Dans le cadre d’une exposition Laika au sein d’une rétrospective sur le cinéma d’animation en stop-motion par le BFI de Londres, nous avons pu rencontrer le grand Henry Selick (L’Étrange Noël de Monsieur Jack) au cours d’une masterclass d’une heure et demi riche en anecdotes ! Focus sur un des grands artisans du milieu de l’animation image par image !
On assimile assez facilement la stop-motion à la claymation de Wallace & Gromit ou Chicken Run (toujours à ce jour les plus gros succès au box-office du genre). Pourtant le principe de photographier plusieurs objets/personnages à intervalles réguliers pour donner l’illusion de mouvements est une pratique bien plus ancienne, que l’on retrouve déjà chez George Méliès ou Ray Harryhausen !
Et si l’animation a subi de grands bouleversements par la suite (via le dessin puis l’imagerie numérique), il existe encore d’irréductibles Gaulois résistants et désireux de perpétuer tout l’héritage de la stop-motion. C’est le cas des studios Aardman, Laika, de Phil Tippett (Mad God) et bien sûr Henry Selick !
Henry Selick : rencontre avec un ténor de la stop-motion
Illustre réalisateur de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, de James et la pêche géante, Coraline ou bien Wendell & Wild, le cinéaste-scénariste-dessinateur né en 1952 dans le New Jersey est venu s’entretenir 1h30 pour une masterclass retraçant l’ensemble de sa carrière !
Ce dernier a ainsi débuté en évoquant son amour pour l’animation depuis tout petit, notamment grâce à Fantasia des studios Disney ! Par la suite, c’est véritablement l’art de la stop-motion qui le fascinera : « ma mère m’a emmené voir Le 7e Voyage de Sinbad au cinéma à 5 ans, et le soir-même j’ai fait des cauchemars en voyant le Cyclope dans l’aquarium de ma maison« .
Un évènement semi-traumatique en un sens, que Selick célèbre en dressant un parallèle avec son film Coraline, où il a voulu retranscrire cette expérience de terreur enfantine. Par la suite, le réalisateur est revenu sur les exemples de l’Âge d’Or de la stop-motion (via les films d’Harryhausen ou bien King Kong) en affirmant que « les monstres étaient perfectibles, mais avaient une âme ! C’est ce qui faisait toute la différence, et ce pourquoi les gens pleuraient à la mort de Kong ».
Les débuts chez Disney
« J’étais un enfant qui dessinait tout le temps. Par la suite, j’achetais des magazines avec des monstres, puis je suis allé à l’Université des Arts de Londres… et c’était trop pour moi, je me suis dit qu’ils étaient tous fous ! ». Alors qu’Henry Selick hésite à bifurquer vers la sculpture ou la photographie, il s’est souvenu de son amour pour la stop-motion en imaginant des créations photographiées à divers intervalles.
Un déclic salutaire, qui enverra le bonhomme à la prestigieuse CalArts, école fondée par Walt Disney, où Selick était en classe avec d’illustres noms comme Brad Bird (papa des Indestructibles et également ami proche du réalisateur), John Lasseter (Toy Story), John Musker (Aladdin) et Tim Burton (Edward aux mains d’argent) !
Comme le précise lui-même Henry « J’étais dans le lot des 9 meilleurs animateurs du training program de Disney » (difficile de ne pas le croire quand on connait la carrière future de tous ses grands noms), a été l’élève du grand Glen Keane, et a notamment aidé sur la production de Peter & Eliott le Dragon et Return to Oz !
De MTV à Tim Burton
L’amour de la stop-motion fera logiquement dévier la trajectoire professionnelle de Henry Selick, tandis qu’il se lance dans la confection de plusieurs court-métrages MTV plutôt ingénieux (confectionnés seul ou avec un maximum de 5 personnes), et le pilote d’une série avortée s’intitulant Slower Bob in Lower Dimensions.
C’est à cet instant que Tim Burton fait appel à lui pour l’Étrange Noël de Monsieur Jack (« beaucoup pensent qu’il est le réalisateur du film, mais Tim est seulement venu avec le pitch et les bases des personnages. C’est mon équipe qui a fait tout le film, bien que Tim était toujours d’accord avec nos idées ! »), développé par Disney sous le label Touchstone Pictures (« la firme avait peur que le résultat final fasse du mal à leur marque… tout ça pour que 10 ans plus tard le film s’appelle Walt Disney’s Nightmare Before Christmas lors de son succès en vidéo ! ») !
Après nous avoir parlé de certains défis de conception du métrage (« Oogie Boogie et Sally étaient les personnages les plus durs à faire de par leur aspect visuel et leurs vêtements »), Henry a tout de suite embrayé en abordant le révolutionnaire Toy Story, qui signifie globalement la mort de l’animation traditionnelle au profit de l’hégémonie de la 3D (« Cela a changé le monde, du coup la stop-motion n’est plus aussi soutenue par les studios »).
