Better Call Saul se conclue au bout de sa sixième saison. Mais avec elle, Vince Gilligan et Peter Gould parviennent à clore une page importante de l’Histoire de la TV, débutée 14 ans plus tôt avec Breaking Bad. Un dernier chapitre tout simplement prodigieux, pour une œuvre qu’on oubliera pas de sitôt.
Plus de 7 ans après son épisode pilote, Better Call Saul se conclue enfin, via une Saison 6 de 13 épisodes. Un final tout simplement mémorable, venant clore une odyssée télévisuelle débutée en 2008 avec la formidable Breaking Bad. Les pérégrinations du prof de chimie Walter White devenu parrain de la drogue auront su conquérir le panthéon du petit écran, aux côtés des Sopranos, The Wire ou encore Game of Thrones.
De ce fait, l’idée d’un spin-off/prequel centré sur le personnage de Saul Goodman pouvait sans doute laisser dubitatif initialement. L’avocat véreux et béquille juridique introduit dans la saison 2 de Breaking Bad avait beau être fun et attachant, rien ne laissait présager de la mécanique bien huilée que Vince Gilligan et Peter Gould allaient concocter. Au final, Better Call Saul réussit absolument tous ses paris pour aller au-delà des attentes, et enrichir considérablement l’univers criminel et fictionnel d’Albuquerque.
Avant Saul il y avait Jimmy « la Glisse » McGill, ex-taulard s’étant racheté une conduite en passant le barreau, afin de devenir un avocat respecté (et respectable) comme son frère Chuck. Ainsi, tout au long des 3 premières saisons, Better Call Saul dressera un portrait étonnamment attendrissant d’un individu foncièrement bon, mais poussé vers l’appât du gain et les sorties de route par son environnement. Que ce soit son frère aigri (magnifiquement interprété par Michael McKean) et son associé Howard Hamlin, ses incartades avec la pègre ou bien le destin, Jimmy embrassera finalement sa nouvelle identité de Saul.
L’occasion d’apprécier les divers engrenages rajoutés à la grande machinerie scénaristique de la série (prenant place de 2022 à 2004, soit 4 ans avant Breaking Bad), alors que la guerre froide intestine entre Gustavo Fring et les Salamanca s’intensifie. La saison 4 nous aura alors introduit à Lalo Salamanca (Tony Dalton), neveu aux tendances tout aussi psychopathiques, tandis que la saison 5 voyait son homme de main Nacho (Michael Mando) le trahir dans un final sanglant. 2 ans plus tard, nous voilà sur la dernière ligne droite de Better Call Saul, mais également de tout l’univers de Breaking Bad.
Breaking Good
Après un cliffhanger qui lorgnait réellement sur la violence de sa série jumelle, cette saison 6 débute dans le feu de l’action : Nacho est en fuite au Mexique, après avoir trahi les Salamanca pour le compte de Fring et Mike. L’occasion de démarrer par 3 épisodes emplis de tension, dans une course désespérée vers la liberté, à la finalité douce-amère. Là encore, la mise en scène virtuose porte le tout, notamment dans cet épisode 3 « La Carotte et le Bâton » réalisé par Gilligan lui-même. Le spectateur est aux côtés d’un excellent Michael Mando tout en gestuelle, silence et regard, avant d’exploser de rage dans un épisode 3 révélant un des personnages les plus humains et valeureux de toute la série.
Car oui, Breaking Bad comme Better Call Saul sont avant tout des œuvres sur la condition humaine, avec des protagonistes aspirant à quitter leurs prisons respectives, qu’elles soient idéologiques, matérielles ou psychologiques. Alors que Saul et Kim semblaient finalement heureux à défendre les petites gens, les revoilà prêt à fomenter un dernier coup par pur ego, alors que la série se mue en intrigue d’arnaques malicieuse afin de se venger de leur ancien boss.
Sur un ton amusant et plus léger, Better Call Saul parvient encore une fois à surprendre via un épisode 8 (« Dans le viseur« , là encore mis en boîte par un Gilligan totalement maître de son artisanat) à la portée funeste, faisant d’un dommage collatéral la peinture d’un homme brisé, tout en venant clore toutes les pistes narratives de la série dans l’épisode suivant. Du mid-season pas si éloigné du grand « Ozymandias » de Breaking Bad, lorgnant avant tout sur un virage plus mélancolique, alors que Kim et Saul font bande à part, et que la série opère un time jump prenant place 1 an après les aventures de Walter et Jesse.
