Après un superbe démarrage, un accueil critique dithyrambique mais aussi des réponses contrastées parmi les joueurs, il est temps de discuter de la finalité de The Last of Us Part II. Après un premier opus culte, dont les évènements amenaient à un final ambigu lourd de conséquences futures, cette suite était attendue autant que crainte. Inutile de dire que si vous n’avez pas parcouru les 30h de jeu de ce Part II, n’avancez pas plus loin, les spoilers sont de sortie !
Toute grande suite se doit d’être légitime. A savoir ne pas aller dans la redite, explorer de nouveaux éléments et personnages tout en continuant de traiter les thèmes abordés dans le 1er opus. Centré autour de Joel et Ellie, The Last of Us traitait d’amour, mais aussi de deuil, de survie, d’espoir et d’humanité. Par amour justement, Joel empêchait les Lucioles de tuer Ellie pour tenter de créer un vaccin, et ainsi éradiquer la menace du Cordyceps. Par ce qu’on pourrait aussi envisager comme un certain égoïsme (néanmoins justifié par le caractère incertain d’obtenir un vaccin), Joel tuait un nombre conséquent de Lucioles (qu’on pourrait qualifier de personnes cherchant à faire le bien avant tout) en faisant ce qu’il considérait juste (tout comme le joueur, s’étant pris d’affection pour le duo).
Un acte qui trouvera de terribles conséquences dès 2h de jeu dans The Last of Us Part II, où Abigail « Abby » Anderson (la fille du chirurgien des Lucioles, seule personne connue capable d’opérer Ellie et créer un vaccin) tue Joel. Une scène graphique terrible, qui laissera plus d’un joueur dégouté (en témoigne le shitstorm que se prend le scénario du jeu par certains sur le net). Néanmoins cette mort symbolique est cohérente et attendue, que ce soit thématiquement ou bien dans la manière de dépeindre un cruel monde post-apocalyptique. Le jeu démarre donc de manière choc, et plutôt simple : se mettre dans les baskets d’Ellie, désormais pleine de rage, afin de venger Joel, et punir les responsables.
Une 1e quinzaine d’heures où Ellie, Dina et Jesse évoluent dans un Seattle lugubre, pris en sandwich dans une guerre futile entre 2 factions. D’un côté les Séraphites (surnommés Scars de par leur rituel tribal de s’infliger des cicatrices autour de la bouche), un ordre religieux sectaire adepte de pendaisons, arcs et autres armes blanches, avec la conviction que l’épidémie est une punition divine pour intimer l’humanité à revenir à une époque moyen-âgeuse. De l’autre le WLF (Western Liberation Front), une organisation armée ayant renversé les forces militaires, auxquelles font partie Abby et ses amis. De ce canevas de base, The Last of Us Part II se révèlera plus ambitieux et profond qu’il en a l’air !
Le cycle de la violence
Après plusieurs heures de jeu à traquer Abby, Ellie sombre peu à peu dans une rage vengeresse qui la détruira peu à peu, ne lui apportant aucune satisfaction. Torturant Nora jusqu’à la mort pour avoir des réponses, tuant Owen et Mel (alors enceinte) de surcroit, Ellie plongera finalement dans l’état même où nous rencontrons Abby au début de l’aventure. Consumées par la rage, le désespoir et le désir de vengeance, Ellie et Abby sont finalement 2 facettes d’une même pièce, et 2 personnages complètement similaires. Que ce soit à travers les flashbacks (Ellie qui découvre le musée, Abby l’aquarium), la mort de leurs figures paternelles, leurs relations amoureuses en conflit avec leur haine intérieure, la peur des hauteurs de Abby face au rêve d’astronaute de Ellie… The Last of Us Part II nous met dans les bottes de Abby ensuite pour tenter de comprendre ce personnage complexe, malgré son côté d’antagoniste initial. Un choix osé, mais diablement intéressant.
À ce titre, les aventures de Abby sont une partie importante et nécessaire pour comprendre la finalité de l’œuvre (et un superbe protagoniste). Il s’agit d’une femme brisée mais noble, s’étant préparée à être le soldat ultime (d’où sa carrure impressionnante) dans le but de faire face aux dangers de ce nouveau monde, mais aussi pour être en mesure de se venger de l’homme qui lui a tout pris. A noter qu’initialement il fut envisagé l’idée de jouer Abby enfant, faisant partie d’un groupe de voyageurs itinérants tués par Joel et Tommy lorsqu’ils étaient des chasseurs sans remords. En un sens, Abby est aussi un reflet féminin de Joel : un lourd passé, mais une envie de faire le bien avant tout. Tous deux ont fait des choses dont ils ne sont pas fiers (on apprend notamment que le meurtre de ce dernier a laissé des traces indélébiles, sans effacer ses cauchemars, sans lui donner de réel but) mais se découvrent une vraie raison de vivre à travers un enfant et une note d’espoir.