Les premiers déboires d’Henry Selick
Un exemple simple cité par Selick : « Sur Monsieur Jack j’ai pu faire 99% de ce que je voulais, mais sur James et la Pêche géante seulement 75% » car il y avait trop de deadlines imposées ». Même malgré l’appui de Bill Mechanic chez Fox (producteur kamikaze et aventurier notamment derrière Fight Club), « Monkeybone a été un gros échec, il devait y avoir beaucoup + de stop-motion… Dire oui pour qu’un projet soit greenlighté n’est pas une très bonne idée !« .
Difficile de lui donner tort tant Monkeybone demeure un énorme ratage (malgré quelques idées ici et là), ce à quoi Selick rajoute qu’il adorerai faire une director’s cut, et que le projet a été théâtre de friction en coulisses avec la star Brendan Fraser (« Certains acteurs ne sont pas malléables ou que poser une voix dans un film d’animation est juste du doublage, surtout celles qui sont en plein boom de leur popularité »). Le mot de la fin est plutôt heureux ceci dit : Fraser et Selick se sont largement réconciliés depuis !
L’occasion donc d’aborder Laika, studio miraculeux fondé par Travis Knight (le fils de Phil Knight, PDG de Nike !), qui a contacté Selick pour réaliser leur toute première production : le court-métrage 3D Moongirl, Une expérience douce-amère pour Henry, qui précise « cela m’a fait comprendre que désormais je limiterai l’imagerie numérique le + possible ». Une collaboration qui aura néanmoins posé les bases du 1er film de Laika : le cultissime Coraline (le meilleur film d’Henry Selick selon celui qui rédige ces lignes !) !
Coraline : le chant du cygne
« C’était la 2nde fois où j’ai eu le contrôle total sur un projet ! ». Un petit miracle en un sens, d’autant que la production du film fut lancée sans distributeur. Un travail de longue haleine, même pour l’identité musicale singulière de Coraline, que l’on doit à Bruno Coulais (Les Choristes). Le compositeur français a d’ailleurs travaillé 2 ans sur le film, après avoir été repéré par Selick via sa BO de Microcosmos.
Mais la partie la plus fascinante de la masterclass fut l’évocation du projet The Shadow King, histoire que Selick développe depuis de nombreuses années : le récit d’un enfant handicapé des mains, mais capable de créer des ombres vivantes grâce à elles ! Malgré la création d’un studio avec John Lasseter, ce dernier a abandonné le film devant les faibles prévisions commerciales. Les quelques essais tests prometteurs accessibles ont au moins permis de savoir que Selick détient désormais les droits de The Shadow King : plus qu’à espérer que le tout se concrétise un jour !
Enfin , la masterclass s’est conclue sur l’évocation du sympathique Wendell & Wild sorti sur Netflix, que Selick a co-créé avec Jordan Peele. « Le Covid a impacté le tournage, si bien que nous n’avons pas pu travailler pendant 9 mois. Le film nécessitait d’être plus long et d’être mieux supporté par Netflix, à l’instar du Pinocchio de Del Toro. Mais en tout cas j’aime que le film tacle des sujets importants, comme l’incarcération de jeunes pour le profit : c’est un film woke et j’en suis fier ! ».
Préservation de l’animation
Une dimension douce-amère là encore, alors que le maître-mot d’Henry Selick lors de cette rencontre tiendra dans la non-reconnaissance qu’a l’industrie du cinéma envers les talents de l’animation : « Andrew Stanton (Le Monde de Nemo, Wall-E, John Carter) est un des plus grands réalisateurs d’animation de tous les temps, mais comme il n’a pas l’estime qu’il mérite… il fait du live-action, comme Brad Bird ».
Mis Selick ne compte pas abandonner son 1er amour ou la stop-motion (on sait qu’il travaille sur une adaptation de L’Océan au bout du chemin, vendu comme une suite-spirituelle de Coraline), précisant qu’avec les progrès technologiques on peut encore pousser les possibles de la stop-motion via des marionnettes de plus en plus élaborées.
L’occasion d’évoquer une touchante anecdote d’il y a 20 ans, sur le tournage de La Vie Aquatique (Selick a fabriqué la séquence du requin dans le film de Wes Anderson) : « Ray Harryhausen est venu visiter le tournage et a vu le requin de 2.5m animé par 15 personnes. Il a eu les larmes aux yeux en voyant que la stop-motion était encore utilisée !« . La minute émotion en fin de compte, tandis qu’Henry Selick dévoile le secret pour percer dans ce milieu : « Si vous voulez faire de l’animation, faîtes quelque chose qui soit singulier, qui vienne de vous. C’est la meilleure manière de se faire connaître ! ».