Dernier grosse production de cette fin d’année, Nosferatu revient dans une toute nouvelle version signée Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) au casting de luxe. Une relecture du conte de Dracula extrêmement soignée qui nous emmène dans l’Allemagne gothique du XIXe siècle, mais légèrement handicapée par son manque de singularité !
Nosferatu ! Film majeur du courant expressionniste et du cinéma d’horreur, cette pierre blanche du muet demeure encore aujourd’hui comme un des joyaux de la filmographie de Murnau. Pourtant vieux d’un siècle, le Nosferatu de 1922 est entré dans l’Histoire comme le premier vrai film de vampire, alors que tout ceci partait d’un plagiat cocasse !
En effet, non-content de ne pas détenir les droits du roman Dracula, le producteur/designer/décorateur/costumer Albin Grau ordonna à son scénariste d’en reprendre exactement la même trame, tout en changeant les noms et les lieux ! Un procédé hautement condamnable de nos jours, qui engendra une destruction des copies du métrage avant sa redécouverte et une restauration dans les années 70.
Nosferatu : Dracula déguisé
Car Nosferatu c’est bien l’histoire de Dracula, transposée cette fois-ci en Allemagne dans la ville de Wisborg. Le jeune notaire Thomas Hutter (Nicholas Hoult) est fraîchement marié à sa dulcinée Ellen (Lily-Rose Depp), mais doit se rendre en Transylvanie afin de faire signer un contrat au Comte Orlok (Bill Skarsgård). Cette figure énigmatique souhaite acquérir une demeure, mais fomente en réalité un plan bien sinistre…
Tandis que Thomas découvre qu’il a à faire à une force occulte, s’ensuivra une course contre-la-montre avec à la clé le probable salut de Wisburg, mais également celui d’Ellen, désormais ciblée par un Orlok décidé à en faire son épouse ! Oui, les noms changent, mais nous sommes totalement dans le récit intemporel de Bram Stoker !
Mythe réellement revisité ?
Werner Herzog avait également tenté l’exercice du remake en 1979 (dans une version à la fois décevante dans sa resucée et digne d’intérêt dans ses envolées atmosphériques), mais là où Dracula est peu à peu devenu une figure romantique (cristallisée par le film de Coppola notamment), Nosferatu représente en quelque sorte la quintessence horrifique du conte.
Il paraît donc cohérent que Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse, The Northman), fervent admirateur du cinéma expressionniste, souhaite revenir à la source du mythe pour en livrer une version moderne. Et d’entrée de jeu l’exercice en vaut la chandelle, parvenant à nous immerger dans une ambiance à la fois pittoresque et folklorique.
On le savait déjà, mais Eggers accorde un soin prégnant à retranscrire une réalité historique pour mieux la tordre. L’exemple le plus évident tiendra dans un court intermède où Hutter se retrouve dans les Carpates au sein d’une communauté tzigane, pour mieux représenter l’emprise (et l’aura) régionale du Comte sur le quidam, avant de nous le présenter. Ainsi, ce Nosferatu captive par une fabrication chiadée à tous les niveaux, que ce soit une production design gothique du plus bel effet, ou la superbe lumière froide de Jarin Blaschke renvoyant par instants à Barry Lyndon dans la volonté d’éclairer des intérieurs uniquement à la bougie.
Eggers : esthète toujours inspiré
La fantôme du Murnau plane à intervalles réguliers, notamment lors de quelques utilisations-clés d’ombres murales (ou un plan saisissant de main planant sur la ville). Mais loin de recycler l’esthétisme du film original, c’est bien l’âpreté globale qui domine le Nosferatu d’Eggers, associée à une violence graphique bienvenue.
Pourtant, et ce malgré un soin de chaque instant, difficile de trouver dans cette itération l’étincelle capable de pleinement justifier son existence. Un film devrait être autonome, mais alors que depuis un siècle nous avons été biberonnés à cette même histoire ad nauseam, il paraît de plus en plus difficile de se réapproprier le mythe.
Un mur quasi infranchissable auquel se confronte Eggers, s’affirmant en apôtre d’une religion jamais remise en question, mis à part lors de quelques saillies originales. On compte en effet quelques très bonnes séquences semblant tout droit sorties de l’Exorciste, mettant en exergue la dualité entre raison et occulte, et le talent de son super casting.
On retiendra particulièrement une Lily-Rose Depp oscillant entre fragilité déliquescente et force de conviction pour en faire un personnage plus proactif (jusque dans son climax original), agrémenté de l’implication de chaque instant de son actrice maniant un accent britannique curieux (comme tous les personnages alors qu’on est en Allemagne!).
L’ombre d’Orlok
Tandis que c’est toujours un bonheur de voir Willem Dafoe et son grain de folie pour jouer la figure de Van Helsing, c’est sans nul doute le Comte Orlok qui demeurera l’autre star de Nosferatu. Et à ce titre, Eggers parvient efficacement à renouer avec la caractère sinistre et déviant du personnage vampirique (allure longiligne et blafarde respectée) tout en y intégrant le réalisme folklorique sus-cité.
Accent roumain, moustache et maquillage en prime, ce Comte Orlok efface complètement l’acteur derrière la performance, et en fait une sinistre créature vorace qu’Eggers filme avec amour du genre (les passages du Déméter ou au sein du château semblent presque trop courts alors que ce sont les meilleurs à ce niveau).
Une déclaration d’amour à Nosferatu en un sens, malgré de faibles apports derrière la patine moderne de sa fabrication. Pas de quoi rejeter l’exercice ultra appliqué donc, mais qui de facto en fait un remake curieusement dispensable.
Nosferatu sortira au cinéma le 25 décembre 2024
avis
C'était le grand rêve de cinéphile de Robert Eggers, et nul doute qu'en voyant cette nouvelle version de Nosferatu on se rend compte que la sensibilité du réalisateur esthète sied à merveille les codes du gothique inhérents au récit originel. Pourtant, derrière une fabrication impeccable, un casting inspiré et quelques légères modifications de l'histoire d'Orlok/Dracula, difficile d'y voir autre chose qu'un hommage contemporain plutôt qu'une réappropriation en bonne et due forme. En résulte un visionnage non-dénué d'intérêts (dont une superbe performance de Lili-Rose Depp), mais paradoxalement peu (voire pas) surprenant. Le Murnau reste donc infranchissable !