Doctor Strange in the Multiverse of Madness ensorcelle actuellement le box-office mondial. Le nouveau projet de l’écurie Marvel est cependant un étrange morceau, et on revient ici sur ses qualités, comme ses défauts.
Doctor Strange in the Multiverse of Madness est (déjà) un immense succès. Si n’importe quel pronostiqueur aurait pu s’y attendre, le film de Sam Raimi, perpétuant le juteux multivers abordé dans l’autre immense amas de billets verts qu’était Spider-Man : No Way Home, est aussi un drôle de projet, quasiment schizophrène, perdu entre un scénario gonflé et les ambitions horrifiques de son brillant metteur en scène. L’occasion donc, de revenir sur les qualités et les défauts de ce qui constitue déjà le meilleur opus de l’écurie super-héroïque depuis un sacré bout de temps.
Boursouflé de magie
Doctor Strange in the Multiverse of Madness a du pain sur la planche. Cette mission énorme, on la ressent dès l’introduction, inarrêtable et épuisante, noyée sous les explications, les situations, décors et dialogues qui s’enchaînent à une cadence infernale. Parce que Doctor Strange n’est presque plus le héros de sa propre histoire : après s’être fait vampirisé par une jeune araignée, le voilà écrasé sous le poids de Wanda, ici muée en une diabolique sorcière rouge après la superbe WandaVision, prête à tous les sacrifices sanglants pour retrouver sa vie de mère de famille. Elle (on y reviendra) incarne la véritable figure horrifique endeuillée à laquelle Sam Raimi s’accroche, et qui offrira au film ses plus belles scènes.
Là où les derniers opus du MCU attestaient de leur vide total ou à la limite de l’ennui, (Black Widow, Les Éternels), Doctor Strange in the Multiverse of Madness, en plus de sa complexe mission dans le multivers, aura à introduire nombre de personnages essentiels dans le futur de l’écurie. America Chavez, alias Miss America tout d’abord, fil rouge de l’intrigue, laisse rapidement place à nombre de personnages secondaires. L’on apercevra notamment pêle-mêle les Illuminati, dont le Reed Richard campé par John Krasinski, Captain Carter, aperçue dans What If, Flèche Noire, une Captain Marvel campée par Lyshana Lynch et le Charles Xavier de Patrick Stewart.
On passe volontiers sur la pauvre Christine Palmer, campée par la sublime Rachel McAdams (trop rare ces derniers temps au cinéma et également dans le film) et sur une scène post-générique de Charlize Theron campant ici Cléa, sorcière venue demander de l’aide à notre cher Docteur. Un nombre ahurissant de surprises et de personnages présentés à la va-vite dans un métrage dont le rythme donnerait presque le tournis. On sacrifiera ainsi les plus beaux visuels du métrage, dont la patte de Sam Raimi se fait alors ressentir le temps de quelques superbes instants, avant un final à la hauteur, où le metteur en scène peut enfin (un peu) revenir sur ses obsessions dans cette inarrêtable machine de guerre.
Sam Raimi’s back ?
La production de Doctor Strange in the Multiverse of Madness n’a pas été de tout repos. Scott Derrickson, auteur horrifique de l’excellent Sinister et du premier Doctor Strange s’en va, Sam Raimi est alors à la barre, et malgré le grand retour au genre super-héroïque du metteur en scène de la trilogie Spider-Man, la crainte est de mise de voir l’auteur dévoré par le mastodonte Marvel après l’annonce de nombre de reshoots. Pourtant, si l’on a d’abord du mal a discerner le talent du bonhomme dans les premiers instants du métrage (malgré une apparition de son acteur fétiche Bruce Campbell, revenant dans une inutile mais amusante seconde scène post-générique), la figure possédée de Wanda lui inspirera les réels point forts de Doctor Strange in the Multiverse of Madness.
Parce que ce qui faisait le point fort de sa mise en scène dans la trilogie Spider-Man et au sein de toute sa formidable carrière, c’était le don du metteur en scène pour, au-delà de l’horreur, réussir à croquer des monstres bouleversants car détruits par une fêlure intime. Ce fut le cas de Darkman, de l’Homme de Sable, et également du Bouffon Vert, mis en scène dans une horreur graphique attestant de l’amour débordant de l’homme pour les comics. Et c’est chose faite avec Wanda, via d’expéditives et inventives mises à mort, à l’instar d’un dernier tiers où Doctor Strange sera mué en sympathique zombie entouré d’âmes damnées.
Le scénario boursoufflé, le cahier des charges surchargé, les hordes de personnages secondaires et les compositions en pilote automatique de Danny Elfman (à des années lumières d’un Michael Giacchino) n’y changent (presque rien). Sam Raimi déploie, derrière ce produit fouillis et assourdissant, quelques bribes de son formidable cinéma, et apporte ce que peu de metteurs en scène sont parvenus à réussir au sein du très balisé MCU : un peu de souffle, et surtout de la personnalité. Si Doctor Strange in the Multiverse of Madness est ainsi le meilleur opus du MCU depuis bien trop longtemps, c’est grâce, et uniquement, à son metteur en scène.
Les raisons sont simples : parce que l’on imagine volontiers des exécutants comme les Frères Russo ou Jon Watts passer à côté de la puissance horrifique de Wanda, et saisir toute sa tragédie dans une horreur lisse, opportuniste et de bas-étage, comparable à celle observée dans les deux Venom. Parce que Doctor Strange in the Multiverse of Madness doit essentiellement de son unique profondeur à l’intérêt porté au personnage, ainsi qu’à ses visuels horrifiques réussis pour exister derrière un énième épisode de série surgonflé, au scénario toujours aussi creux. Le tout pour exciter et exister un peu, et ce, dans n’importe quel univers.