Presque deux ans et demi après sa première Partie, Dune revient dans un second Acte plus ample et plus guerrier, embrassant la dimension Messianique de l’œuvre d’Herbert. En résulte une nouvelle belle preuve que Denis Villeneuve (Prisoners, Sicario, Premier Contact) demeure un artisan esthète des plus précieux dans le cinéma Hollywoodien.
Pour ceux qui ont oublié comment c’était fini le premier Dune : la maison Atréides n’est plus ! En effet, les Harkonnen ont assassiné le Duc Leto après son acquisition de la planète des sables Arrakis, sous l’impulsion de l’Empereur. Néanmoins, Paul et sa mère Jessica ont réussi à survivre, désormais en exil dans le désert. Rencontrant le peuple Fremen, les deux derniers Atréides y voient l’opportunité d’orchestrer leur revanche, tandis que l’ordre religieux des Bene Gesserit semble enfin sur le point de récolter le fruit de leurs prophéties ancestrales : l’arrivée d’un Élu !
Avec Dune Deuxième Partie, nous ne sommes pas tant dans une suite que dans un Acte 2 poursuivant l’adaptation du roman fondateur de Frank Herbert. Point de recontextualisation, on plonge la tête la première dans les dunes de sable, tandis que le récit abandonne la posture de prince adolescent qu’était Paul pour embrasser la figure messianique d’Usul !
Prophète factice
Et c’est dans cet axe narratif que ce Dune 2 trouve sa force, en questionnant ouvertement la posture de prophète (et de « white saviour » autoproclamé) par le protagoniste principal. Une subtilité inédite qui fait preuve d’un beau travail d’adaptation, pas si éloigné du court-circuitage du monomythe de Blade Runner 2049.
Dès lors, Paul est-il l’Élu de la prophétie, celui qui libérera le peuple Fremen du joug de l’Empire ? Ou bien les graines prosélytes de l’ordre des Bene Gesserit ont finalement contaminé toute pureté religieuse malgré les signes équivoques ? Un numéro d’équilibriste d’œuf/poule qui a lui seul parvient à donner une sacrée épaisseur au voyage du héros de Paul Atréides, tandis que bon nombre d’autres grands films (Avatar ou Star Wars) avaient déjà exploité ce type de récit de manière éclatante (et quasi définitive).
Oui, Dune Deuxième Partie n’échappe pas aux tropes du genre, alors que le héros découvre les us et coutumes de son peuple adoptif, en même temps que l’amour et la mesure de son destin. Et si ce second acte n’est d’ailleurs pas parfait dans chacune de ses composantes (en particulier le caractère émotionnel d’une romance pourtant centrale, mais orchestrée sans réelle construction dramaturgique), toujours est-il que l’ensemble à fière allure, alors que Villeneuve déploie un peu plus l’ampleur du récit sans sacrifier sa patine d’auteur.
Les Destins de Dune
Car si Dune Première Partie posait avec brio les bases, cette Deuxième Partie peut mieux renverser les rapports de force ou la boussole morale de ses personnages. C’est particulièrement vrai pour Paul et Jessica (Rebecca Ferguson est encore une fois impeccable), à la fois victimes d’un endoctrinement prophétique les dépassant depuis des générations, mais également eux-mêmes instigateurs du Djihad galactique à venir.
Ainsi, Dune 2 prend des allures de film de guerre avec une gravitas supplémentaire bienvenue. Des visions de Fremen tels des bédouins charognards en quête d’eau (jusque dans la mort) s’entassant dans des caves où se cachent des ogives nucléaires, jusque dans les jeux de stratégie orchestrés par les plus hauts dignitaires du pouvoir (renvoyant à l’eugénisme digne du Troisième Reich), les résonances universelles de l’univers d’Herbert sont toujours d’actualité.
