Après les réussites que sont The Outsider, I Know This Much is True et Perry Mason, HBO lance sa grosse série de 2020 : Lovecraft Country ! Créée par Misha Green (Underground), produite par J.J. Abrams (Lost) et Jordan Peele (Get Out), cette adaptation de roman démarre avec un un épisode pilote d’excellente qualité !
Avec un duo de producteurs dont les œuvres passées versaient dans le fantastique, la SF, le pulp, l’horreur ou la satire sociale, on sait d’emblée dans quoi on s’embarque dans Lovecraft Country. Et pourtant on sera régulièrement surpris et en terrain inédit pour ce 1er épisode, et ce dès son impressionnante séquence d’intro. Nous découvrons donc Atticus Freeman, jeune vétéran afro-américain de la Guerre de Corée, dans une violente bataille. Et pas n’importe laquelle puisqu’elle implique des vaisseaux spatiaux et d’autres monstres ailés inter-galactiques.
L’occasion de voir des références visuelles à La Guerre des Mondes, La Princesse de Mars ou encore Les Montagnes Hallucinées avec l’apparition d’un ersatz de Cthulhu. Quelques secondes plus tard, le Grand Ancien tout droit hérité de l’imaginaire d‘H.P. Lovecraft se fera trucider par Jackie Robinson, icône afro-américaine et joueur de baseball ayant marqué l’avancée des droits civiques, arborant son numéro « 42 ». Le monstre se régénère, attaque…et Atticus se réveille au fond d’un bus, avec les aventures de John Carter sur les genoux, à la place des « personnes de couleur ». Une formidable séquence qui résume l’entreprise de la série.
D’abord un roman de Matt Ruff, Lovecraft Country est un cocktail de genre détonnant, entre du Twilight Zone et du Stephen King en terme de ton. Atticus revient donc à Chicago pour voir son oncle George (super Courtney B. Vance), afin de retrouver son père disparu 2 semaines plus tôt. Montrose, de son nom (Michael K. Williams) a en effet laissé une obscure lettre à son fils, indiquant un manoir se situant dans le Comté de Devon…le fameux Lovecraft Country.
Dans cette quête prenant la forme d’un road trip au sein de l’Amérique ségrégationniste des lois Jim Crow, le tout prendra une tournure d’autant plus horrifique quand les personnages se rendront compte que les créatures cauchemardesques des lectures d’Atticus sont bien réelles. Aidés par une amie d’enfance du nom de Letitia, l’aventure des Freeman débutera réellement lorsque ce périple se transformera en une véritable lutte pour leur survie, où l’épouvante et la peur de « l’autre » se traduit autant par le fantasque que par la triste réalité des 50’s.
It’s a Mad Mad World
D’une durée d’1h05, « Sundown » coche admirablement toutes les cases de ce que doit être un super épisode introductif, en nous donnant absolument envie de découvrir la suite. Réalisé par le frenchie Yann Demange (cocorico), ce pilote bénéficie d’une mise en scène extrêmement soignée. Que ce soient pour filmer la reconstitution d’époque, les scènes intimistes, de poursuite ou d’épouvante pure, le bonhomme assure comme un chef. On retiendra particulièrement une échappée d’un diner riche en tension, ou bien les 20 dernières minutes, complètement percutantes !
En traversant le Midwest via une variante du Green Book (livre indiquant les lieux safe pour les afro-américains), nos héros auront en effet affaire au climat de racisme ambiant. Mais loin d’être utilisé de manière gratuite, Lovecraft Country immerge réellement le spectateur auprès des protagonistes, semblant évoluer dans un far west dystopique à l’ambiance lourde, mais néanmoins réaliste. Les attaques meurtrières de rednecks et les lynchages par les policiers sont déjà intenses et déjà pourvoyeurs d’effroi, que le fantastique vient court-circuiter le réel pour appuyer la métaphore.
L’occasion d’une séquence haletante et gore, où les Shoggoths (esclaves des Anciens dans la mythologie Lovecraftienne) démembrent et bouffent goulument toute âme qui vive. Que ce soient les effets visuels, le setting, le montage ou les mouvements de caméra, on tient là un gros morceau à l’efficacité immédiate. La photographie chaude et la musique de Laura Karpman-Raphael Saadiq terminent de saupoudrer une fabrication exemplaire.
Autre point positif, mais néanmoins primordial, reste le casting. Jonathan Majors (Da 5 Bloods, The Last Black in San Francisco) poursuit son ascension fulgurante depuis Hostiles, déployant son talent dès les 1es secondes. Nerd au grand cœur, mais aussi ex-soldat valeureux ayant vu les pires horreurs de ce monde, Atticus est d’emblée un héros attachant, désireux de réparer sa relation conflictuelle avec son paternel. Si Courtney B.Vance représente la voix de la sagesse, et que Wunmi Mosaku, Abby Lee et Aunjanue Ellis ont pour le moment de petites apparitions, c’est clairement Jurnee Smollett qui vole la vedette ! Après Birds of Prey, elle tient un autre rôle de femme badass, apportant cette fois un soupçon de charme et d’humour.
Vivement la suite
Misha Green et HBO ont parfaitement réussi à adapter le roman de Ruff, tout en s’affranchissant de bon nombre de ses éléments pour trouver sa voie, ou bien les améliorer. Lovecraft Country réussit admirablement dans ce premier épisode à marier les genres et les influences, pour proposer quelque chose d’unique. Un cast parfait, une direction artistique à se damner, et une vraie singularité de ton plutôt qu’un patchwork impersonnel, on tient sans doute une des grandes séries de l’année !
Reste à savoir ce que nous donneront les 9 autres épisodes, tant en terme de scénario que de mise en scène. En arrivant à subtilement mêler le fond et la forme, en mettant en parallèle l’horreur du réel et l’épouvante fictionnelle, Lovecraft Country est un terreau parfait pour exorciser les démons du passé, et ce de manière universelle. Sorciers, créatures tentaculaires et grosses bestioles inter-dimensionnelles devraient donc faire partie de ce beau voyage en devenir, aux côtés du principal monstre : la haine d’autrui. En tout cas on a très hâte d’être la semaine prochaine.