Après Victoria à la Semaine de la Critique, et Sibyl en Compétition, Justine Triet revient au Festival de Cannes avec Anatomie d’une chute. Et outre une performance flamboyante de Sandra Hüller (Toni Erdmann), ce faux film de procès se révèle le meilleur film de la cinéaste, portée par une écriture au cordeau.
De film en film, la française Justine Triet aura su dresser de beaux portraits de femme. Mais alors qu’il y en avait toujours pour Virginie Efira dans Victoria et Sibyl, cette fois c’est la grande Sandra Hüller (Toni Erdmann, The Zone of Interest) qui est au centre de l’Anatomie d’une chute. Présenté au Festival de Cannes 2023, ce nouveau métrage s’impose comme une des plus forts de la Sélection.
Anatomie d’une Chute débute en nous présentant Sandra (Sandra Hüller), écrivaine d’origine allemande vivant en montagne à l’écart avec son mari (Samuel Theis) et leur fils malvoyant de 11 ans nommé Daniel (Milo Machado Graner). Alors que Sandra s’engage dans une plaisante interview avec une journaliste, le calme ambiant sera vite interrompu par un évènement tragique.
Le corps de Samuel est retrouvé mort à l’extérieur, au pied de la maison. Déclarée comme une mort suspecte, la justice décide de s’en prendre à Sandra et de l’inculper. Le doute est donc de mise : s’agit-il d’un suicide ou bien d’un meurtre ? Un an plus tard, le procès a lieu, permettant de mettre en lumière l’origine de cette tragique chute !
Faux film de procès
Avec ce pitch, Anatomie d’une chute avait tout d’un film procédural attendu. Épaulée d’Arthur Harari (Onoda, 10 000 nuits dans la jungle), Justine Triet livre un script empli de finesse, dont la fameuse chute du titre ne représente finalement pas la mort présentée en introduction, mais la déchéance d’un couple au fil du temps. Dès lors, le fameux procès intervenant lors du dernier tiers devient à la fois une fascinante étude de personnage, mais également une dissection des codes archétypaux du couple.
Anatomie d’une chute questionne, et place le spectateur comme un des membres du jury d’entrée de jeu, voire au même rang que le fils de Sandra (dont la malvoyance peut-être perçue via une double-lecture évidente). Usant d’abord du bénéfice du doute, on apprend progressivement les maux qui gangrénaient ce mariage franco-allemand depuis des années : d’abord par des témoignages, puis via l’aide exceptionnelle de deux flash-backs.
Comme dans un procès hexagonal, la parole est donnée à chacun, dans un gigantesque puzzle juridique ciselé. La mise en froide de Triet (plus maîtrisée qu’auparavant via une vraie maîtrise du cadre et du montage) enferme ainsi le personnage de Sandra Hüller dans ce tribunal, lieu où la parole et le vécu d’autrui est jugé sur la place publique.
Anatomie d’une chute : portrait clinique d’une femme
Exploration des non-dits, déséquilibre relationnel, tentation de libertés, compromis, partages… Anatomie d’une chute devient l’anatomie maritale, sublimée par un excellent casting. Si le jeune Milo Machdo Graner surprend par sa justesse, et si le chien de la famille méritait sa Palme Dog, la star est avant tout Sandra Hüller dans ce qu’il s’agit de son meilleur rôle.
Une protagoniste complexe, moderne et écrite avec réalisme, finesse et authenticité. Un rôle de composition qui jongle entre le français et l’allemand, supporté par un Swann Arlaud tout en pudeur, et un impressionnant Antoine Reinartz (120 battements par minute) faisant le contre-poids en avocat à la verve féroce.
Au final, Justine Triet accouche de son meilleur film, à la puissance évocatrice d’écriture prononcée et à l’interprétation de haute volée. L’Anatomie d’une chute oui, mais l’essai transformé d’une réalisatrice française qui compte avant tout ! Le résultat globale impressionne, malgré un certain manque d’emphase émotionnelle. Bref, du très bon tout de même !