La vie en noir et blanc
Dès le tout premier épisode, puis à chaque saison, Better Call Saul teasait un arc narratif sous forme de flash-forward, alors que Jimmy/Saul était incognito en Alaska. Fuyant la police sous le pseudonyme de Gene Takavic, la saison 6 raccroche in fine les wagons pour sa dernière ligne droite. Et le pari est là encore audacieux, en proposant un nouveau contexte et de nouveaux personnages à introduire, alors que les mauvaises habitudes et le goût du risque refont petit à petit surface chez notre héros de fortune.
Et un peu à la manière d’El Camino, ce segment final en noir et blanc est avant tout là l’opportunité d’un regard réflexif sur le personnage, avec parfois usages de flash-backs en couleur et caméos de luxe. Sans grande surprise, Bryan Cranston et Aaron Paul font des apparitions express lors de moments-clés enclins au fan-service, mais qui servent avant tout le propos et le développement psychologique de Saul. Et c’est dans ces ultimes moments, que Better Call Saul convoque le parfum des grands films noirs, tout en apportant une réelle émotion face à l’inéluctabilité.
Si l’on était en droit de croire que Better Call Saul suivrait le cheminement de Breaking Bad, à savoir une descente aux enfers emprunte de viscéralité et de violence, que nenni. Ici, il n’est pas question de la transformation d’un homme, mais d’une dualité autant que d’un portait plus intime qu’il n’y parait. Jimmy/Saul aura été un protagoniste complexe, fuyant sa propre nature, sa propre stabilité ainsi que sa propre rédemption. Et au centre de tout cela, on tient sans aucun doute une des plus belles et authentiques histoires d’amour que le petit écran nous aura servi ces dernières années.
Via un épisode final d’une justesse sidérante en terme de plans, de montage et d’acting (Rhea Seehorn et son jeu chirurgical, Bob Odenkirk est la maîtrise complète de son actorat), le personnage se mue en héros prêt à enfin se regarder dans le miroir. À la fois geste romantique et salutaire, qu’ultime preuve de son génie, ce dernier lancer de dé en fausse échappatoire permet finalement de clore une gigantesque œuvre de 14 années centrée sur le poids des regrets.
It’s Saul Gone now
Œuvre parallèle mais également complémentaire (ce que Le Parrain 2 est au premier film en quelque sorte), Better Call Saul complète merveilleusement Breaking Bad (le monument point 0) en élevant encore plus son univers (via une mise en scène encore plus aboutie notamment), tout en lui conférant un autre degré de lecture.
Et si sa toute dernière scène sans dialogue ni violon rentre déjà au palmarès des plus belles fins de série TV, Better Call Saul donne également l’envie pressante de se replonger dans Breaking Bad, afin d’y découvrir de nouveaux éléments jumelés. Bref, merci Gilligan et Gould, on oubliera pas ce fabuleux geste de sitôt : chef-d’œuvre donc !
Better Call Saul est disponible sur Netflix
avis
Aussi grande que Breaking Bad tout en étant bien différente, Better Call Saul se conclue avec une saison 6 confinant au chef-d’œuvre. Surprenamment mélancolique et émotionnelle, en plus d'être un bijou d'écriture et de mise en scène, on tient là une des plus belles conclusions de série qui soient, en plus d'une des plus authentiques histoires d'amour du petit écran. Bref, it's Saul Goodman !
2 commentaires
Beaucoup a été dit sur cette série bb et bcs. Ce que je lis moins, c’est la stupéfiante inventivité des réalisateurs, qui sert une écriture irréprochable. Les plans sont magiques, travaillés. Des photos exceptionnelles. Une utilisation de la couleur dans le N&B (reflets dans les lunettes chez marion, flamme du briquet) qui illustre complètement le génie de Gould et Gilligan.
Bref, peut on encore aller au cinéma en touchant cette perfection du genre ?
Chaque année il y a des petites merveilles au cinéma, mais ce qui est certain c’est que pas grand chose peut toucher le génie et la rigueur d’écriture de ces 14 années par Gilligan et Gould 😉