Gone Girl sortira en 2014, et deviendra le plus gros succès de David Fincher. Adapté du livre éponyme de Gillian Flynn, le film débute via un mystère : qu’est-il arrivé à la femme de Nick Dunn ? Une question dont la réponse dévoilera un scénario des plus diaboliques, dans un thriller noir aux proportions vertigineuses.
« Quand je pense à ma femme, je pense toujours à sa tête. Je m’imagine fendre son adorable crâne, et de dérouler son cerveau dans l’espoir d’y trouver des réponses… aux questions fondamentales du mariage« . Ce sont sur ces quelques mots et le visage craintif de Rosamund Pike (A United Kingdom, Hostiles) que Gone Girl débute. Nous faisons ensuite connaissance avec Nick Dunne (Ben Affleck), le matin du 5 juillet 2012, dans la petite bourgade fictive de North Cottage dans le Missouri.
Un patelin calme, filmé avec une sobriété et un œil aiguisé de David Fincher et son chef opérateur Jeff Cronenweth (Fight Club, The Social Network, Millenium). Nick passe voir sa sœur Margo dans le bar (peu fréquenté) qu’ils tiennent, et en rentrant chez lui, il fera un curieux constat. La table du salon est brisée, et sa femme Amy (Rosamund Pike) est introuvable. La police est appelée sur les lieux, des traces de sang sont retrouvées dans la cuisine et rapidement un avis de recherche sera lancé. Mais très vite, l’attitude un brin détachée et apathique de Nick portera de sérieux soupçons à son égard : et s’il avait tué sa femme ?
Gone Girl est à la base un roman à succès de Gillian Flynn (Sharp Objects, Les Veuves, Utopia) sorti en 2012. La Fox mettra le grappin sur les droits du bouquin dans l’optique d’en faire un film. La subtilité ? Flynn adapte elle-même son œuvre, en écrivant le script conjointement avec David Fincher. Ce dernier sera particulièrement attiré par les thèmes abordés, et la structure atypique de Gone Girl.
Débutant via un mystère à élucider, le film devient ensuite en vrai thriller absurde, avant de muter en satire sociétale désenchantée. Parler de Gone Girl en dévoilant ses secrets est pertinent vu la richesse du long-métrage (Fincher sera intransigeant vis-à-vis du marketing) mais pour toute personne ne l’ayant jamais vu : fuyez cette critique, et expérimentez un des plus grands films des années 2010 (rien que ça) tout de suite. Et si cet avertissement ne vous sied guère, lisez à vos risques et périls !
Un scénario brillant
Si par le passé les films de David Fincher disposaient de scripts très travaillés, desquels le réalisateur s’en appropriaient la substantifique moelle, Gone Girl est certainement le scénario le plus élaboré de sa filmographie. En effet, le film doit autant à la plume de Gillian Flynn qu’à la capacité de David Fincher à parfaitement emballer son récit pour en faire ressortir les thèmes et la psyché des personnages. Depuis The Social Network, le réalisateur a affirmé son style en s’entourant d’une équipe de confiance. Et le montage de Kirk Baxter est une des grandes forces dès le tout premier acte.
Comme dit précédemment, Gone Girl débute de manière mystérieuse : un mari à l’attitude suspecte, des soupçons grandissants de la police, et surtout une narration alternant entre présent et flash-backs. Nous découvrons la rencontre idyllique du jeune couple : l’un est journaliste, l’autre est l’ex-enfant star Amy Eliott des livres « Amazing Amy » (des histoires romancées de sa jeunesse). Drague intellectuelle, premier baiser dans une tempête de sucre au milieu des détritus, demande en mariage idéalisée… le couple semble filer le parfait amour au fil des ans. Un vrai contraste de tonalité en comparaison de la froideur des événements survenant 5 ans plus tard.
Via des inserts où Amy rédige élégamment son journal intime de ses belles mains manucurées, le spectateur se prendra d’affection pour le personnage. A mesure que le mariage se dégrade à chaque cadeau d’anniversaire, la narration non-objective place inconsciemment Amy comme la future victime de son mari. Une frustration qui ira crescendo, au même moment où l’on apprend que le couple perd leur job respectif et quittent New York pour le Midwest natal de Nick. Le début de la fin en quelque sorte !
Et c’est à ce moment que Gone Girl commence à se dévoiler, bribe par bribe ! Si nous sommes naturellement dupés par Les Apparences (titre VF du bouquin), avec une vision de Nick en venant aux mains avec sa femme, le jeu de manipulation ne fera que commencer. Après une heure de film, un superbe twist rabat toutes les cartes via une révélation choc. Gone Girl devient un pur thriller Hitchockien (ou dans la veine du cinéma de De Palma), usant de faux-semblants et de la figure de la femme fatale au premier plan.
