Produit pour une bouchée de pain, Sing Sing fait pourtant partie de ces grands films, un parfait écrin visuel pour une proposition narrative dramatiquement émotionnelle. Du grand art, tout simplement.
Au sein de la prison de haute sécurité pour détenus violents de Sing Sing, des prisonniers s’essayent au théâtre comme moyen d’être réhabilité via l’art-thérapie. Une histoire vraie, réalisée par Greg Kwedar pour un total de seulement 2 millions de dollars, dont le grain de l’image et la pureté de l’interprétation de son casting font déjà de ce Sing Sing un incontournable de l’année, nécessaire, thérapeutique et magnifique.
Distribué sur le sol américain par le fameux A24 (Metropolitan chez nous), produit par Black Bear Pictures et adapté d’après les véritables parcours des membres du programme Rehabilitation Through the Arts (RTA) initié à la prison de Sing Sing, le film propose ainsi une histoire vraie, incarnée par ses véritables protagonistes, castés en tant qu’eux-mêmes. Une idée et proposition imaginée et mise en scène par Greg Kwedar (l’excellent premier film Transpecos) qui co-écrit et co-produit le projet aux côtés de Clint Bentley, Clarence « Divine Eye » Maclin et John « Divine G » Whitfield. En somme, un développement porté par les premiers intéressés, pour délivrer un long-métrage aussi intime qu’universel.
To be or not to be?
Dans le film, on suit « Divine G », purgeant une peine qui n’en finit pas, toujours prolongée par les administrateurs pénitentiaires. A l’origine du projet de théâtre dans la prison Sing Sing, c’est avec lui qu’on plonge dans l’univers carcéral alors qu’il tente de recruter de nouvelles têtes d’affiche pour la représentation annuelle de la prison. Avec le casting d’un nouveau venu, « Divine Eye », ses espoirs de mettre en scène son nouveau drame s’efface autant que de nouvelles perspectives introspectives s’amorcent.
La force (ou plutôt l’angle intéressant de l’histoire proposée dans le film) réside dans son approche thérapeutique de l’art de la scène pour des gens qui n’ont plus rien et se contentent d’évoluer, de survivre, dans un monde anormal. Mais c’est via une pièce comique, sorte de patchwork de genres et de références diverses et variées, que viendra le salut auxquels ces prisonniers, exclus de la société, trouveront une raison de s’accrocher et de retrouver une sorte de normalité. En plus de servir de métaphore ultra pertinente pour symboliser l’évasion salutaire, cette joyeuse catharsis permet d’appréhender le monde de la prison sous un jour plus intime et consensuel, au plus près de ses personnages.
Sous couvert d’une rédemption rassurante, mettant en avant les bienfaits de l’art-thérapie, et du théâtre, dans un environnement à la brutalité omniprésente, Sing Sing s’émancipe néanmoins des autres films de prison pour proposer sa propre vision d’un espoir palpable. On retrouve évidemment l’iconographie et les plans immuables à ce genre de métrage, des interviews face aux juges des peines comme dans Les Evadés, au monde parallèle à la vie active, créée de toute pièce dans un semblant de société artificielle, prédominée par la violence et les rapports de force. Le panel de personnages stéréotypés, inhérents à tout groupe social, est également présent puisque du bully au rêveur en passant par le pédagogue, on observe un microcosme autosuffisant dans un milieu pourtant abominable. Cependant, au plus près de ses personnages, le film n’en a que faire et trace sa route, sa propre vocation. Il va plus loin, et ce via un réalisme intradiégétique fascinant.
To die, to sleep… To sleep, perchance to dream!
Pour accompagner ses prisonniers, le long-métrage s’appuie sur la performance hallucinante de Coleman Domingo (Fear of the Walking Dead, Euphoria, Rustin) dont la carrière ne fait que commencer et qui témoigne ici encore de son explosif talent. A ses côtés on trouve aussi Paul Raci (Scrubs, Heroes, Perry Mason, Sound of Metal…) qui joue le prof de théâtre et thérapeutique attitré de la prison, lequel va permettre aux prisonniers renfermés sur eux-mêmes et leur violence, de s’ouvrir les uns aux autres et de s’autoriser à rêver, même le temps d’une réplique.
Enfin, il est obligatoire de nommer ceux qui resteront comme les protagonistes principaux du métrage. Ainsi, 80% des comédiens sont effectivement composés d’anciens détenus ayant eux-mêmes participé au programme RTA au sein de l’établissement correctionnel de Sing Sing, et qui offrent donc des performances d’une sincérité folle, parfaitement sensibles et d’une pureté inégalée. Le principal intéressé étant Clarence « Divine Eye » Maclin, véritable révélation, et qui, avec d’anciens co-détenus, est revenu, le temps du film, redonner vie à ses (leurs) anciens traumas pour les besoins d’une histoire si nécessaire.
D’ailleurs, dans un soucis de réalisme poignant, Greg Kwedar fait appel au directeur photo Pat Scola, déjà à l’heure sur les excellents Pig ou Sans un Bruit : Jour 1, pour filmer au plus près ses acteurs magnifiques. Entièrement tourné en 16mm, dont le format 4:3 et le grain fabuleux permettent de contempler les visages en pleine introspection dans des gros plans vertigineux, le film est également éclairé en lumière naturelle, provenant du chaud soleil de l’Hudson et qui illumine la prison à travers ses vitres qui tissent un lien hypnotique avec le monde extérieur, visible du pénitencier. C’est frontal, sans artifice, et diaboliquement pertinent pour ne perdre aucune miette du combat intérieur auquel se livrent les détenus. Du grand art on vous dit.
Petite pépite indépendante, produite pour seulement 2 millions de dollars et où toute l’équipe a touché le même salaire (des techniciens aux acteurs), Sing Sing est un ovni, une bouffée d’air frais au milieu d’un postulat pourtant oppressant. Une belle et grande réussite, pleine d’espoir.
Sing Sing sort ce 29 janvier.
avis
Bijou cinématographique réalisé par Greg Kwedar, Sing Sing est un film sur l'espoir qui habite les prisonniers via une métaphore libératrice et thérapeutique de grande ampleur et un casting habité. Superbe.