En l’occurrence Lily/Lev ici, jeune Séraphite de 13 ans accusé d’apostat par les siens pour avoir rasé son crâne (Lev est en réalité une fille, qui voulait se faire passer pour un garçon afin de combattre en tant que soldat et éviter un mariage avec un patriarche). Très bien interprété par Ian Alexander (The Oa), il s’agit d’une pièce majeure à l’évolution de Abby, pour nous montrer l’humanité chez un personnage présenté initialement comme froide (et ainsi subvertir notre perception). Si le personnage de Yara (la sœur) est également un bon atout à l’intrigue, son destin tragique lors de l’invasion de Haven (la capitale des Séraphites) mettra bien mieux en avant la relation Abby-Lev. Une quête de rédemption qui fleure bon le The Last of Us donc !
Mises en perspective
En mettant en parallèle 2 personnages forts semblables (mais néanmoins opposés l’un à l’autre), The Last of Us Part II aborde avec intelligence le cercle vicieux de la vengeance, de la haine et la violence, dans un monde non-manichéen. En effet, si automatiquement le joueur identifie Ellie comme le bien et Abby (et le WLF) comme le mal, le jeu apporte des nuances de gris. Survive and endure (« la survie à tout prix » en VF), un des crédos du 1er opus qui prend ici tout son sens, à condition de se laisser emporter dans cette histoire jusqu’à la fin. Nous découvrons par ailleurs que le WLF n’est finalement pas si éloigné de la communauté de Jackson, abritant même des familles, malgré les mesures de leur chef Isaac Dixon (superbe caméo de Jeffrey Wright), lassé de cette guerre et désireux de lancer un ultime assaut sur ses ennemis.
Dans une séquence haute en émotion, nous contrôlons Abby, engagée dans un combat musclé contre Ellie après avoir tiré sur Tommy et tué Jesse par réflexe. Pleine de rage (telle Ellie la majeure partie du jeu) après la découverte du meurtre de ses amis (un acte d’autant plus impactant après qu’on avait appris à connaître ces personnages), Abby est prête à sombrer et tuer Ellie et Dina, lorsque Lev appelle à la bonté qui reste en elle. Une scène insoutenable, qui pourrait presque faire figure de fin, où Abby semble rompre le cycle sans fin d’une vendetta vengeresse et ainsi finaliser toute sa rédemption.
Une séquence pleine de charme s’ensuit, plaçant l’intrigue un an plus tard en 2039, alors que Ellie et Dina vivent dans une ferme (le rêve de cette dernière) avec JJ (le bébé qu’elle élève avec Jesse, sans doute pour évoquer son prénom et celui de Joel). Le sombre passé semble derrière Ellie et la fin proche, mais c’est sans compter tout le propos de The Last of Us Part II, à savoir le sentiment de culpabilité et l’impossibilité de pardon qui sous-tend cette quête de mort.
Briser le cycle
Tommy, désormais infirme et séparé de Maria à cause de son désir de vengeance omniprésent, apprend ensuite à Ellie que Abby a été repérée à Santa Barbara. En effet plus tôt dans le jeu on a vent d’une rumeur comme quoi des Lucioles auraient reformé une communauté en Californie. Tommy s’en va, déçu qu’Ellie refuse de continuer, malgré le syndrome post-traumatique toujours présent. Finalement décidée à régler cette histoire une bonne fois pour toute, Ellie part, malgré les supplications de Dina. Un segment final quelques mois plus tard sous la chaleur Californienne s’ensuivra, où on découvre qu’Abby et Lev ont été capturés par les Crotales juste après être entrés en contact avec le QG des Lucioles par radio.
Sans aucun doute les pires individus rencontrés dans l’univers de The Last of Us en terme d’immoralité (malgré les chasseurs ou les cannibales du 1er). Cette milice réduit ses prisonniers à l’état d’esclavage et use d’infectés tels des épouvantails. Elle représente l’ultime menace du jeu, parvenant d’ailleurs à gravement blesser notre chère Ellie.
Après quelques affrontements et la libération des prisonniers, nous assistons à une séquence inoubliable. Arrivée à la plage, Ellie découvre une Abby émaciée et un Lev inconscient, accrochés à des poteaux jusqu’à ce que mort s’ensuive par déshydratation. Un châtiment pour avoir tenté de s’échapper, qui ne stoppera pas Ellie de se venger dans un premier temps, obligeant Abby à se battre sous peine de tuer Lev.
Un combat douloureux, où 2 femmes proches de l’agonie que nous avons appris à connaître, à comprendre et finalement à pardonner, luttent sans fin, se déchirent. À ce moment, le joueur veut seulement que le combat cesse, et que ce cycle futile soit brisé, au même titre que les perosnnages.
Vers une rédemption ?
S’il y a bien quelque chose que The Last of Us Part II réussit, c’est de montrer que la violence amène automatiquement la violence, qu’elle ne résoudra pas l’absence de but ou la guérison de blessures. Après la perte de 2 de ses doigts et prête à noyer Abby, Ellie se remémore sa relation avec Joel (dont la relation Abby-Lev fait aussi écho) et brise le cycle. Les circonstances font que tout ceci n’a plus la même importance. Un geste puissant (il fut envisagé que Abby meure, mais la portée en aurait été altérée), qui prend toute sa mesure dans l’épilogue émotionnel qui suit.
