Coralie Fargeat a fait sensation au Festival de Cannes avec The Substance, une satire à la fois perverse et complètement jubilatoire sur le jeunisme de notre société. Du body horror comme on en a jamais vu, porté par un superbe duo Demi Moore/Margaret Qualley. Attention, à consommer l’estomac vide !
The Substance à Cannes ce n’était pas gagné d’avance. En effet, ce second long-métrage de la française Coralie Fargeat arrive 7 ans après le très réussi Revenge. Une série B au plot classique, mais à l’exécution admirable. Pourtant, même les hectolitres de sang de ce premier film ne nous ont pas préparé à The Substance, projet aux multiples influences.
The Substance : conte noir sur le jeunisme toxique
The Substance débute via un énigmatique plan où une seringue injecte un actif chimique dans un jaune d’œuf : ce dernier va ainsi se cloner en une 2e cellule d’ovalbumine ! Une note d’intention impeccablement établie, tandis que nous découvrons ensuite la star Elisabeth Sparkle (Demi Moore). Après une séquence tout aussi brillante illustrant le passage du temps à travers un plan-fixe de son étoile sur Hollywood Boulevard (peu à peu salie et vieillie), nous découvrons l’actrice désormais réduite à animer une émission d’aérobic.
Délaissée par son producteur nommé Harvey (un Dennis Quaid génialement bouffon et misogyne), Elisa va découvrir la fameuse Substance. Délivrée par une obscure compagnie pharmaceutique anonyme, le concept est simple : une injection du fameux principe actif permet de générer un double plus jeune, plus beau, plus parfait. La consigne est simple : il faut impérativement partager le temps (chacun 7 jours puis on switche, sans exception) !
Bien évidemment, les choses ne vont pas nécessairement se passer comme prévu, alors que la jeune Sue (Margaret Qualley) va réclamer plus de temps, plus encline à enchaîner les juteux contrats de télévision et les opportunités liées à son caractère sexy/juvénile ! Et de ce canevas fantastique extrêmement simple, Coralie Fargeat va dérouler un vrai jeu de perversité jusqu’à des proportions assez inouïes.
Entre références et irrévérence
The Substance devient alors une critique non-déguisée (mais acerbe) du male gaze et du jeunisme ayant gangrenés le milieu de l’entertainment, tirant à boulets rouges sur sur Hollywood comme pouvait le faire avec virulence et transgression Paul Verhoeven : on pense évidemment à Robocop, Starship Troopers et Showgirls dans la même capacité critique et acide des pontes et exécutifs derrière l’industrie du rêve.
Point de grosse subtilité dans The Substance, mais à travers une mise en scène convoquant Kubrick, Carpenter, De Palma ou Cronenberg, Fargeat parvient à imposer sa patte et accéder à une vérité sur le rejet de notre propre corps vieillissant face aux diktats publicitaires. Le personnage de Demi Moore (qui nous abreuve de la meilleure performance de sa carrière, à la fois tout en vulnérabilité et audace) sera le prisme de la problématique universelle du film, notamment via une scène tristement touchante de rendez-vous annulé, et où le maquillage face à son propre reflet devient un réel enjeu dramatique et traumatique !
Mais plus encore, c’est véritablement à travers le cinéma de genre que The Substance exploite un savoureux cercle vicieux (qui parvient à nous tenir sur les 2h20 de métrage !), tandis que la dette corporelle subie par Elisa ne nuira que peu de temps à son désir d’expérimenter un quotidien plus facile en temps que Sue.
Satire gonzo
Coralie Fargeat use à merveille de la physicalité de Margaret Qualley afin de mieux accentuer le regard masculin sur le corps féminin. Ce sera particulièrement vrai lors des passages de fitness retransmis à la télévision, où la star devient objectifiée et sexualisée à outrance. Et c’est via cet abord sardonique que The Substance va peu à peu délaisser l’étrangeté pour complètement s’enfoncer dans le potache et la violence ultra-gonzo.
Dès sa première partie, la mise en scène alliée au montage extrêmement précis de Coralie Fargeat propose quelques visions de body horror évitant toute réappropriation facile (allergiques aux aiguilles s’abstenir). Le but n’est jamais de choquer, mais là encore plutôt de véritablement jouer avec le spectateur, avant que The Thing ou La Mouche ne deviennent les véritables influences d’un 3e acte jubilatoire dans son humour noir.
Body Horror qui transforme le pus en or
Un exutoire cathartique qui lâche définitivement les chevaux, proposant des visions de gore que l’on a rarement vu à un tel degré au cinéma. Rien de dérangeant (même si le travail de prosthetics est littéralement « monstrueux » !) vue l’énergie comique affichée (jusqu’à son final savoureusement ironique !), mais difficile de nier la jubilation de ce The Substance, avant tout vrai film de mise en scène.
Coralie Fargeat a passé plus d’un an et demi sur le montage, et inutile de dire que cela se ressent, parvenant à une musicalité sans temps mort, et une narration purement visuelle la plupart du temps. Associée à une excellente production design et un sound design électrisant, The Substance devient dès lors un ride à la fois complètement irrésistible, superbement organique, et incroyablement maîtrisé. Bref une petite référence instantanée du genre !
The Substance sortira au cinéma le 9 novembre 2024. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes ici.
avis
Avec The Substance, Coralie Fargeat signe sans nul doute le meilleur body horror depuis plusieurs décennies, ressuscitant un genre pour mieux tirer à boulets rouges sur le male gaze gangrénant l'industrie du divertissement. Portée par un duo Demi Moore/Margaret Qualley parfait, une fabrication de très haut niveau et une audace dans ses effets qui laisse pantois, on tient là un film culte instantané !