Michel Chevallier nous propose un premier roman intriguant, gorgé de mystères et de sensualité. Rome est une femme est un ouvrage paru en octobre 2020, aux éditions françaises de l’Harmattan.
L’histoire de Rome est une femme de Michel Chevallier débute brusquement, sans laisser le temps au lecteur de se préparer à l’expérience qu’il va vivre. L’écrivain a choisi d’emmener son lectorat dans le temps, sous la forme d’un voyage sans filtre et tabou, où le lecteur s’improvisera complice de Cesare. Difficile de déterminer le genre littéraire, tant les sujets et thématiques s’effleurent et se complètent au sein de ce livre. De nombreuses questions théologiques, philosophiques et politiques se succèdent, alors que l’amoureux d’aventures évolue aux côtés d’un jeune policier.
Pour cette affaire particulière, qui deviendra rapidement le cœur battant du récit, le héros doit mettre la main sur un horrible meurtrier. Celui-ci a dépecé le corps d’une fille, qui avait dû être belle, de son vivant. Mais résoudre l’enquête va s’avérer plus difficile que prévu. Tout d’abord, cette enquête se tient en 1935. La pression de l’État fasciste est à son paroxysme. La guerre en Éthiopie gronde, l’Italie veut redorer son image et s’imposer, se démarquer de ses voisins… Mais qu’est-ce qu’un pays, une nation, sinon les hommes et les femmes qui le composent ?
Afin de l’accompagner dans cette quête qui va prendre une tournure traditionnellement initiatique, le jeune Cesare peut compter sur Gaetano, charismatique, bon orateur et très intelligent. Lui qui n’a pas connu de père reconnaît en lui un mentor mesuré. Le contexte familial du protagoniste est nuageux, triste, lié à la sphère historique d’une Europe marquée par les guerres mondiales. C’est sa mère qui l’a donc élevé, car son paternel – soldat de métier est mort en fonction.
Se détachant progressivement de l’enfance, le personnage principal se découvre lui-même grâce à la sexualité. Un désir foudroyant et constant, qui fait presque l’identité du récit entier. Parce qu’il adore cette cité en proie au totalitarisme, la plume de l’auteur retranscrit l’amour de Cesare pour cette ville qu’il humanise. À la manière de cette défunte, de cette pauvre assassinée, qu’il regrette amèrement de ne pas avoir connu. Certains passages peuvent choquer, mais ce qui ressort de cet ouvrage n’est pas la volonté de proposer une fiction gore et sanglante pour des raisons de curiosité morbide. En réalité, cette juxtaposition entre mort, guerre, vie et sexe est fondatrice et même plutôt classique. Elle est ici subtilement menée, grâce à un style parfois très poétique et d’autres fois « oral » et parfaitement lisible.
Au fil de l’enquête, Cesare s’entretient avec des personnages qui prennent plus ou moins de place. Les scènes de douceur sont suivies de portraits violents, riches en altercations et propos ignobles de réalisme. Les acteurs eux-mêmes se questionnent, de manière très crédible, sur ce fascisme qu’ils traversent. Comment le comprendre, le justifier, le définir, tout simplement ? Ce sont des réflexions que le lecteur se posera évidemment, lors de cette lecture caractérisée par une présence de références historiques et culturelles.
Rome est une femme est un roman à la fois divertissant et intelligent. En réalité, le lecteur se sentira aspiré dans un souvenir, même si l’histoire est fictive. S’il est difficile de connaître un auteur grâce à une œuvre, il est possible de théoriser sur le mysticisme de son écrivain, qui semble fortement renseigné au sujet de la théologie et aussi de l’occultisme. De plus, le livre réussit la prouesse de tenir son lecteur en haleine de la première jusqu’à la dernière page. Dans ses passages les plus légers et épurés, l’artiste parvient à maintenir une atmosphère à la fois dérangeante et délicieusement attirante. Il n’est absolument pas question ici de faire l’éloge du fascisme ou de l’autoritarisme de Mussolini, mais plutôt de mieux l’approcher pour le critiquer.
Un policier atypique et insolite, qui reprend des sujets qui plaisent à la majorité des amateurs en quête de sensations fortes et de rebondissements. Jamais pathétique et qui peut même s’avérer amusant, ce livre parvient à retranscrire de nombreuses émotions et fait participer le lecteur à sa manière.
Au questionnement « est-il possible de trouver une scène de crime belle, poétique et désirable ? », le lecteur pourra se retrouver décontenancé. Pourtant, cette interrogation a parfois été subtilement mise en lumière, notamment dans l’excellente série télévisée Hannibal de Bryan Fuller, où l’acteur danois Mads Mikkelsen campe le célèbre psychiatre cannibale. La photographie télévisuelle insiste sur la beauté surréaliste des corps, en y insufflant un esthétisme dérangeant, car il réussit à plaire au spectateur admiratif. En sachant que le personnage d’Hannibal, créé par Thomas Harris, était aussi un grand amoureux de l’Italie et surtout de Florence — on peut même se demander s’il n’existe pas une légère inspiration, du côté de l’auteur…