Après son passage à la Mostra de Venise où il a décroché des prix, Bones and All était une des grosses attentes de cette fin d’année. Cette romance cannibale avec Taylor Russell et Timothée Chalamet surprend à plus d’un titre, par le réalisateur de Call Me By Your Name.
Après le triomphe de Call Me By Your Name, Luca Guadagnino retrouve Timothée Chalamet pour Bones and All, adapté du roman éponyme de Camille DeAngelis. L’histoire prend place en 1988 dans le Nord-Est des Etats-Unis, et nous découvrons la jeune Maren Yearly (Taylor Russell). Cette dernière a tout d’une jeune femme normale, à l’exception d’une particularité. Elle vit seule dans un mobile-home avec son père Frank (Andre Holland), et dort avec un verrou à loquet sur la porte de sa chambre.
Alors qu’elle fait le mur un soir pour assister à une soirée entre copines, Maren va dévoiler au spectateur de violentes pulsions cannibales. Désormais seule et en fuite, cette dernière va tenter de retrouver sa mère afin de mieux comprendre ses origines. Maren va faire la rencontre d’autres individus comme elle, à l’instar de Lee (Timothée Chalamet), un individu vivant en marge de la société. De cette rencontre naîtra une romance, dans un road-trip qui va changer nos deux protagonistes.
Luca Guadagnino s’était avant tout fait connaître pour ses drames à l’ambiance solaire prononcée (notamment A Bigger Splash), avant que son remake de Suspiria (intéressant mais représentant l’anti-thèse de son cinéma) n’opère un certain changement via une approche beaucoup plus aride. Après son passage chez HBO (pour la très bonne mini-série We Are Who We Are) où la question identitaire était au centre du projet, le cinéaste italien continue l’exploration de son thème de prédilection avec Bones and All, tout en opérant un mariage de genres magnifiquement digérés !
À la recherche de l’être chair
Ainsi, Bones and All peut être abordé par plusieurs prismes qui se valent tous autant que l’un que l’autre. Un road-movie à la Ballade Sauvage/Bonnie & Clyde, coming-of-age story à la recherche de ses racines afin de mieux se construire, romance emplie de tendresse entre marginaux dans une société encore peu adepte à l’altérité, ou bien film de genre embrassant à bras le corps la notion de cannibalisme. Car oui, le métrage peut être vu comme une autre réinterprétation du mythe du vampire, avec ces individus adeptes de chair fraîche.
Des cannibales souvent pris de pulsions meurtrières à l’appel du sang, qui tentent de survivre en s’imposant certaines règles, épargnent plus ou moins les innocents, tandis que leur odorat sur-développé leur permet de se flairer entre eux à plusieurs dizaines de mètres de distance. Aspect fantastico-horrifique mis de côté, le voyage de Maren se veut une odyssée cruellement intime (et souvent familière pour quiconque aurait déjà vu des coming-of-age stories), mais néanmoins pertinente et universelle alors qu’elle cherche sa place dans ce monde.
Et alors que les « mangeurs » rencontrés opèrent tous selon le même principe, Guadagnino et son scénariste David Kajganich (The Terror) n’imposent aucune règle précise à part celles que les individus adoptent suivant leur boussole morale. Certains ne s’attaquent qu’à des vieillards mourants, d’autres prennent un malin plaisir à tuer (Michael Stuhlbarg et David Gordon Green font d’ailleurs une apparition succincte mais relativement marquante en cannibales à tendance sociopathique). Une manière de considérablement augmenter les enjeux moraux de nos personnages, qui n’ont pas d’autres choix que de céder à leurs pulsions, les réprimer en s’enfermant ou bien se suicider.
La tendresse qui prend aux tripes
Nous ne sommes donc pas loin du film de freaks donc, où Bones and All parvient à opérer un exercice d’équilibriste hautement tenu, entre violence extrêmement graphique (oui le film est violent et gore sans être complaisant) et douceur absolue. Guadagnino montre encore son habileté à filmer le contact humain, le spleen ou encore la tendresse d’un amour naissant entre deux personnages. Que ce soit un premier baiser maladroit, des étreintes à la golden hour, une baignade dans un lac du Kentucky ou le défilement des paysages ruraux d’un Americana cinégénique, Guadagnino apporte le bon regard via un sens de l’émerveillement.
Ainsi, malgré des accès de violence ou de désespoir (le point culminant viendra sans doute d’une séquence sans une seule goutte de sang avec une Chloë Sevigny transfigurée), Bones and All conserve un aspect planent et aérien constant, cohabitant avec ses saillies plus crues. Outre une photographie chaude, c’est bien grâce à la formidable composition de Trent Reznor & Atticus Ross (The Social Network, Gone Girl, Soul, Watchmen). Le duo nous gratifie d’une magnifique musique mixant sonorités au synthétiseur et cordes du plus bel effet, pas si éloignée du style de Gustavo Santaolalla (The Last of Us).
Si l’émotion est bien présente, on regrettera peut-être que l’articulation narrative n’amène pas ses personnages sur un sentier plus déchirant et bouleversant (la pureté finale de Call Me By Your Name n’est pas réitérée). Cependant, Bones and All impressionne et surprend à plus d’un titre via les axes choisis par son réalisateur pour nous conter ce voyage intime. Et bien sûr, son formidable casting est partie intégrante de la grande réussite du film !
Bones and All ou la romance entre acteurs qui bouffent l’écran
On ne présente plus Timothée Chalamet, qui depuis son précédent film avec Guadagnino conquiert les diverses strates hollywoodiennes (Dune, The French Dispatch, Le Roi). Ici, il trouve un de ses meilleurs rôles en nomade cherchant à exister et de nouer un lien affectif. Cependant, la révélation de Bones and All est bien Taylor Russell. Si l’actrice avait déjà fait forte impression dans le très réussi Waves, ici elle inonde chaque scène d’une délicatesse aussi prononcée que la réalisation de Guadagnino. Autant personnage principal qu’avatar du spectateur, Maren amène une candeur, une vulnérabilité et une force de conviction afin de composer une protagoniste attachante malgré son aspect renfermé et isolé. Au niveau du casting secondaire, on notera la présence de Mark Rylance (Le Pont des Espions, Ready Player One) dans un rôle totalement à contre-emploi, qui laisse une forte impression à chaque apparition.
In fine, Bones and All amène son melting-pot d’influences de manière totalement organique, tout en épousant totalement le regard délicat de son metteur en scène. Porté par un superbe casting, une musique envoûtante, des paysages sublimés par une photographie soignée et un aspect graphique aussi surprenant que son aspect poétique, on tient là l’un des plus beaux de l’année tout simplement ! Une réflexion sur l’addiction, la quête identitaire, la différence ou bien les fantômes familiaux dont on se délecte de chaque seconde.
Bones and All sortira au cinéma le 23 novembre 2022
avis
Bones and All impose un peu plus Luca Guadagnino comme un des cinéastes les plus passionnants actuellement. Si Timothée Chalamet inscrit un nouveau rôle de prestige à son palmarès,c'est bien Taylor Russell qui brille dans ce superbe road-movie à la sensibilité à fleur de peau. Un film de genre graphique autant qu'une romance intimiste, qui s'impose comme un des long-métrages les plus singuliers de l'année !