Le Sheridan-verse, ou plutôt le Yellowstone-verse, continue de s’étendre avec 1923, nouveau préquel de la série avec Kevin Costner, pertinent comme à chaque fois, même si une certaine mollesse vient déteindre sur l’ensemble.
En 1923, les ancêtres Dutton livrent une lutte désespérée face à la deuxième révolution industrielle annonçant la crise de 29 et l’arrivée agressive d’exploitants miniers. Diffusée exclusivement sur Paramount+, cette deuxième préquelle de Yellowstone, séquelle de 1883, semble promise à de plus amples aventures, une saison 2 étant déjà annoncée, même si le projet semble déjà un peu ramolli.
Taylor Sheridan, la poule aux œufs d’or de Paramount, continue donc d’agrandir son cercle télévisuel en développant le propos écologique et nostalgique inhérent à ses productions. Entre les magnifiques paysages naturels, dénués d’une quelconque trace d’urbanisme, un regard engagé sur le prosélytisme violent imposé aux amérindiens natifs ou la notion d’héritage, c’est une nouvelle fois un florilège des thèmes chers au bonhomme qui nous sont ici servis, même si on sent le bougre s’essouffler un peu par instants.
Chasseur blanc, Coeur noir
Histoire de se renouveler, Sheridan propose avec 1923 deux intrigues parallèles.
On suit d’abord, et bien évidemment, les aventures de Cara et Jacob Dutton, installés dans le ranch qu’habitera bientôt le petit Kevin Costner. Une façon d’introduire le conservatisme aux yeux du grand public, en privilégiant les valeurs traditionnelles d’une Amérique profonde, amoureuse de la nature et arque boutée pour éviter de subir de plein fouet le changement industriel qui s’annonce.
Pourtant, et assez paradoxalement, les personnages principaux, ici campés respectivement par l’incroyable Helen Mirren et le non-moins célèbre Harrison Ford, en sont à la fois les parfaits représentants tout en faisant preuve d’un progressisme social intéressant et radicalement opposé aux valeurs de ces temps révolus. Elle, représente la force du couple, l’émancipation de la femme tandis que lui, incarne une Amérique sur le déclin. Une belle dichotomie, parfaitement rendue par l’alchimie des deux acteurs, magistraux malgré leur bel âge et cheveux blancs, ce qui amène de sympathiques parallèles avec la transformation des USA.
D’un autre côté, on découvre le reste du monde via le neveu des Dutton, Spencer (Brandon Sklenar), ancien soldat de la Grande Guerre, traumatisé, qui retrouvera un semblant d’humanité et une raison d’être lors de sa rencontre avec une aristocrate britannique. L’occasion de se plonger dans un safari d’émotions un peu dégoulinantes et parfois clichées, lesquelles reflètent ainsi la zone d’inconfort de Sheridan, visiblement privé de sa créativité et forcé d’introduire une romance aventureuse étirée jusqu’à plus soif. C’est mignon mais ça sent la superficialité ou la facilité narrative pour repousser la résolution de l’intrigue principale, sur le sol américain. On est sévères mais les personnages sont pourtant traités avec intelligence et perspicacité, même si les rebondissements ne cessent de devenir de plus en plus « too much ». Mais c’est cute. Mais c’est long.
Hell or Wind River
En cela, cette saison de 1923 parait parfois comme une fausse introduction. Sauf pour imager la désuétude du mode de vie colonisateur des cowboys, dont les chevaux sont progressivement remplacés par des voitures, et le passage à une ère industrielle, représentée par l’arthrite de Harrison Ford, le reste résonne comme un palliatif scénaristique un peu gauche.
Cependant, ce qui est ici le plus pertinent, en dehors de nous attacher aux personnages qui ont permis d’établir le nom Yellowstone avec vigueur, à coup de flingues et de pendaisons sauvages, c’est bel et bien le regard sur l’endoctrinement religieux imposé aux amérindiens. Ici Sheridan joue sur son terrain et se permet des directions d’une violence rare. On découvre par le prisme des ancêtres du chef Thomas Rainwater les exactions commises par les prêtres sur les jeunes indiens, torturés et endoctrinés de force. Une vision horrifique et nécessaire qui vient galvaniser le récit de 1923 et apporter la portée engagée qui manquait à ce western sinon pertinent, somme toute classique.
De même, les lois abjectes stigmatisant le métissage et les mariages « interraciaux » ajoutent des nuances indispensables à la série qui jouit donc de moments de bravoures inattendus mais qui viennent pourtant électriser l’ensemble du projet. C’est sur la critique des systèmes conservateur et sa visée abolitionniste que le show se découvre comme le plus intéressant et il le fait majestueusement au détour de seconds rôles et de guest-stars incroyables. Entre les apparitions momentanées de Joseph Mawle, Peter Stormare, ou Currie Graham, ce sont évidemment les rôles importants de Robert Patrick, de Jerome Flynn ou de l’iconique Timothy Dalton, rutilant en homme d’affaire dépravé, qui finissent de faire du sheridan-verse the place to be.
Ajoutez à 1923 une mise en scène de la quasi-totalité des épisodes signée par Ben Richardson (le directeur photo de Wind River et réalisateur d’épisodes de Mare of Easttown ou de Mayor of Kingstown) vous obtenez une série très qualitative, qui tend à s’éparpiller par moments, mais qui demeure très pertinente dans son regard sur une Amérique fantasmée, mais pas si innocente qu’elle ne le laisse paraître.
La saison 1 de 1923 est disponible sur Paramount+
Avis
Toujours qualitative, la nouvelle création de Taylor Sheridan brille finalement par ses trames narratives secondaires alors que celles principales finissent par sembler un peu étirées et lancinantes.