux sources qui va d’ailleurs faire partie intégrante de l’ADN de ce James Bond.
Prenant place quelques mois après les évènements de Skyfall, le film s’ouvre d’ailleurs sur une impressionnante séquence à Mexico. Via un long et complexe plan-séquence dans les rues bondées pour le « Jour des Morts », Bond évolue aux côtés de 250 000 figurants, pour traquer un terroriste italien. Une mission distribuée à 007 à titre posthume par l’ancienne M (Judi Dench), qui le mènera plus près encore de l’organisation tentaculaire SPECTRE. Une formule connue, à type « d’indice au point A qui me mène au point B », qui malheureusement s’étirera pas mal tout au long des 2h20 du métrage.
Car oui, le principal reproche que l’on pourrait faire à Spectre est son écriture. Après une modernisation et une remise en perspective de James Bond à partir de Casino Royale, le personnage avait franchi une autre étape avec Skyfall. Plus raffiné et avec du flegme, cette fois la mutation s’opère encore plus ici. Un vrai retour en arrière en somme, sans prétention de psychanalyse freudienne pour notre héros. Ici la formule « classique Bond » s’applique à absolument tous les niveaux : petite punchline bien placée, séduction, explosion, Aston Martin DB10 truffée de gadgets, voyage dans plusieurs pays et bien sûr gros méchant mégalo !
Si l’intrigue se suit globalement avec plaisir, très vite on regrettera de gros poncifs dignes d’une série B des 80’s (comparé au sérieux de l’ensemble). Un méchant très méchant, ayant un lien artificiel avec James Bond, une enfance ponctuée de daddy issues (vous comprenez, c’est pas de sa faute s’il est méchant), dont le plan final parait bien anecdotique. Pire, Spectre amène au forceps une continuité scénaristique un brin factice avec les 3 précédents films (notamment leurs bad guys). En bref, un scénario qui nous en touche une sans faire bouger quoi que ce soit, et très attendu dans son déroulé. Néanmoins, le film arrive régulièrement à intéresser au gré de ses séquences.
Un petit Q carré
A l’instar de Skyfall, Spectre bénéficie d’un soin tout particulier de son visuel. Exit Roger Deakins et son travail hallucinant sur les ombres, et welcome le suédois Hoyte van Hoytema (Interstellar, Tenet, Ad Astra). En résulte une photographie plus âpre, lorgnant beaucoup sur l’ocre, en particulier lors d’un somptueux passage nocturne à Rome ! Spectre ne représente pas la meilleure photographie de son chef op’, la faute à quelques environnements éclairés sans réelle patine. Néanmoins on tient là un bel épisode de la saga formellement, nous faisant voyager du Mexique au désert marocain, en passant par l’Italie, l’Autriche et Londres. Une belle mise en scène par Sam Mendes : c’est carré !
On notera quand même une production design légèrement en retrait à l’exception près du passage nocturne à Rome ou d’une base ennemie au décor quasi lunaire. Heureusement, la fabrication globale et le soin apporté aux images font très bien passer la pilule, et chaque lieu a son atmosphère, bien que peu marquée. Même musicalement, Thomas Newman revient avec des sonorités héritées de Skyfall, avec peu de nouveaux morceaux à notifier. La musique reste bien sûr soignée, avec un thème principal clairement inspiré de John Barry (et présent lors du générique Writing’s on the Wall par Sam Smith).
Concernant les scènes d’action, rebelote ! Après une intro ultra efficace (meilleure scène d’action du film) c’est un peu le festival de la facilité. Une poursuite en avion assez peu palpitante qui se réveille lors de ses dernières secondes, une poursuite dans des rues vides de Rome à 50 km/h (mais qui se dynamise pour ses 2 dernières minutes le long du Tibre), un gunfight de 30 secondes et un final un brin anti-climactique… nous ne sommes pas dans les séquences les plus stimulantes de la franchise ! Seul un intense et brutal combat dans un train face à Mr Hinx (un Dave Bautista mutique en homme de main) fait bien le café (en hommage à l’Espion qui m’aimait et Bons Baisers de Russie). Éditées par Lee Smith (Dunkerque, Inception), les scènes d’action plutôt éparses sacrifient le dynamisme et l’énergie au profit de la fluidité et la lisibilité. Peut-être un peu trop…
Si ces séquences musclées sont peut-être les moins originales de la franchise depuis facilement une bonne trentaine d’années (on ne va peut-être pas non plus regretter le kitesurf de Pierce Brosnan dans Die Another Day non plus rassurez-vous), on reste quand même engagé grâce aux personnages. Malgré le grand méchant Franz Oberhauser (Christoph Waltz qui nous donne le minimum syndical malgré une superbe introduction) ou C (Andrew Scott en costard-cravate crypto-ambigu et superflu), des individus faisant office de coup d’épée dans l’eau, chaque acteur est bon et donne de l’incarnation à son personnage. Les retours de Moneypenny (Naomie Harris), M (Ralph Fiennes) et Q (Ben Wishaw) sont toujours savoureux, et bien intégrés au récit.
Femmes à l’honneur
Au centre il y a toujours un Daniel Craig en grande forme, toujours impliqué dans les séquences d’action, dramatiques ou romantiques. Si dans cet épisode le traitement du personnage est beaucoup plus straight et en retrait, on assiste néanmoins à un pivot avant Mourir peut attendre. Spectre met à l’honneur 2 Bond Girls, dont une Monica Bellucci bénéficiant de la meilleure scène du film. Une séquence de séduction intense et passionnelle, à la tension sexuelle stratosphérique (officiellement la Bond Girl la plus âgée de la saga, elle marque le film malgré sa faible présence d’à peine 6 min). Du pur Bond donc, avant d’introduire Madeleine Swan, la fille de Mr White (Jesper Christensen, vu dans Casino Royale et Quantum of Solace).
Jouée par Léa Seydoux, Madeleine n’a pas l’alchimie avec Bond que ce dernier avait avec Vesper, mais malgré ce côté plus effacé, le duo fonctionne et représente une possible échappatoire pour le célèbre espion. Les enjeux vont très vite se former autour de leur relation, plutôt que sur les plans capillotractés de SPECTRE, et garder cet enjeu plus personnel est toujours un plus. Avec son final en point d’interrogation, Spectre ne permet pas de donner une conclusion à cette relation centrale et importante pour Bond… en attendant le prochain bien sûr !
En résumé, Spectre n’est ni le meilleur James Bond, ni le pire : passer après Skyfall était sans doute sa plus grande erreur. Avec son absence de toute prétention, désireux de revenir aux fondamentaux de la franchise (sans les transcender), le film a des allures de retour en arrière. Nous avons néanmoins affaire à une évolution logique orchestrée avec le volet précédent, et prélude au dernier tour de piste de Daniel Craig.
S’il méritait un meilleur traitement au niveau de son histoire, de l’élaboration de scènes d’action, du rythme de sa narration (le dernier tiers du film patine et méritait une amputation de facile 15-20 min) et également de son antagoniste, Spectre demeure un épisode plaisant. Pas dénué de défauts, il fourmille néanmoins de points positifs en lien avec sa fabrication soignée et ses acteurs impliqués. Un parfum d’action-espionnage qui n’a rien d’original, qui se suit sans déplaisir, en attendant la suite !