Alex Garland (Ex Machina, Annihilation) abandonne le genre de la SF avec Men, un récit d’horreur psychologique produit via A24. Un film audacieux et plutôt original présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes.
D’abord romancier puis scénariste (Sunshine, 28 Jours plus tard), Alex Garland ce sera très vite fait une place dans la cour des auteurs remarqués dans le genre SF. Après Ex Machina, Annihilation et sa très bonne mini-série Devs, le voilà néanmoins de retour pour un tout nouveau challenge. Avec Men, le réalisateur s’attaque à l’horreur, tout en poursuivant dans le drame psychologique.
Men débute de manière relativement cryptique, alors qu’une femme de nom de Harper découvre un homme chuter dans le vide, de l’autre côté de son balcon. Un flash-back musical sur « Love Song » de Lesley Duncan nous faisant comprendre instantanément la destruction d’un couple, dont les raisons seront explicitées par la suite. Sujette à un trauma suite à cet incident, Harper décide de se ressourcer lors d’un séjour en pleine campagne anglaise.
Accueillie par le sympathique Geoffrey, Harper va rapidement découvrir qu’un étrange individu semble la suivre dans les bois. Ce sera le début d’un cauchemar pour cette dernière, alors que ses peurs les plus intimes ressurgissent, et que d’autres présences masculines au visage identique vont la tourmenter.
Folk Horror
D’entrée de jeu, Men désarçonne lors qu’on connait le pedigree d’Alex Garland, plus enclin à traiter d’intelligence artificielle, de futur dystopique ou bien de clonage. Et si le bougre avait déjà pu traiter de trauma par le prisme de la SF dans Annihilation, Men semble pourtant affilié à un Ari Aster (Hérédité, Midsommar) ou Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse) en embrassant la folk horror : présence accrue de la nature, l’étrange ou de l’isolement, et abord de thèmes comme la fécondité ou bien la religion.
Ainsi, le métrage captive de manière assez immédiate, par une composante bien énigmatique et plutôt intrigante (plus qu’inquiétante). On se soucie de Harper (son trauma initial est bien vecteur d’empathie, encore plus lorsqu’on en découvre la source), et l’irruption de l’étrange est décuplée par la soin pictural global. Garland s’est en effet entouré de ses collaborateurs attitrés : Rob Hardy (Mission Impossible – Fallout) à la photographie, et le duo Salisbury & Barrow à la BO (pour des sons ambiants bien efficaces comme « Tunnel Escape » ou « Birth« ).
Visuellement chiadé, montage laissant respirer les plans et les comédiens, il faudra par ailleurs saluer Jessie Buckley (I’m Thinking of Ending Things, Fargo) et Rory Kinnear (Penny Dreadful, Skyfall), tous deux absolument excellents. La première confirme encore une fois tout son talent dans plusieurs registres émotionnels, tandis que le second impressionne dans une performance tout simplement admirable, en campant plusieurs personnages variés. Un caractère polymorphe qui est au cœur des thématiques de Men.
Paganisme surligné
La limite du film se concentrera néanmoins lors de sa seconde partie. Alors qu’Harper se confronte à plusieurs personnages masculins (dont un enfant), arborant tous le visage de Kinnear. Le tout se mue tranquillement en home invasion où Garland ne ménage aucun effet, quitte à bourriner ses intentions (la masculinité toxique, ou bien le regard biaisé de la victime en plein stress post-traumatique). Autre constat dommageable : le versant horreur vire un tantinet vers le train fantôme, à base de ralentis et sur-utilisation de la musique, diminuant franchement l’impact immédiat.
Néanmoins, ce caractère légèrement grossier est compensé par une imagerie toujours signifiante, et la volonté de Garland de ne pas plonger dans le sur-explicatif. Pour une plus ample compréhension du lore intégré, il faudra se renseigner sur la figure du Green Man (figure totémique de cycle de la renaissance) ou de la Sheela Na Gig (figure féminine perçue comme tentatrice avec sa vulve béante) pour comprendre les choix stylistiques du réalisateur.
Le mâle qui fait mal
In fine, si Men n’est pas nécessairement le film le plus maîtrisé de son auteur, ni le film d’épouvante le plus efficace, Alex Garland parvient à proposer un drame psychologique recherché et magnifiquement interprété. Jouissant d’une fabrication visuelle très travaillée, et d’une diégèse des rapports conflictuels hommes-femmes (et ce via diverses références comme Adam & Eve, le fruit défendu, Agamemnon…), Men fait office d’objet cinématographique singulier. De la folk horror qui s’expérimente avec plaisir, à défaut de pleinement prendre aux tripes.
Men sortira au cinéma le 8 juin 2022
avis
Men a beau rester dans l'ombre de ses influences (ou concurrents), on tient là un film des plus intrigants. Jesse Buckley confirme son statut de grande actrice, tandis que Rory Kinnear nous surprend encore plus de son talent. S'il n'accouche in fine pas de son meilleur film, Alex Garland prend des risques dans une exploration des rapports homme-femme et du trauma toxique par le prisme de la folk horror. C'est du bon !