Présenté au Festival de Cannes dans la catégorie Cannes Premiere, La Nuit du 12 est un grand retour en force du réalisateur Dominik Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien). Quelque part entre Memories of Murder et Zodiac, Moll livre un polar réaliste, terriblement prenant et empli d’authenticité.
En 2000, Dominik Moll signait Harry, un ami qui vous veut du bien, un thriller angoissant à la direction d’acteurs des plus solides, le tout dans un environnement français atypique pour ce genre de production. Si la suite de sa carrière n’aura pas eu le même succès, Seules les Bêtes renouait avec ces ingrédients, faisant de la Lauzère un terrain de jeu mental et cinégénique bien stimulant. Le voilà donc de retour avec La Nuit du 12, adaptation au sens large de 18.3 – Une Année à la PJ de Pauline Guéna.
La Nuit du 12 accroche le spectateur dès son introduction via une double-séquence, dévoilant de manière instantanée la note d’intention du métrage. Lors d’un soir dans une petite bourgade proche de Grenoble, le capitaine de police Yohan Vivès (Bastien Bouillon) fait des tours de piste à vélo, tandis que la jeune Clara Royer (Lula Cotton-Frapier) décide de rentrer seule chez elle après un apéro légèrement arrosé. Point d’élément inquiétant dans ce décorum de banlieue aisée éloigné des clichés du genre. Mais après un enchainement de plans faussement rassurants, un individu cagoulé va surgir de la pénombre : connait-il Clara ?
Ce dernier va ensuite asperger sa victime d’essence, afin de l’immoler par le feu. Une décharge de terreur et de violence où le langage du cinéma vient décupler l’effet par un ralenti saccadé, alors que le spectateur sait d’hors et déjà que le crime ne sera pas résolu. C’est donc ainsi que La Nuit du 12 débute, alors que cet évènement tragique et choquant (mais non-dépeint de manière graphique ou gonzo) va catapulter l’envie des personnages (mais aussi la nôtre!) de résoudre cette affaire.
Memories of la Nuit du 12
Avec La Nuit du 12, Dominik Moll signe un film d’enquête dont la finalité de ne sera finalement pas de trouver le coupable, mais d’être aux côtés de policiers progressivement gangrénés par une obsession destructrice. Ainsi, dans ce décorum on ne peut plus commun et réaliste des environnements montagnards de la vallée de la Maurienne, nous suivons un duo de flics dont la complémentarité à tout avoir avec la grammaire du polar. D’un côté, l’excellent Bastien Bouillon qui trouve un rôle de premier plan en ce capitaine taiseux, renfermé, mais également méthodique. Maîtrisant sa gestuelle et sa diction à la perfection, on tient là un protagoniste fascinant autant que désarçonnant au premier abord, dont le cheminement sera mis en parallèle avec le dénouement libérateur du film.
De l’autre, Bouli Lanners, interprétant Marceau, un policier plus bourru et désabusé, qui va insidieusement laissé ses émotions le bouffer de l’intérieur, à mesure qu’ils devront faire face aux victimes collatérales (la famille, les amis et autres connaissances), mais surtout des potentiels suspects. Un grand désespoir à la portée labyrinthique s’installe alors, renvoyant les personnages à leur aspect faillible et éphémère, autant qu’à une bureaucratie classant les affaires non-élucidées de manière habituelle. Secondé par Gilles Marchand (son co-scénariste depuis 20 ans), Moll accouche d’un scénario très bien ficelé, dont les dialogues parfois sur-écrits laissent finalement entrer l’émotion, alors que les âmes cabossées des protagonistes se mettent à nue.
Dès lors, La Nuit du 12 s’enfonce petit à petit dans un désespoir lancinant, tout en captant un quotidien de plus en plus étouffant. On pourra initialement pester contre une facture visuelle faussement télévisuelle initialement, mais Dominik Moll soigne sa mise en scène, le choix des plans et le montage pour garder cet équilibre entre une instantanéité proche d’un Polisse, et une cinégénie renforcée par l’excellente partition d’Olivier Marguerit (Onoda, Diamant Noir). Plus sound design que composition musicale, la bande originale apporte une nappe atmosphérique et rythmique pas si éloignée du travail de Trent Reznor & Atticus Ross (Gone Girl, The Girl with the Dragon Tatoo, The Social Network)
Les hommes qui n’aimaient pas les femmes
Alors que les fausses pistes s’amoncellent, La Nuit du 12 dévoile un peu plus les cartes de son jeu, et se mue en plaidoyer féministe sincère et sans sur-étalage. Si l’entreprise n’a foncièrement rien d’original dans le fond, le propos est traité avec sens et pertinence : le film aborde la place de la femme dans la société, depuis Jeanne d’Arc jusqu’à aujourd’hui, alors que malgré la cruauté du meurtre initial, certains questionneront même les raisons de cet incident. Est-ce parce que Clara avait plusieurs partenaires ? Parce qu’elle s’habillait de manière provocante ? Parce qu’elle l’a cherché en rentrant seule la nuit ? « Vous voulez savoir pourquoi Clara est morte ? J’vais vous le dire, c’est parce que c’était une femme » témoignera sa meilleure amie Nanie (Pauline Serieys pleine de justesse).
L’élucidation d’un féminicide dans un monde d’hommes n’aurait pas eu de sens sans une galerie de persos masculins disparate, et là encore La Nuit du 12 ne déçoit pas en proposant un trombinoscope varié de suspects, allant du SDF douteux à l’ex-compagnon rappeur citant littéralement le meurtre dans ses textes, ou bien un Pierre Lotin (l’ado attardé dans Les Tuche) à contre-emploi total en golgoth rapidement inquiétant. « Tous auraient pu le faire » dira Marceau, et le jeu pour deviner le meurtrier s’avèrera autant ludique que désespérant, dès lors que le film ouvre un peu plus son intrigue à une cruelle réflexion universelle.
Passionnante que cette Nuit du 12
Au final, La Nuit du 12 se révèle être une des plus belles surprises de 2022, autant qu’un petit évènement cannois qui aurait largement mérité sa place en Compétition. Un polar intelligemment écrit et passionnant à suivre à mesure que, comme Yohan, le spectateur s’enferme dans son vélodrome mental et obsessionnel avant la délivrance. Disposant d’un excellent casting de comédiens et d’une mise en scène se révélant plus maîtrisée qu’il n’y parait au premier abord, La Nuit du 12 est tout simplement un très bon film à ne surtout pas manquer !
La Nuit du 12 sortira au cinéma le 13 juillet 2022
avis
Vrai film mélancolique et mental sur l'obsession autant qu'un polar d'enquête brut et très bien écrit, La Nuit du 12 est un beau retour en grâce pour Dominik Moll, autant qu'un des films de l'année. Porté par un superbe duo de comédiens et une distribution de talent, ce cousin francophone à Memories of Murder et Zodiac est une très bonne pioche que nous avions pas vu venir au Festival de Cannes.