Massacre à la tronçonneuse (notre critique) revient sur Netflix, 48 années après le choc de Tobe Hooper, en se présentant comme une suite directe. L’occasion parfaite pour revenir sur ce choc qui n’a pas pris une seule ride.
Massacre à la tronçonneuse est un film sec, abrupte et sans concessions. Débutant par le plan de deux cadavres mutilés au-dessus d’une tombe, le premier long-métrage de Tobe Hooper annonce ainsi brillamment la couleur. Tourné pour 65 000 dollars en seulement 32 jours et de manière chronologique, Massacre à la tronçonneuse fut un marathon millimétré pour dépenser le moins possible, la camionnette bleue du film appartenant même à l’ingénieur son. La pellicule 16 millimètres fut ainsi une aubaine, car proposant un matériel plus léger et plus économique, alors utilisée pour le tournage amateur où les reportages, elle donna au film son côté aussi réel tout bonnement glaçant.
Inspiré du réel
Le scénario de Kim Henkel et Tobe Hooper s’inspire ainsi de faits réels, en la personne d’Ed Gein. Ce dernier étant un meurtrier connu pour avoir sévi dans le Wisconsin, profanateur de sépultures et collectionneur de restes humains, entre autres. Si Massacre à la tronçonneuse devait ainsi prendre place dans le Wisconsin, le Texas s’est avéré beaucoup plus arrangeant car nombre de personnes de l’équipe en étaient originaires. Et pourquoi une tronçonneuse ? Parce que Tobe Hooper en avait repéré une dans un magasin, et que le bruit de l’engin se suffisait à lui-même pour la bande-originale, économisant ainsi les frais d’un compositeur. Leatherface s’inspire ainsi en grande partie de la personnalité d’Ed Gein, mais ce ne fut pas de tout repos pour son interprète, Gunnar Hansen.
Ce dernier n’y voyait ainsi rien avec son masque, passant ainsi son temps à se prendre des portes, à cause également de talons de 7 centimètres pour offrir une stature plus imposante au personnage. Gunnar Hansen aurait en plus suggéré son côté instable au réalisateur, offrant ainsi ses petits cris et sa petite remise en question après avoir massacré plusieurs adolescents. L’acteur aurait, pour le rôle, passé du temps avec des handicapés mentaux, n’hésitant pas à effrayer plusieurs membres de l’équipe durant le tournage.
Sec et abrupt
Au-delà de toutes ces anecdotes nourrissant la légende de Massacre à la tronçonneuse, il y a pourtant ici un sommet de l’horreur, le meilleur de son réalisateur et la référence ultime et indétrônable de tout un cinéma de genre. Ainsi le premier long-métrage de Tobe Hooper confronte deux mondes, celui de jeunes hippies idéalistes et libres à un Texas, terre hostile et malmenée par les fermetures consécutive d’abattoirs. Une région reculée que l’on ignore, où le sang permet de gagner honnêtement sa croûte pour nourrir un pays dont le cinéma s’attarde alors enfin à montrer la part la moins reluisante. L’idéologie d’Easy Rider semble ainsi avoir atteint ses limites, voyant des auteurs tels que Martin Scorsese (Mean Streets) et William Friedkin (The French Connection) émerger.
Le désenchantement est alors de mise, le scandale du Watergate éclate alors que la Guerre du Vietnam semble interminable et meurtrière, et le cinéma plus violent et sombre que jamais auparavant. Massacre à la tronçonneuse a ainsi quelque chose de nihiliste, où la violence semble perpétuellement gratuite, révélant au passage un grand cinéaste dont l’économie de moyens sert ici de véritable moteur pour signer un sommet d’horreur aussi crade que glaçant. Parce qu’il n’y a pas beaucoup de sang dans Massacre à la tronçonneuse, ni de véritable boucherie comme dans la dernière version, mais tant la mise en scène prend aux tripes nombre de spectateurs ont gardé des images bien plus horribles que ce que le film n’avait pourtant jamais montré.
Manifeste sanglant
Certains qualifient ainsi aujourd’hui Massacre à la tronçonneuse de « film art et essai » dans sa démarche, et ils n’ont certainement pas tort. Parce que le film de Tobe Hooper révolutionne l’approche du cinéma d’horreur, rendant la terreur plus franche et plus palpable. Exit les décors embrumés et sur-éclairés de la Hammer et les créatures gothiques qui s’épuisent en remake, ici le genre prend source dans le réel, et c’est ce qui le rend encore plus terrifiant. Massacre à la tronçonneuse est ainsi le manifeste d’un cinéma jeune, enragé et sans aucunes concessions. Si le scandale a beaucoup nourri la légende du film, il en résulte pourtant un modèle de mise en scène et de tension, qui, après presque 50 ans, n’a pas pris une seule ride.
Après nombre de suites, dont une réalisée par Tobe Hooper en personne, et différentes et inutilement complexes timelines, Massacre à la tronçonneuse et son Leatherface ont ainsi connu des destins similaires à ceux de Michael Myers sur grand écran. Transfigurés ici et là au bon gré de l’époque et des dollars, le boogeyman d’Halloween est ainsi devenu une caricature de lui-même, transfigurant l’art de John Carpenter à filmer le mal en un insatiable boucher dont seules les sanglantes mises à morts semblent continuer d’intéresser les différents metteurs en scènes. C’est ainsi l’un des reproches que l’on attribuera à cette nouvelle version disponible sur Netflix, pourtant chapeautée par le talentueux Fede Alvarez à qui l’on doit pourtant le très réussi remake d’Evil Dead et l’anxiogène Don’t Breathe.
Parce que si cette nouvelle mouture s’avère plus fidèle qu’à l’accoutumée à son modèle d’origine et recèle même une certaine efficacité, le fait d’avoir remplacé de jeunes idéalistes par de détestables influenceurs, en tentant vainement un discours anti-armes, constitue ainsi de véritables faiblesses et une certaine incompréhension vis-à-vis de l’indétrônable chef d’œuvre qu’est Massacre à la tronçonneuse. Derrière le scandale et le culte, une abrupte et anxiogène plongée dans la terreur, dans ce qu’elle a de plus crue et de plus crade.