Belfast est le nouveau film de Kenneth Branagh. S’étant écarté du cinéma classique d’influence shakespearienne pour s’aventurer dans le blockbuster faisandé, ce dernier revient avec un film en noir et blanc se déroulant en 1969 à Belfast. Le projet : une chronique familiale entre réalité et fiction, alors que le pays est déchiré par un conflit socio-religieux !
Kenneth Branagh aura eu un parcours des plus compliqués en tant que réalisateur cette dernière décennie. Comédien de talent à la formation théâtrale, ce dernier aura par ailleurs débuté très tôt derrière la caméra. De Henry V à Beaucoup de bruit pour rien, en passant par Hamlet, Branagh aura su proposer de solides adaptations filmiques en clamant son amour pour Shakespeare. Mais patatra, entre du Jack Ryan mollasson, du Mort sur le Nil en pilotage automatique ou un Artemis Fowl faisant office de catastrophe industrielle, on pensait le bougre perdu dans une auto-suffisance crasse. Et passés un Thor oubliable et un Cendrillon sympathique (mais sans grande singularité), on peut le clamer haut et fort : Belfast est bien le retour aux choses sérieuses de Kenneth Branagh !
Toutes les routes de Belfast mènent à Roma
On sent une grande influence de Roma (Oscar du meilleur film étranger en 2018) dans Belfast ! En effet, tout comme Alfonso Cuarón se remémorait le Mexique d’antan pour conter son histoire, Branagh s’inspire ici de sa propre enfance. Et comme Almodóvar pour Douleur et Gloire, la réalité se mêle à la fiction, pour une sorte de biographie romancée et contée à travers les yeux d’un enfant de 9 ans surnommé Buddy. Entouré de son frère, ses parents « Pa » et « Ma », ainsi que ses grands-parents « Pop » et « Granny », Buddy fait partie d’une famille ouvrière.
Cependant, l’Irlande du Nord connait en 1969 connaît d’importants troubles politiques et civils motivés par un désir d’égalité des droits pour la minorité catholique qui subit encore des discriminations, notamment en termes d’emploi et de logement. En août 1969, la violence s’empare de Belfast, sa capitale. De nombreuses familles de la classe ouvrière quittent, volontairement ou sous la contrainte, leur maison, alors que s’opère la plus brutale division de population depuis la Seconde Guerre mondiale. Le nord de Belfast a été le plus frappé et le plus meurtri du pays, et ce surtout chez les civils. C’est donc dans ce contexte plus que tumultueux que Branagh place son film, afin de conter l’histoire de cette famille protestante qui n’a rien demandé, tiraillée entre ses racines et la nécessité d’un meilleur avenir.
La fiction comme échappatoire
Branagh décrit Belfast comme son film le plus personnel, et d’entrée de jeu ce sentiment transparait pour enrober cette histoire avec chaleur et tendresse. S’ouvrant sur Buddy jouant au chevalier dans son quartier, la séquence d’introduction va prendre une tournure plus musclée alors que de récalcitrants loyalistes s’attaquent aux échoppes et habitations catholiques. Et là sera toute la note d’intention du métrage, où nous suivons un Buddy partagé entre son béguin pour une camarade de classe, ses virées en famille au cinéma ou bien la volonté d’échapper à une situation obligeant ses parents à prendre parti dans un conflit désuet.
On regrettera cependant un côté édulcoré et plutôt timide concernant la peinture de ce climat d’insécurité (amené parfois de manière un brin caricaturale, en particulier via un personnage de simili gangster). Une légèreté en adéquation avec le regard de Buddy, mais qui donne assez peu de gravitas à l’ensemble (en particulier les dites-émeutes prenant place dans une ou 2 rues), là où justement les yeux d’un enfant devraient en exacerber l’uppercut émotionnel. Un constat qui empêche le métrage de s’élever bien plus haut, mais rattrapé par l’aspect « chronique fantasmée » de Belfast.
Irlandais de Belfast
La grande force de Belfast néanmoins réside en effet dans le côté charmant, humoristique et surtout authentique avec lequel Branagh filme et écrit la dynamique intra-familiale. On se plait à découvrir chaque séquence où les grand-parents (Ciarán Hinds et Judi Dench y sont très bons) se chamaillent, plaisantent ou prennent la vie avec un sourire masquant la dure réalité. Jamie Dornan (Cinquante Nuances) incarne toute l’image du pater familias, en y amenant une certaine fragilité (l’image parfaite du héros à travers les yeux de Buddy), tandis que Caitríona Balfe (Outlander) impressionne de par la détermination et l’émotion avec lesquelles elle campe cette mère de famille attachée à sa maison.
Un casting d’irlandais donc (et l’accent qui va avec) couronné de la révélation qu’est le jeune Jude Hill. L’acteur inconnu au bataillon aura même coiffé au poteau plus de 300 prétendants. Instantanément sympathique, Buddy est donc l’avatar du spectateur. Un spectateur qui contemple sa famille comme la chose la plus précieuse, son premier béguin avec toute la candeur qu’elle implique… et enfin la fascination envers la fiction ! Kenneth Branagh nous livre les balbutiements de sa passion pour le théâtre et le cinéma, alors que ces représentations costumées ou encore une séquence chantée de Chitty Chitty Bang Bang y sont représentées en couleur. Un hyperréalisme en adéquation avec la puissance d’évocation du 7e Art comme moyen d’expression et d’évasion (un pouvoir qui a le même effet sur toute la famille) !
Belle ouvrage
Au final, Belfast se veut une chronique familiale touchante. Passée un contexte légèrement survolé (mais qui anime chacune des décisions des personnages adultes, tiraillés entre la nécessité d’expatriation et l’attache culturelle), le film convainc par l’authenticité, la candeur et l’humour avec lesquels il nous conte cette histoire. Kenneth Branagh y accouche d’un métrage personnel et de bonne tenue (nous avons droit à quelques plans en noir et blanc inspirés, à l’instar de l’image finale). Un sentiment nostalgique et plein de douceur domine une déclaration d’amour pour la fiction, tandis que le rappel des personnes laissées derrière y amène une dichotomie pleine d’amertume. En résumé, un bien bon film de Kenneth Branagh (et on espérait de nouveau dire ça depuis un long moment) !
Belfast sortira en salle le 2 mars 2022
avis
Jouissant d'un solide casting, d'un noir et blanc utilisé intelligemment, d'une mise en scène carrée et d'un charme indéniable, Belfast est le retour de Kenneth Branagh en bonne forme. Avec son film le plus personnel à ce jour, il accouche d'une chronique familiale pleine de tendresse, à laquelle on pardonne la peinture d'un conflit socio-culturel survolé.
Un commentaire
J’ai bien envi de voir le film !