Une substantifique moelle que Villeneuve parvient à totalement capter, même si la dimension humaine reste malgré tout au second plan par instants. Le peu de temps de présence des Harkonnen dans le premier film leur donnait une aura certes plus menaçante, cette Deuxième Partie n’ira pas vraiment colmaté le peu de caractérisation restant (à l’image d’un Glossu Rabban rapidement expédié ou du Baron savourant sa chicha dans son bain de goudron une scène sur deux).
Casting de premier ordre
Néanmoins, c’est aussi l’occasion d'(enfin) admirer Feyd Rautha-Harkonnen : antagoniste déjà entré dans l’imaginaire collectif via Sting en slip chez Lynch, cette fois on a droit à la version psychotique bien charismatique au look de Freezer. Dès sa longue introduction, Austin Butler crève l’écran, tel un reflet déformé de Paul Atréides sous le soleil noir d’un monde stérile. On regrettera sans doute alors que le personnage soit ensuite peu exploité, avant l’inévitable confrontation finale.
Mais passées ces légères déceptions, on se rend compte que ce n’est pas tant l’individualité de chaque âme du film qui compte, mais le destin collectif, tel des pions sur l’échiquier galactique. De quoi globalement contre-balancer le peu de séquences de Léa Seydoux, Christopher Walken ou encore Florence Pugh, naviguant de manière assez périphérique au gré des ellipses du film.
Jusque dans le choix des figurants (étonnantes séquences chamaniques sous psychotrope épicé), Dune Deuxième Partie peut se targuer de proposer un casting 4 étoiles incarné. D’un Javier Bardem parfois sur le fil du cabotinage (le rendant donc aussi attachant) jusqu’à une Zendaya dont on comprend la connivence affective avec Paul (à défaut là encore de mieux la traiter dramaturgiquement), c’est un sans-faute global avec comme épicentre un Timothée Chalamet impérial dont on voit vraiment la mue en prophète maudit.
Nec plus ultra du blockbuster
Mais finalement, la vraie star de Dune Deuxième Partie est sa facture visuelle ! Plus encore que le premier volet, ce second chapitre décuple les échelles et les couleurs (superbe séquence crépusculaire aux tons orangés en début de métrage), affirmant encore une fois Greig Fraser (The Batman, Rogue One) comme un chef opérateur de grand talent.
L’équilibre entre la vision naturaliste de Villeneuve et une esthétique de planet opera plus épique est donc mieux mis en avant, jusque dans dans quelques moments plus guerriers (une escarmouche ou bien un assaut à dos de vers géants) saupoudrés du score ambiant de Hans Zimmer (qui malgré un joli love theme à la Vangelis est peut être moins marquant que pour le précédent).
Mais à ceux qui s’attendant à une épopée de SF épique, calmez vos ardeurs. Point de Seigneur des Anneaux spatial ici, Villeneuve ne s’attardant pas nécessairement sur des morceaux de bravoure filmiques : à l’image du climax, rapidement impressionnant mais aussitôt expédié quelques minutes plus tard malgré l’incroyable tenue technique globale (là encore le mariage entre CGI et practical sets est à saluer).
Plus conteur esthète que narrateur immersif, Villeneuve signe là encore une très bonne adaptation de Dune, dans une Deuxième Partie non plus contée à travers les yeux de Paul, mais via le regard de ceux qui l’entoure. Une manière d’étendre la symbolique de son histoire, sans toutefois la clore. Une Deuxième Partie à la conclusion toujours en suspens donc, dont on espère que l’inévitable Partie finale rendra la trilogie aussi satisfaisante et cohérente que les grandes œuvres héritées de Dune.
Dune Deuxième Partie sortira au cinéma le 28 février 2024
avis
Dune Deuxième Partie est un second Acte où la technicité sans faille côtoie avec brio les velléités d'esthète de Denis Villeneuve, tout en supportant la substantifique moelle du récit de Frank Herbert. Même si quelques menues tares ou ellipses narratives subsistent, le réalisateur parvient à un travail d'adaptation qui force le respect, questionnant la nature même du monomythe avec une réelle pertinence, le tout servi dans un flamboyant écrin visuel. Du très bon blockbuster de SF comme on veut en voir plus !