Avec L’Abbé Pierre – Une vie de combats, Frédéric Tellier réussit l’exploit de rendre à la fois une figure et des sujets actuels aussi poussiéreux que datés.
L’Abbé Pierre – Une vie de combats est le quatrième long-métrage de Frédéric Tellier, cinéaste ayant abordé des sujets importants non sans quelques lourdeurs et maladresses, depuis le très froid L’Affaire SK1 au parfois poussif Sauver ou périr en passant par le surligné Goliath. Il fallait cependant une certaine retenue et un désir de cinéma immense pour s’attaquer à la figure d’Henri Grouès dit L’Abbé Pierre, ayant passé près d’un siècle à se battre pour les plus démunis, enchaînant les horreurs, de la Seconde Guerre Mondiale au fameux hiver 1954, et à qui cet ambitieux long-métrage ne réduit cette vie de combats qu’à des vignettes hagiographiques manquant cruellement de souffle et de cinéma.
Rappelant parfois le tout aussi poussif Simone, le voyage du siècle, L’Abbé Pierre – Une vie de combats se voit heureusement porté par deux interprètes investis, qui malgré leurs solides performances, ne parviennent malheureusement jamais à sauver le film de l’ennui. Où de comment ne résumer une vie qu’en de simples évocations figées dans le temps en versant dans un sentimentalisme appuyé et une sanctification de mauvais goût, pour tenter à tout prix de gagner sa cause, ne se résumant finalement qu’à un long et pénible ratage, trahissant à la fois l’exercice complexe de la biographie au cinéma, et la modestie de sa figure aux combats toujours actuels.
Prêchi-prêcha
Il y a ainsi dans l’adaptation cinématographique opérée par Fréderic Tellier et Pierre Gorce (La Loi du Marché, Omar m’a tuer) des 94 années de vies de l’Abbé Pierre, quelque chose d’instantanément poussiéreux. Pourtant, ce corps fragile mais cette âme vaillante contre vents et marées aurait pu offrir un projet de cinéma ambitieux, passant des stricts monastères aux maquis et aux couloirs de l’Assemblée Nationale pour tenter de percer le mystère de cette figure de jeune bourgeois (qui ne se verra, comme beaucoup de sujets, jamais abordée) ayant donné sa vie en sacrifice aux plus démunis. Passé une introduction et une conclusion de très mauvais goût représentant l’homme en sage marchant au-delà des étoiles et des galaxies, il n’en sera ensuite jamais rien qu’une enfilade de moments décisifs dans la vie de cette homme résumés en des vignettes à la fois poussiéreuses et directement datées.
Pourtant doté d’une excellente facture technique, L’Abbé Pierre – Une vie de combats n’est ainsi jamais tant un projet de cinéma qu’un pompeux hommage étiré sur plus de deux heures, dénué du souffle, de la rage et de la fougue qui aura animé l’homme toute sa vie durant. On ne creuse ainsi jamais les parts d’ombre ni les questionnements et les nombreuses injustices, ornant simplement les images d’années et de lieux censés faire l’essentiel du travail. Parce que Frédéric Tellier se voit totalement dépassé par son ample sujet, il n’est ici plus question de questionner ni d’approfondir, mais de se contenter de résumer, sans aucun désir de cinéma qu’une interminable hagiographie, semblant parfois pensée en docu-fiction à qui il manquerait d’intervenants pour combler les nombreuses zones d’ombres non abordées par le projet.
Généreux en pathos
Les excellents Benjamin Lavernhe, impressionnant de mimétisme, et Emmanuelle Bercot, toujours impeccable, ne pourront rien y faire que de se figer dans le temps d’un film qui passe ainsi plus de temps à l’étirer que de le rendre actuel. Versant grossièrement dans le sentimentalisme facile en évoquant le décès d’un nouveau-né, ou bien en superposant très maladroitement des images de sans-abris dans notre société actuelle, L’Abbé Pierre – Une vie de combats laisse ainsi une sensation désagréable d’une vie traitée pourtant exemplaire en tous points. Parce que Frédéric Tellier et Olivier Gorce, n’ayant jamais su clairement s’emparer de la figure de l’Abbé Pierre, ne peuvent finalement que verser dans un sentimentalisme outrancier pour tenter de l’emporter, d’une manière assez racoleuse et finalement détestable.
Il est ainsi facile de se contenter d’aligner les vignettes telle une ronflante biographie, beaucoup moins de signer un film réussi et surtout à la hauteur de la personnalité et des sujets vastes ici traités. Des combats actuels ici résumés qu’à une interminable sanctification qui semble en contradiction avec celle de l’Abbé Pierre, tout comme l’anachronisme et le sentimentalisme facile, étirés sur près de deux heures, auront ainsi peu à peu raison du mythe, et surtout du cinéma. Parce que si L’Abbé Pierre – Une vie de combats s’avère finalement généreux, il ne l’est finalement qu’en pathos et en durée, conférant ainsi à cet hommage des airs d’interminable supplice que nous serions forcément obligés d’aimer.
L’Abbé Pierre – Une vie de combats est actuellement en salles.
Avis
L'Abbé Pierre - Une vie de combats, Frédéric Tellier réussit l'exploit de rendre détestable un projet autour d'un homme et d'une vie exemplaires. Biographie paresseuse et consensuelle se contentant d'aligner les vignettes plutôt que de les mettre en scène et de les approfondir, L'Abbé Pierre - Une vie de combats se fait également plutôt grossier dans son sentimentalisme facile et appuyé, enterrant peu à peu une figure qui a pourtant tout d'éternelle.