Durant cette 3e édition du Festival du Film de Demain à Vierzon, nous avons croisé Frédéric Tellier, qui a très gentiment répondu à nos questions en attendant son sandwich.
Entre deux projections engagées de films internationaux et au sortir de sa propre masterclass animée par Stéphane Charbit au FFD, le réalisateur de L’Affaire SK1, de Sauver ou Périr, de Goliath et de l’Abbé Pierre (entre autres vu que le bonhomme est très proactif dans le milieu de propositions policières, notamment sérielles), Frédéric Tellier, s’est laissé interroger juste avant de repartir vers la capitale.
ITC – Bonjour cher Frédéric Tellier ! Comment ça va par ce temps pluvieux vierzonnais ? Le festival vous plait jusqu’ici ?
FT – Oui, j’adore ça, aller à la rencontre des gens et parler de cinéma ! Et c’est le temps parfait pour regarder des films nan ?
D’ailleurs j’ai en projet de monter moi aussi un festival. Enfin, disons plutôt que ça risque de se faire, c’est encore embryonnaire. C’est une idée en gestation, qui prend forme. Louis- Julien (Louis-Julien Petit, co-créateur du Festival du Film de Demain de Vierzon ndlr) le sait mieux que moi : ça prend du temps et c’est compliqué. Mais j’aimerais bien développer cette idée, celle justement de continuer quelque chose, d’aller un peu au delà des films, de rassembler des gens autour d’un festival.
Bon, évidemment, je ne ferais pas ça à Bourges (rire) je ne vais pas faire ça à côté de Vierzon. Mais dans une autre région… Reste encore trouver laquelle en a besoin, mais comme souvent on fait ça là où on vit, et que j’habite entre Paris et la Normandie… c’est encore à l’étude quoi.
Histoire de rester dans un environnement pluvieux en somme ! Alors finalement, entre les clips, les séries télé, ou les films, policiers notamment, votre parcours (si vous pouviez cher Frédéric Tellier le raconter pour ceux qui ne savent pas bien vous situer) est-ce que c’est pas un peu celui du David Fincher français ?
Evidemment (rire), je pense que là t’es dans le vrai en disant ça !
Nan mais plus sérieusement, comme on a bossé tous les deux bossé dans la pub, je comprends le rapprochement haha. Alejandro Iñárritu aussi d’ailleurs et je me sens presque un peu plus proche de lui parce qu’on a un truc en commun : c’est qu’il a fait de la pub mais il a été DJ assez longtemps, ce qui a été mon cas aussi.
En fait, c’est un parcours qui est finalement, pas forcément banal mais assez classique du moins, de passer par des arts un peu périphériques comme ça, des applications artistiques pour en arriver là.
Je pense que quand t’as pas fait des écoles d’art, moi ça n’a pas été mon cas, enfin, j’avais fait une école de pub, mais la formation a commencé là : de clipper, de tourner des spots, des petits films et c’est très formateur en fait.
C’était vraiment comme un petit labo d’expérimentation, mais des expérimentations à responsabilité.
Après oui la comparaison avec Fincher est un honneur mais quand j’ai commencé, lui c’était déjà un génie, une star mondiale, comme les américains savent si bien le montrer avec leur machinerie et leur industrie.
D’ailleurs c’est Claude Lelouch qui disait hier pendant sa masterclass que la différence entre le cinéma américain et le cinéma français c’est que les premiers ont des histoires simples et de gros budgets quand nous on développe des histoires compliquées avec des petits budgets. Tu en penses quoi ?
Bah tu vois, c’est intéressant parce que par exemple, la génération de Lelouch eux ils se sont pas formés. C’était juste après Nouvelle Vague et ils ont tout de suite tourné des films. Ils ont acheté une caméra et ils se sont formés eux mêmes en tournant directement des longs-métrages dans la rue, au contact des gens qui n’étaient pas forcément acteurs, pour filmer le réel.
Alors que moi, ma génération, qui était la génération des boomer : la pub était vraiment à son apogée. On a tourné très tôt beaucoup de pubs, de clips avant d’arriver enfin aux longs-métrages.
Du coup le fait de passer à la fiction tu l’expliques par l’envie de revenir au réel ?
Non mais moi j’avais toujours envie de faire de la fiction mais j’étais assez modeste en me disant que ça ne marcherait jamais. Il n’y a pas de raison que ça marche parce que je ne viens pas de ce milieu là. J’étais déjà content de filmer. Une bouteille d’eau à bulles, des chaises… Je tournais pas mal de trucs pour les voitures aussi… mais bref je filmais quoi ! Une caméra, des acteurs, des mannequins, des bagnoles, des belles lumières, des levers de soleil, des couchers de soleil etc
Après, quand je suis passé à la télé, par le chemin que j’expliquais un peu tout à l’heure, c’est pareil. J’avais toujours envie de faire des films pour le cinéma, mais déjà j’étais content : je faisais des petits films.
Alors bien sûr, quand devant ma porte arrive le cinéma et qu’on me demande ce que j’ai envie de faire, ce qui n’était jamais arrivé avant dans ma vie, bah tu te sens un peu en pleine puissance : j’ai envie de raconter ça et on te dit « ok, vas-y !« . C’est fou !
Bon c’est pas un chemin tranquille non plus, mais c’est plutôt là où je me dis véritablement tiens, qu’est ce que j’ai envie de raconter ? Et c’est vraiment là que je reviens au réel, quelque chose qui me plait profondément.
Et du coup, le thème de l’engagement, que ce soit pour des associations ou des idéaux comme quand tu milites contre les injustices sociales ou pour l’écologie ou la reconnaissance des corps de métier du cinéma, ça te vient d’où ?