De retour à la ferme lors de l’automne 2039, Ellie découvre la maison désormais déserte. Lors d’une scène pivot du 1er opus, Ellie affirmait à Joel que tous ceux qu’elle avait connu l’avaient abandonné (en l’occurrence ici Dina ou Tommy) ou bien étaient morts. Ce discours prend évidemment sens ici, faisant encore écho avec le sentiment de haine qui brise les relations de nos personnages (Dina-Ellie, Abby-Owen, Tommy-Maria…).
Tentant une dernière fois de jouer avec la guitare de Joel malgré ses doigts perdus, l’ultime flashback du jeu survient, prenant place la veille de la mort de notre texan favori. Une scène poignante, où Ellie affirme qu’elle ne pourra sans doute jamais pardonner à Joel de lui avoir retiré un sens à sa vie, mais qu’elle essayerait quand même (comprenant finalement son acte d’amour).
La quête de vengeance d’Ellie est avant tout un chemin de deuil, brisée à l’idée de ne pas avoir l’occasion de pleinement pardonner Joel. Une fine puissante et riche en émotion, où Ellie laisse définitivement ce passé et le trauma derrière elle, symbolisés par la guitare, ultime lien avec Joel, qu’elle ne peut plus pleinement conserver. Un deuil qui prend fin donc, tel un passage à l’âge adulte (que le papillon de nuit du bras d’Ellie ou gravé sur la guitare peut aussi représenter, à la fois comme symbole d’éclosion ou de lumière toujours présente même dans les ténèbres). En parlant de lumière, The Last of Us Part II de par sa puissante fin, est au même titre que celle du 1er, une conclusion ouverte.
The Last of Us Part III ?
Si Neil Druckmann et Halley Gross (directeur et scénaristes du jeu) n’ont rien prévu pour une suite, ils révèlent néanmoins qu’un 3e opus serait possible, à condition de se poser les mêmes questions que pour les 2 opus. À savoir créer une histoire inédite, s’intégrant parfaitement dans la continuité, tout en explorant les thèmes, l’univers et les personnages de The Last of Us.
En terminant le jeu, nous avons accès à un nouvel écran titre, montrant le bateau emprunté par Abby et Lev arrivés sur les rivages de San Catalina, le QG des Lucioles au large de Los Angeles. Une note d’espoir qui pourrait forcément être un point de départ pour un The Last of Us Part III.
Que deviendront Abby et Lev ? Quel est le but des Lucioles désormais ? Ellie tentera-t-elle de les retrouver finalement ? Son chemin recroisera-t-il celui d’Abby ? Pourrait-on imaginer une coopération entre les 2 personnages ? Une fin à cette apocalypse ? L’exploration d’un Los Angeles à la The Last of Us ? Vous l’avez compris, les possibilités sont multiples, tout comme un bond de quelques années dans le futur semble plausible. Néanmoins il ne faudra sans doute pas espérer une suite de sitôt de la part de Naughty Dog. On pourra toujours attendre sagement l‘adaptation série l’an prochain pour se replonger dans cet univers qui colle à la peau.
En conclusion
The Last of Us Part II est donc une digne suite du 1er, très clivante évidemment de par son jeu de points de vue et de perspectives. De par des choix osés (mais réfléchis et cohérents) il ne plaira pas à tout le monde c’est évident, d’autant qu’il s’agit d’un récit encore plus noir que le précédent. Un véritable roller-coaster d’émotion qui ne peut laisser indemne, ainsi qu’une formidable étude de personnages rongés par la violence, questionnant jusqu’où l’humain peut aller. L’emprunte des jeux marquants, associé à un gameplay et une technique encore plus aboutis. On pourra aussi parler de la musique de Santaolalla-Mac Quayle (plus discrète mais toujours superbe) ou bien l’acting extraordinaire pour un jeu vidéo (Ashley Johnson et Laura Bailey volent la vedette).
The Last of Us Part II se permet par ailleurs un nombre assez conséquent de séquences de tension (le combat contre l’infecté hybride à l’hôpital remporte la palme horrifique), d’émotion (le flashback dans le musée pour l’anniversaire d’Ellie est un des plus beaux moments vidéoludiques récents) ou de violence brute (le jeu n’est définitivement pas pour les âmes sensibles). Une œuvre qui bouscule, surprend, émeut et laisse une empreinte durable longtemps après qu’on le finit, au rythme des cordes de guitare. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas fini de faire parler de lui.
4 commentaires
Je suis le seul à l’avoir fini en 22h ? (difficulté normale)
en rushant c’est sans doute possible oui ^^ Après le jeu peut être rapide en ligne droite, mais dans la découverte et en fouillant absolument partout, difficile de faire moins de 25-30h
Superbe article
Merci 😉