Daniel Craig aura été James Bond pendant plus de 14 ans. Avant que ce dernier ne tire sa révérence dans Mourir peut attendre, il est temps de faire le bilan de tous les films de Craig en tant qu’agent 007. Lorsqu’il fut annoncé, avoir un Bond blond aux yeux bleus, au physique moins lisse que Pierce Brosnan, avait déclenché de vives réactions sur la Toile. Mais dès sa sortie, tous ces doutes furent effacés, plaçant instantanément Casino Royale comme un des tous meilleurs films de la saga James Bond. Retour sur la renaissance d’une icône du Cinéma !
Après presque 4 ans de silence radio, le retour de l’agent secret le plus célèbre du grand écran se faisait désirer en 2006. Après un Meurs un autre jour over-the-top, les pontes d’EON Productions (Barbara Broccoli et Michael G. Wilson) décident de remercier Pierce Brosnan, et de rebooter la franchise à travers un tout nouvel interprète pour Casino Royale. Si des acteurs comme Gerard Butler, Clive Owen, ou même Henry Cavill furent en compétition pour décrocher le gros lot, c’est bien Daniel Craig qui a tapé dans l’œil de la production.
Alors relativement inconnu du grand public, avec des seconds rôles chez Sam Mendes ou dans Tomb Raider, c’est dans le petit film Layer Cake de Matthew Vaughn que le britannique commence à grimper. Et si au premier abord son physique de pseudo suédois psycho-rigide semble dénoter avec les précédents interprètes de la saga, Casino Royale change complètement la donne !
Adapté du tout premier roman de Ian Fleming, Casino Royale se veut être à la fois un reboot en bonne et due forme, et une sorte d’origin story pour l’espion au smoking. En effet, Jason Bourne et Batman Begins étaient passés par là, et la volonté première fut donc de réintroduire Bond dans un cadre moderne et plus réaliste. Le duo Neal Purvis-Robert Wade (scénaristes récurrents) épaulé de Paul Haggis (Million Dollar Baby) dépoussièrent donc le personnage, au moment où il est tout juste promu agent 00. Et pour emballer le tout, Martin Campbell repasse derrière la caméra, après avoir réalisé Goldeneye 9 ans plus tôt. Un choix qui s’avérera payant dès les toutes premières minutes du film.
My name is Craig
La première scène de Casino Royale donne le ton d’emblée : on est pas là pour rigoler ! Tournée en noir et blanc avec un montage alterné, on assiste tout simplement aux 2 premiers meurtres de Bond. Une séquence violente, sèche, caractérisant à merveille un personnage n’hésitant pas à utiliser son permis de tuer. Un brin impulsif et plus brut de décoffrage que les itérations sophistiquées auxquelles le spectateur était habitué, Daniel Craig incarne un James au magnétisme et à l’énergie masculine renvoyant aux écrits de Fleming. On avait pas eu un tel Bond depuis Timothy Dalton, mais ici le curseur est placé plus haut, afin de dépeindre un assassin solitaire et extrêmement professionnel.
Une manière crédible et tangible d’ancrer Bond vers une approche plus réaliste, sans oublier ce que représente le personnage. Du flegme tout en retenue maitrisée, du charme, quelques discrètes notes d’humour pince-sans-rire très bien placées et une bonne dose de physicalité ! Après un excellent générique (porté par You Know my Name de Chris Cornell et donc seul opening de la franchise sur une voix masculine), Casino Royale propose une scène d’action parfaitement exécutée, où James poursuit un poseur de bombes à Madagascar. L’issue ne sera pas forcément celle escomptée, et en 15 min de film, Campbell et Craig scotchent déjà le spectateur, valident à 100% un nouveau Bond culte, et déposent les bases du scénario du film.
Casino Royale emmènera donc notre apprenti 007 sur les traces du Chiffre (un Madds Mikkelsen alors inconnu du grand public). Ce dernier est un banquier albanais pleurant des larmes de sang, et trésorier pour seigneurs de guerres et autres criminels du monde entier. Officiant pour une mystérieuse organisation (dont on en apprendra plus dans Quantum of Solace), Le Chiffre organisera une grande partie de poker au Casino Royale au Montenegro, après avoir subi de lourdes pertes financières. Le MI6 enverra Bond sur place avec Vesper Lynd (Eva Green) afin de vaincre Le Chiffre, et contrer le financement du terrorisme international.
De ce canevas, le film se veut être un pur Bond dans l’âme. Aventure internationale, fusillades, jeux de séduction, trahisons, course-poursuites… Casino Royale ne déroge pas à la règle, et captive tout au long de ses 2h24. Délaissant le côté plus léger ou fantaisiste de la période Roger Moore ou Brosnan, ici pas de gadgets, pas de vilains mégalomaniaques ou de bases secrètes. Les enjeux sont à hauteur d’homme, dans un récit d’espionnage réaliste et contemporain. Si le « serious business » domine, le film laisse tout de même la part belle à quelques grosses scènes d’action.
