Un chapeau de paille d’Italie est une adaptation explosive, électro-onirique et déjantée du vaudeville de Labiche.
La dernière fois que nous sommes allés nous frotter à une adaptation d’une comédie d’Eugène Labiche, c’était déjà au Théâtre du Lucernaire, et nous en gardons un excellent souvenir puisqu’il s’agissait de L’affaire de la rue de Lourcine, qui est ensuite allée cartonner au Festival d’Avignon. Et c’est probablement ce qui attend aussi cette adaptation décoiffante de l’un des vaudevilles les plus connus de l’auteur.
Une brise (du soir) de folie souffle sur le Lucernaire !
C’est dans une histoire totalement absurde que l’on se retrouve plongé. Nous sommes au matin des noces de Fadinar, un jeune parisien, quand le cheval de son fiacre entreprend de grignoter le chapeau de paille d’Italie qu’une femme mariée avait suspendu à un arbre tandis qu’elle s’abandonnait aux bras d’un militaire au bois de Vincennes. Pour réparer les dégâts causés, et alors même qu’il est attendu à son propre mariage, Fadinar se lance alors dans la quête d’un chapeau identique…
Nous étions très curieux de découvrir cette nouvelle création de la compagnie L’éternel été, dont nous avions déjà exploré l’univers très fantaisiste dans leur adaptation de la comédie de Musset, Fantasio, au dernier Festival d’Avignon. Beaucoup d’énergie, un (sacré) brin de folie, de l’audace, c’est ce qui caractérise le travail de cette équipe, c’est confirmé ! Et on comprend vite que ce décor de chambre d’enfant entièrement drapé de rose et de blanc et envahi de matelas, coussins et gros ours en peluche va nous embarquer dans une aventure décalée et onirique.
Une belle équipe artistique
Cette adaptation d’Un chapeau de paille d’Italie ne lésine clairement pas sur l’humour, c’est le moins qu’on puisse dire. Tout y est drôle, improbable, fantasque et poussé à l’excès. Aussi bien la manière de s’exprimer des personnages que la façon dont ils se déplacent et investissent la scène, sans oublier les formidables costumes de Magdaléna Calloc’h. On peut aussi saluer la scénographie et la mise en scène inventive d’Emmanuel Besnault (Fantasio, La tempête, Moi vivante) et Benoît Gruel (qui interprétait avec une belle intensité ce personnage de Fantasio). Et l’on devine le travail phénoménal effectué en amont pour parvenir à un résultat aussi dense et précisément chorégraphié.
La distribution est à la hauteur du défi, et l’engagement corporel des comédien.ne.s est admirable. On rit à chaque fois qu’ils se laissent tomber, se jettent, rebondissent sur les matelas posés au sol, faisant ainsi du décor un véritable partenaire de jeu. On retrouve l’excellent Victor Duez, avec sa cravate trop courte sur un pull sans manche en moumoute et ses santiags ! Le comédien, dont nous avons pu apprécier l’étendue du talent dans son seul-en-scène Tout va bien, forme un duo extra avec la belle-mère, à laquelle la talentueuse Sarah Fuentes prête des mimiques et des manières hilarantes. Emmanuel Besnault est un Fadinard désabusé, Mélanie Le Duc la femme adultère pleine de malice, et Guillaume Collignon s’empare, entre autres, du costume… ou plutôt des sous-vêtements et de la chapka, d’un Monsieur Tardiva totalement barré !
Un chapeau de paille d’Italie version 2024
Les amateurs de Labiche noteront quelques variations avec la version originale jouée pour la première fois en… 1851 ! En effet, la compagnie L’éternel été s’est attaché à retranscrire le potentiel comique de l’œuvre, tout en procédant à quelques ajustements en phase avec les enjeux idéologiques et sociaux de notre époque. Ainsi, le personnage du beau-père devient belle-mère dans un soucis d’équilibre des rôles, tandis que la mariée échappe à son rôle initial de potiche pour devenir un personnage invisible et plus symbolique.
On pourrait reprocher à ce spectacle de flirter avec l’excès, de nous submerger de propositions toutes plus fantaisistes les unes que les autres, parfois un peu au détriment de l’intrigue elle-même qui tend à nous échapper. Mais cet excès est aussi, précisément, ce qui fait que l’on en ressort heureux ! Car on lâche prise, on se laisse surprendre et emporter par ce tourbillon burlesque, on rit beaucoup, on participe même à une joyeuse bataille de peluches… et ça fait franchement du bien !
Un chapeau de paille d’Italie, d’Eugène Labiche, adaptation et mise en scène Emmanuel Besnault et Benoît Gruel, avec Guillaume Collignon, Victor Duez, Sarah Fuentes, Mélanie Le Duc et Emmanuel Besnault, se joue du 10 janvier au 17 mars 2024 au Théâtre du Lucernaire.
Avis
Si vous cherchez une adaptation classique de l'œuvre de Labiche, passez votre chemin, vos nerfs n'y résisteraient pas ! Ici, la fantaisie est au programme, et l'ensemble se déroule au rythme haletant du bouquet final d'un feu d'artifice. Un vent de fraîcheur.