Tirailleurs fut présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Porté par Omar Sy renouant avec sa langue maternelle, le film de Mathieu Vadepied nous invite dans la France de 1917 auprès d’un régiment de tirailleurs sénégalais. Un film pertinent et parfois même émouvant, bien qu’imparfait.
La guerre a toujours été un sujet cinématographique de prédilection, tandis que divers cinéastes revisitent les grandes pages de l’Histoire à des fins de catharsis. Si la WWII (Il faut sauver le Soldat Ryan, Tu ne tueras point, Dunkerque) ou encore la Guerre du Vietnam (Platoon, Apocalypse Now, Full Metal Jacket). Et alors que la Première Guerre Mondiale a eu droit à son lot de métrages d’exception (Les Sentiers de la Gloire, 1917), la France reste encore peu encline à se pencher pleinement sur son passé.
En 2006-2007, Indigènes de Rachid Bouchareb et L’Ennemi Intime de Florent Emilio Siri abordaient la Guerre d’Algérie (chacun d’un côté de la barrière) , sans pour autant faire d’émules. Tirailleurs arrive cette fois pour de nouveau aborder un pan du passif colonial français, en contant l’histoire d’un père sénégalais et son fils enrôlés de force à Verdun. C’est donc Mathieu Vadepied (initialement chef opérateur d’Intouchables puis réalisateur pour En Thérapie) et son scénariste Olivier Demangel (Atlantique, Novembre, Baron Noir) qui se lancent dans ce défi, en projet depuis une dizaine d’années.
Tirailleurs débute dans un petit village du Sénégal, et nous présente Bakary Diallo (Omar Sy). Figure de proue de sa communauté et patriarche protecteur, son quotidien va être bouleversé alors que l’armée française réquisitionne de force les hommes disposés à combattre sur le front européen. Tandis que son fils de 17 ans, Thierno (Alassane Diong), est capturé, Bakary se joint à lui afin d’affronter la guerre à ses côtés.
Ainsi, tout le restant du métrage consistera à suivre ce duo posté à Verdun, tandis que leurs points de vue et objectifs vont peu à peu diverger. Galvanisé par son officier supérieur, le lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet), Thierno prendra un entrain surprenant au sein de l’escadron des tirailleurs, tandis que son père tentera tout pour survivre et retourner à la maison.
Ceci n’est pas ma guerre
Tirailleurs est séduisant à plus d’un titre d’entrée de jeu : une proposition française embrassant à la fois l’Histoire et le film de genre, allié à un souci d’authenticité global. Les costumes sont soignés, tout comme les décors, et la bande-originale d’Alexandre Desplat (The Shape of Water, The Grand Budapest Hotel) propose une nappe ambiante et délicate à l’opposé des carcans type musique martiale.
Alors que les protagonistes sont emprisonnés et emmenés vers le no man’s land, Tirailleurs est clairement à son meilleur, en commentant amèrement cette forme de déportation « au nom de la patrie » et en dépit des libertés individuelles. Vadepied et Demangel ont bûché 10 ans pour que le film voie le jour, et cet attrait pour le projet se ressent, alors que la reconstitution et l’emphase vis-à-vis des deux héros-malgré-eux sont mis en avant.
Mais il y a un mais : Tirailleurs parait souvent trop timide (voire même limité) dans la manière de dépeindre l’enfer de la guerre, ou encore la férocité du champ de bataille. Si on commence à comparer avec d’illustres références du genre, le bas blesse : pourtant, le film aborde la barbarie allemande, le vol et autres coups fourrés au sein même de l’escadron des tirailleurs. Le récit semble également délaisser la tension initiale à mi-parcours, préférant énoncer les dilemmes des deux protagonistes (s’éloignant peu à peu) plutôt que de nous les faire ressentir par la simple mise en scène.
Au niveau de la dramaturgie, un gros accent est mis sur la relation entre Chambreau et Thierno. Un rapport de confiance qui se trouvera vicié à mesure que le film avance et que les personnages tentent littéralement de devenir des hommes au péril de leur vie. Malheureusement, non pas que Jonas Bloquet soit un mauvais acteur, son caractère lisse et un peu trop propre sur lui peine à apporter le soupçon de folie et de dangerosité insidieuse requise pour son personnage un tantinet borderline. Pas de quoi complètement l’invalider, vu son importance dans la trame et dans un climax plutôt réussi !
Omar tiraille
Avec Tirailleurs, c’est aussi l’occasion de trouver un Omar Sy complètement impliqué dans son rôle. Sans doute touché par la nature de son personnage, ce dernier l’incarne avec humanité tout en embrassant leurs racines sénégalaises communes : en effet, Sy parle exclusivement peul (dialecte majeur de l’Afrique de l’Ouest), et cette barrière de langue concourt à isoler le protagoniste de toute attache autre que son fils (plus enclin à s’intégrer).
Là encore, le conflit père-fils se veut assez réussi, mais a parfois tendance à écraser son sujet au détriment du contexte historique. Beaucoup trop verbeux et surligné dans sa partie centrale, le film semble dévier de son sujet et de l’horreur humaine qu’il semblait initialement pointer du doigt (là encore pas forcément aidé par une mise en scène fonctionnelle à base de champ contre-champs sans grand tempo).
Heureusement, Tirailleurs réussit bien son segment de conclusion, conjuguant à la fois le caractère intime de son canevas à l’Histoire en citant explicitement le Soldat inconnu. De quoi élargir le propos avec pertinence, de manière un peu démonstrative là encore, mais en laissant cette fois l’instauration de l’émotion alors que le réalisateur laisse parler les images avant tout.
Inconstant mais honnête
Au final, si Tirailleurs se veut un film souvent très (voire trop) sage pour pleinement marquer le spectateur, sa singularité dans le paysage français (et pourquoi pas dans le genre du film de guerre via son abord spécifique historique), la sincérité qui en découle, et l’implication de ses acteurs principaux en font un film relativement estimable et respectable.
Le tout reste quand même emballé avec métier (jolie photographie bleuâtre en adéquation avec les divers uniformes), même si les séquences de bataille peinent à faire dans l’originalité et le brut. On aurait aimé être mieux bousculé et tiraillé (vous l’avez ?), à l’image de cette scène emplie de justesse où nos personnages découvrent un chariot empli de cadavres mutilés de tirailleurs. Quoiqu’il en soit Tirailleurs demeure une honnête proposition relativement bien exécutée, même si un peu trop consensuelle pour pleinement porter son brûlant sujet.
Tirailleurs sortira au cinéma le 4 janvier 2023
avis
Tirailleurs compense son aspect trop sage et timoré par une jolie authenticité et une fabrication qui se donne les moyens malgré un très faible budget (11 millions d'euros seulement). Un certain manque se ressent en terme d'intensité ou de proposition pure de cinéma, mais Vadepied et Demangel ont le mérite de proposer une histoire pertinente, tout en pointant du doigt une page pas si négligeable de notre Histoire. Bancal mais pas dénué d'intérêt !