Emancipation se voulait être le candidat de choix d’Apple pour les Oscars, avec au premier plan un Will Smith en état de grâce après sa statuette pour La Méthode Williams. Drame historique en pleine Amérique esclavagiste, ce nouveau film d’Antoine Fuqua fait avant tout figure de série B à gros budget en contant l’histoire vraie de l’esclave Peter à travers sa fuite dans le bayou.
Emancipation a pour point de départ Gordon (ou Peter le fouetté), un esclave afro-américain ayant réellement existé en pleine période de la Guerre de Sécession, qui opposa les Etats confédérés du Sud et l’Union des États du Nord. Alors enchaîné dans une plantation de Louisiane en 1863, Peter a réussi à s’enfuir jusqu’à Baton Rouge via un périple de 64 km pour rejoindre le corps de l’armée abolitionniste.
Une histoire d’autant plus importante qu’à l’issue de cette fuite à travers le bayou, le dos lacéré de Peter par les coups de fouet aura fait l’objet de célèbres photographies par Pherson et Oliver. Un symbole dénonçant l’horreur de l’esclavage, et qui aura circulé dans le monde. Bref, tout est là pour accoucher d’un grand film avec Emancipation.
Ainsi, Emancipation prend ce même point de départ pour les 2H12 de film qui nous attendent, alors que Peter (Will Smith) est séparé de sa famille pour être acheminé dans un camp de travail. La fuite (et la traque) constitueront le gros morceau du métrage, alors qu’un curieux aspect bicéphale n’habite le film pour en faire quelque chose de bien moins éclatant ou bouleversant que ce qu’il aurait dû être.
Série B déguisée
Antoine Fuqua n’a jamais été un grand réalisateur, mais un metteur à scène avec du métier dont les réussites lorgnant avant tout dans la série B (Training Day, Equalizer) et non dans les grands drames concernés (Les Larmes du Soleil). Dès lors, Emancipation se veut plaisant et digne d’intérêt lorsqu’il verse dans le pur survival plutôt que dans le drame historique académique.
Sur un scénario de William N.Collage (les ignobles Assassin’s Creed et Exodus), le script ne relève d’aucune vraie finesse d’écriture, en particulier dans sa volonté d’amener l’émotion de manière balourde et sur-appuyée. Le plus bel exemple est dans le traitement à l’écran de la famille de Peter (avec Charmaine Bingwa et son phrasé créole) servant de simple outil narratif illustratif beaucoup trop superficiel pour être touchant.
Du côté des personnages, pas de miracle non plus : on tient des archétypes unidimensionnels, en particulier chez les esclavagistes. Que ce soit Steven Ogg qui rejoue son perso de Trevor de GTA V ou bien le grand méchant incarné par Ben Foster (Comancheria), l’opposition est représentée par les pires raclures qui soient. Agrémenté d’un Peter valeureux et courageux à chaque instant, Emancipation troque son balisage par une certaine efficacité et une facture visuelle travaillée.
I’m in the love with the Croco
Doté d’un budget très confortable de 120 millions de dollars, Emancipation bénéficie d’un soin constant que ce soit dans sa production design, le nombre de figurants à l’écran ou encore une photographie léchée signée Robert Richardson (Once Upon a Time…in Hollywood, Casino, Aviator). Cette dernière a le mérite de sortir des carcans habituels, en proposant une colorimétrie désaturée où le rouge sang ressort dans le cadre, avec que les couleurs reviennent peu à peu à l’issue de sa conclusion.
La mise en scène propose à intervalles réguliers quelques saillies visuelles bien impressionnantes, à l’instar d’une introduction dans un camp de travail respirant la mort à chaque plan. Corps décharnés, esclaves au pilori, fosses emplies de cadavre… on est bien loin de l’image parfois aseptisée de l’esclavage et c’est forcément rafraîchissant de voir cela dans un blockbuster mid-budget. La traque qui s’ensuit est également ponctuée de séquences dignes d’intérêt, tels qu’une confrontation avec des chiens ou face à un crocodile plus vrai que nature signé Joe Letteri (responsable des effets visuels d’Avatar, King Kong,War for the Planet of the Apes).
Et même si Fuqua parvient à proposer quelques moments efficaces en terme de tension, la dernière partie d’Emancipation faiblit drastiquement dès lors que les enjeux survivalistes sont remplacés par de la scène de guerre. Là encore, les moyens sont là, mais cette dernière demi-heure laisse une sensation de pilotage automatique tel un sous-Glory, où les hommes ne sont plus que de la chair à canon. Un constat dommageable, tant les 1h30 qui précèdent se voulaient tenues et plutôt efficientes.
Will Smith Unchained
Au milieu de tout ça, Will Smith incarne fièrement Peter avec une implication qui se ressent à l’écran. Pas nécessairement la performance le plus inspirée de sa carrière, l’acteur s’investit physiquement à chaque séquence et use avant tout de son regard plutôt que du verbe. Une certaine humilité et économie de jeu qui sied au postulat de base, dommage que la réalisation et l’écriture globale n’aient pas poussé le curseur vers des cimes plus impactantes.
Au final, Emancipation fait à la fois figure de film académique décevant mais aussi de survival d’action plutôt prenant et solide. Une dichotomie d’intention que l’on doit sans doute à son cinéaste et au scénariste n’ayant pas les reins pour un film de plus grande envergure. Cependant, Antoine Fuqua apporte une facture technique et un aspect soigné à l’ensemble, aidé d’un Will Smith impliqué. Niveau survival, on conseillera cependant Le Territoire des Loups ou l’incroyable Apocalypto. Et si Django Unchained ou 12 Years a Slave demeurent d’illustres films abordant la question de l’esclavage, la référence restera sans doute le trop méconnu Mandingo de Richard Fleischer.
Emancipation est disponible sur Apple TV+ depuis le 9 décembre 2022
avis
Emancipation fait office de survival d'action carré et plaisant, aidé d'une photographie léchée et d'un Will Smith qui y met du sien pour conter l'histoire de Peter. Néanmoins, le tout verse dans le récit balisé et plutôt académique. En résulte une proposition non-dénuée d'intérêt mais bien loin de ce qu'elle aurait pu être entre des mains plus inspirées.