Ben, je dirais de facto. Quand je fais un film sur la traque de Guy Georges et le massacre de ces gamines, je passe des années avec les familles de victimes, je suis obligé de raconter ça à fond. Je peux pas juste faire un film et dire « bon ben salut, je pars en vacances aux Antilles« .
Donc ça me traverse, je m’engage avec elles quand on sort SK1 je m’engage pour la lutte contre les violences faites aux femmes. J’étais déjà engagé là dedans mais j’insiste pour que dans les ventes de DVD ou joints aux places au ciné, il y ait un flyer pour des associations.
Je fais pareil sur Goliath parce que je travaille avec des victimes que je fréquente. Je ne fais pas ce film par hasard. Donc évidemment, quand le film sort, je suis engagé auprès des mouvements écolos, je favorise telle ou telle association, évidemment.
Est-ce que c’est toi un peu finalement le David, de tous ces combats contre des géants.
(Rire) Ben c’est ça un peu. En tous les cas dans le making off dont parlait Stéphane (Charbit ndlr) qui est sur le DVD de Goliath, et qui a été fait par ma femme d’ailleurs, oui, c’est un peu ce qu’elle raconte.
Bon après c’est pas la dimension dans laquelle je me vois, mais je vois le cinéma dans cette dimension là oui. Je ne sais pas pour autant si on peut gagner la partie. David, il la gagne la partie. Il l’éclate le cyclope. Alors je ne sais pas si nous on les éclate tant que ça mais bon… C’est un travail de longue haleine.
Donc je suppose que c’est via cet engagement que tu es venu sur le Festival du Film de Demain à Vierzon ?
Ben oui, c’est ça. C’est surtout comme ça qu’on s’est reconnus avec Louis-Julien puisqu’il fait un peu le même cinéma que moi, le même type de film. Lui, sa nature l’oriente plutôt vers la comédie et moi vers le drame, mais c’est les mêmes choses. On a les mêmes engagements et la même conscience du monde, des valeurs en commun. Donc on est devenus copains comme ça. Il m’a beaucoup parlé de son festival à plusieurs reprises et moi j’avais souvent pas le temps parce que j’enchainais les tournages et puis j’ai de jeunes enfants, mais là, on s’y était engagé. Et donc me voilà !
Quel honneur ! D’ailleurs, pour le fan boy que je suis, notamment de 36 Quai des Orfèvres, dont je crois que tu as été réalisateur de la deuxième équipe, tu peux nous raconter un peu les influences et ton rôle sur le plateau ?
Ouais, j’avais fait la direction artistique dessus, parce que j’avais tourné un film, mon premier film pour la télé, avec Olivier Marchal comme acteur (Paul Sauvage, 2004).
Or Olivier il préparait 36, qu’il devait tourner après le film qu’il faisait avec moi et puis moi ça faisait huit/dix ans que j’étais dans la pub, donc je maîtrisais bien l’outil technique en fait. Alors il m’a demandé de venir lui donner un petit coup de main parce que c’était un très très très gros projet qu’il avait sur les épaules.
Donc je suis allé l’aider à construire un peu sa direction artistique et puis après l’aider sur le tournage en dirigeant la deuxième équipe.
Il y avait beaucoup de cascades, de trucs comme ça, on tournait toujours à une, deux, trois, quatre caméras et il avait des grosses stars dont il fallait s’occuper, donc je le soulageais du mieux possible sur la partie technique, en essayant de construire une exigence plus artistique pour donner un résultat assez inédit à l’époque et qui faisait un peu moderne sur l’imagerie, ses axes de caméra etc. Donc c’était super et j’en garde un très bon souvenir.
Avec évidemment un style à la Michael Mann ?
Oui, c’était une de nos références évidemment et Olivier est très cinéphile sur ce type de cinéma donc forcément oui Heat ou French Connection d’ailleurs. Je me souviens par contre qu’on parlait pas mal de Seven. Parce que j’avais essayé de donner une direction artistique un petit peu de ce type dans les marrons, les blancs tout ça.
Pourtant le film ressort plutôt bleu, à contrario de l’image jaune de Khondji non ?
Alors ça dépend parce que les extérieurs étaient bleus oui, mais les intérieurs étaient dans des teintes plus chaudes.
Peut-être que ton souvenir est troublé parce que bizarrement je crois que l’affiche est bleue, ils avaient tenté de faire un truc à la Heat donc tout s’explique finalement (rire).
En tout cas je me rappelle qu’on parlait beaucoup d’un procédé spécial sur pellicule qu’ils avaient utilisés sur Seven. Mais nous on n’avait pas les moyens de bidouiller cette pellicule, donc c’est quelque chose que j’ai essayé de retranscrire via la direction artistique en proposant des couleurs de décors, de fringues etc.
Pour moi c’était un grand privilège de faire ça, d’être metteur en scène pour aider un autre metteur en scène, de pas avoir de pression… Moi j’étais le petit punk de service, c’était super agréable.
Et du coup quels projets arrivent prochainement pour le petit punk du cinéma français ?
Bah, comme je le disais tout à l’heure, j’accompagne encore un peu l’Abbé Pierre qui sort en VOD, un peu partout. J’écris des choses, je vais voir, je vais me décider.
Peut-être le théâtre ouais, ça me dirait bien vu que j’aime bien les acteurs et le réel (rire) ! Non mais c’est vrai que quand j’y réfléchis, à la substance de base, ça correspond bien à mes idées et ce qui me motive. C’est génial le spectacle vivant, la scène, c’est magnifique tout cet univers.
Non mais plus sérieusement, les idées s’agencent doucement mais surement, alors on verra bien !
Propos recueillis au cours d’un entretien sauvage par Axel PC pour L’Info Tout Court en juin 2024 au Festival du Film de Demain de Vierzon.