My name is Campbell
Après un 1er film James Bond en 95, et les Zorro avec Antonio Banderas, Martin Campbell revient pour un film musclé. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’a pas perdu son mojo ! Épaulé du chef monteur Stuart Baird (L’Arme Fatale, Skyfall), le réalisateur emballe des morceaux d’action à la vélocité et au rythme indéniables. Les coups portés font mal, jamais de shaky cam… c’est clair, fluide, lisible mais dynamique et prenant. Que ce soit un gunfight dans une bâtisse sur le point de s’effondrer, un violent combat dans une cage d’escaliers, une séquence à la Die Hard sur le tarmac ou bien la formidable course-poursuite à Madagascar (mêlant parkour et fusillades), c’est du haut niveau.
Rarement un film James Bond aura été aussi soigné à ce niveau, avec un interprète crédible et impliqué dans les cascades. 007 n’est plus un super-héros infaillible, balançant de la punchline avec un sourire Colgate. Le personnage se prend des coups, tombe, et pour la 1e fois dans un film panse ses blessures dans une belle scène introspective. Il y a un peu de Au Service Secret de Sa Majesté et Tuer n’est pas Jouer dans ce Casino Royale. D’abord froid et impassible, on découvrira ensuite un individu aux fêlures plus complexes, et à l’humanité bien présente.
L’occasion donc d’aborder un peu mieux le très bon casting du film. Comme précédemment écrit, Daniel Craig est excellent dans une version de Bond différente, mais fidèle à l’essence du personnage. Pas de personnage froid ou en plomb, mais un James attachant à mesure qu’il dévoile les dessous de son cœur de pierre à la charmante comptable qu’est Vesper Lynd. Incarnée par une Eva Green pleine de mystère et de douceur (elle avait tout juste 26 ans), cette dernière est loin d’être une Bond girl classique.
A l’image de Diana Rigg dans Au Service de Sa Majesté, nous avons une femme qui ne sert pas simplement de conquête ou d’atout sexy au film. Élément consubstantiel à l’intrigue, le rapprochement entre James et Vesper fait office de point pivot dans les origines de Bond. Première femme dont il tombera éperdument amoureux avant de (re)devenir le gentleman solitaire que nous connaissons. Pour finir, Madds Mikkelsen campe un vrai bon antagoniste : à la fois menaçant, rusé et sophistiqué, n’hésitant pas à se salir les mains dans une scène de torture désormais célèbre, Le Chiffre est un bel adversaire à la mesure de l’espion.
My name is Bond, James Bond
Après une première moitié riche en tension et en action, où James enquête et se fait un chemin vers les strates plus hautes, le 2e tiers du film nous apporte un des gros climax de Casino Royale, à savoir la partie de poker. Entrecoupée d’autres scènes (intimistes ou musclées), on tient là un des morceaux de bravoure du film. Peut-être la meilleure partie de poker au cinéma tout simplement ? Conçue comme un véritable affrontement entre Bond et Le Chiffre, cette séquence est un match de ping pong verbal et de coups comme on aimerait en voir plus souvent. Permettant également de dépeindre James Bond comme un stratège, ce segment s’achève vers un dernier tiers où la romance est prépondérante.
C’est donc le moment de discuter des quelques scories de Casino Royale, l’empêchant d’acquérir le statut de grand film. En effet, la photographie du film oscille entre le bon et le téléfilm (en particulier pour les scènes de marivaudage au Lac de Côme). Avec un chef opérateur digne de ce nom, nul doute que Casino Royale aurait bénéficié d’une aura cinématographique plus ample. Rassurons-nous : ce genre de menus problèmes est très succinct, et n’entache que peu la générosité et la maîtrise du film.
Enfin, rayon musique, David Arnold (Demain ne meurt jamais, Hot Fuzz) livre une composition de haut vol. Variée, empruntant aux sonorités orchestrales cultes de John Barry tout en apportant sa propre patte créative via des morceaux comme African Rundown ou les quelques notes de piano illustrant la romance James-Vesper, on tient là une des meilleurs BO de la saga.
En conclusion, Casino Royale fait partie de ses films-miracle dont on ressort immédiatement conquis, et qui se bonifient encore plus avec le temps. Toujours un véritable plaisir à redécouvrir, il s’agit d’une leçon dans la manière de réinventer une franchise et lui donner un nouveau souffle. Moderne donc, sans oublier ses racines. Un retour aux sources diablement rafraîchissant, à l’efficacité redoutable. Un véritable tour de force et un excellent film tout simplement, qui a propulsé Daniel Craig au panthéon. Du grand James Bond en effet, et c’est la grande classe !