Amazing Amy
On connait Fincher depuis le temps, avec sa direction d’acteurs aussi jusqu’au-boutiste et précise que sa mise en scène. Avec Gone Girl on est clairement dans cette mouvance, avec un casting étonnant à plus d’un titre. Le choix de Ben Affleck s’est fait naturellement, considéré par le réal comme « parfait pour faire semblant de manière subtile » ‘il ira même jusqu’à avouer qu’il n’aurait pas confiance en lui s’il était sa femme !). Ce sentiment est parfaitement retranscrit à l’écran : après une vraie renaissance avec The Town, Argo et Live by Night, Ben Affleck livre une performance nuancée d’excellente facture.
Mais celle qui vole la vedette est clairement Rosamund Pike, dans un rôle de psychopathe borderline absolument inoubliable. Habituée à des rôles de second plan (Meurs un autre jour, Jack Reacher, Orgueils & Préjugés), l’actrice sera choisie parmi de sérieuses prétendantes (Reese Witherspoon était un temps attachée). Son côté difficile à cerner associé à sa beauté convaincront Fincher, et le résultat est sans appel. Impliquée à 200% (elle prendra 6 kilos en 2 semaines, pour les reperdre ensuite pendant le tournage), Pike fait d’Amy une antagoniste terrifiante, moralement détestable, mais fascinante à chaque plan.
Ayant grandie dans l’ombre de son avatar fictionnel piloté par ses parents, Amy aspire à une vie parfaite avec son mari parfait. Un mari narcissique qui cessera de faire des efforts pour alimenter leur mariage, et qui de surcroit la trompera avec Emily Ratajkowski (un choix de casting qui fait de Nick un type détestable pour les femmes, et compréhensible pour les hommes) ! Au final, ces 2 personnes vivant dans une grande demeure vide (comme le vide de leur vie commune) représentent une vision nihiliste et profondément pessimiste de la notion du couple.
Pourtant, de manière pervertie et totalement barrée, Amy est un personnage dont on comprend les actes et la motivation. Critiquant une vision archaïque de la femme qu’on séduit pour l’exhiber tel un trophée, et la délaisser en espérant qu’elle devienne la « fille cool » au service de son mari, Gone Girl dépeint sans aucun doute la vision la plus noire qui soit du mariage. Pour le meilleur et surtout pour le pire !
L’envers des apparences
Là où Gone Girl ne finit pas de nous surprendre tout au long de ses 2h30, c’est dans sa dernière partie que le clou est enfoncé. Le film ne cessera de balader le spectateur, renverser nos attentes (avec le meurtre le plus graphique vu dans un film de Fincher), jusqu’à un dernier tiers versant dans l’humour noir absolu. Les codes du thriller s’effacent de manière vertigineuse, pour laisser place à une vraie satire des médias et de nos sociétés modernes ! En effet, les journalistes sont présentés comme des sangsues en manque de sensationnalisme, manipulant l’opinion collective pour y appliquer un miroir déformant du réel. Nick Dunne sera vite désigné comme coupable d’une relation toxique, face à des preuves factices de femme idéale (enceinte par dessus le tout).
Taxée à tort de misogyne par certains, Flynn défend son féminisme en traitant Amy comme un vrai personnage moteur malgré son caractère pathologique. Les femmes ne sont pas toujours des demoiselles en détresse ou des victimes, malgré ce que l’opinion publique puisse penser. Au final, Gone Girl se veut une critique des mœurs sociales basées sur le théâtralité des apparences, nos projections individuelles dans le but de séduire ou manipuler. Tout comme Nick, nous sommes prisonniers de simulacres médiatisés de notre système capitaliste.
Par ailleurs, Gone Girl bénéficie d’un soin impérial à tous les niveaux de sa fabrication. Mise en scène précise, photographie de toute beauté, montage parfait, et acting au cordeau. Un casting secondaire de talent (et même surprenant) est de la partie : Carrie Coon (The Leftovers) en sœur affectueuse, caustique et complice ; Tyler Perry (charismatique à souhait), Neil Patrick Harris (How I Met Your Mother) dans un rôle à contre-emploi, Kim Dickens (Deadwood, Treme) parfaite en flic ; les apparitions de Scoot McNairy (Godless) et Boyd Hollbrook (Narcos)…
Même le duo de choc Trent Reznor-Atticus Ross (The Social Network, Millenium, Watchmen) fournissent une BO envoûtante, tantôt harmonieuse (« Sugar Storm« ), tantôt inquiétante (« What Have We Done to Each Other« ) et dissonante (« The Way He Looks at Me« ). Encore une fois, on tient une musique entêtante qui s’insinue dans notre esprit pour apporter au film une atmosphère pesante et glaciale des plus grisantes.
Se concluant par un plan lourd de sens (en réponse avec l’ouverture du film), Gone Girl est une œuvre d’une noirceur et d’une profondeur absolument extraordinaire. Un pur film de genre (et plus gros succès de son réal avec 370 millions au box-office), qui touche à notre condition humaine de manière totalement diabolique et machiavélique. Passionnant, doté d’un des méchants les plus terrifiants de mémoire récente, on tient non seulement un des plus grands films de David Fincher, mais aussi un des plus grands films de ces dernières années. Un bijou cinématographique et un classique incontournable qui fait froid dans le dos !